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Ah ! mes amis. Je ne crois pas si bien dire.

Tournez cette bon Dieu de page, et venez en juger au chapitre suivant !

CHAPISEPT

— Tiens, vise la musaraigne ! s’écrie la Rotonde en me montrant une petite tache rouge, sur une banquette, loin, là-bas. Mais, j’rêve pas, l’est avec ta mère ! Chère Félicie ! Ne me voyant pas rappliquer, elle s’est payé de courage et, toute seule, comme une grande, elle a foncé à l’aéroport pour y accueillir nos exilés.

La môme aussi nous a retapissés et la voici qui accourt en faisant voleter sa jupe froncée. Ses nattes lui battent le dos, et il lui manque toujours cette foutue dent sur le devant de la bouche. Une retardataire, selon le dentiste. Paraît qu’elle se mettra à pousser un de ces quatre matins, en attendant, Marie-Marie se paie une brèche dans la palissade du plus cocasse effet.

Elle me saute dessus comme un chien fou.

— Mon petit Santonio ! clame-t-elle. Ce que j’ai heureuse de passer mes vacances av’c toi !

Je lui rends ses bisous miauleurs et je m’approche de ma brave femme de mère, laquelle naturellement a rosi de contentement en voyant le contentement de la petite.

— J’m’marrais, chuchote la sauterelle en s’accrochant à mon bras. Y’a un Hindou assis à côté de nous, figure-toi qu’il disait sa prière, à mi-voix.

— Comment sais-tu qu’il s’agissait d’une prière, Môme, tu comprends l’hindi ?

— Tu rigoles ! Il priait en français. Le Not’ Dab’ y récitait.

— C’est rare pour un hindou, conviens-je.

Je cherche le surprenant personnage du regard et l’avise sur la banquette, en train de lire le Daily Mail. Vous l’aurez déjà compris, vu qu’à force de me lire vous avez fini par acquérir une certaine jugeote, mais l’individu en question n’est autre que Georges Huret. Plus je me penche sur son cas, plus je suis surpris par le comportement du petit bougre. Il a du sang-froid, le cochon. Et des idées ! Au lieu d’aller se terrer dans quelques recoins de l’aéroport, il s’est installé au beau mitan du hall. La gueule enduite de fond de teint, un foulard noué sur la tronche, un canard anglais dans les mains, il est paré. Les yeux de la poulaille ne s’arrêtent pas sur lui. En ce lieu cosmopolite, il passe complètement inaperçu, ainsi accoutré. Et voyez l’étrangeté de ce garçon. Tout en faisant montre d’une absolue maîtrise, il prie à mi-voix pour se donner du cran. Malgré qu’il soit un assassin, vous savez qu’il commence à me passionner ?

Je le quitte des yeux pour ne pas attirer son attention, et pendant que Félicie et Béru s’effusionnent, je gamberge à toute pompe. Si on arrête Huret, c’est le Yard qui va l’assumer, œuf corse. D’accord, le Sup’ ma promis de me remettre la fameuse enveloppe si le gars l’a encore, mais il se peut que Huret ait planqué son butin dans un endroit sûr. Or les méthodes d’interrogatoires de Scotch and lard (comme dit Béru) sont aléatoires. Bref, j’aimerais bien agir directement, ce serait plus sûr. Seulement il n’est pas question que j’embarque le faux Hindou car la meute des flics rosbifs interviendrait immédiatement.

— M’man, murmuré-je, je vais te demander un grand service.

Elle sourit de mon emphase.

— Mon Dieu, mon petit, tout ce que tu voudras.

— Ne te retourne pas. Tu sais qu’il y a un Hindou assis sur la banquette que tu viens de quitter ?

— Oui, j’ai vu.

— Ce n’est pas un Hindou, mais mon gars !

— Quel gars ? Oh ! réalise-t-elle, veux-tu dire…

— L’assassin, oui, m’man. Si je l’arrête, les copains du Yard qui grouillent à présent dans l’aéroport vont me le piquer. Il est indispensable que j’aie auparavant une conversation avec lui. On va risquer le paquet, si tu es d’accord.

— Que veux-tu faire ?

— Tu vas retourner t’asseoir près de lui, tandis que Béru et moi, quitterons l’aéroport. Nous fréterons un taxi et nous attendrons dehors. Tu suis ? Lorsque nous aurons disparu, tu parleras à Huret, mine de rien. Dis lui qu’il est repéré. Que nous sommes Français, qu’on ne demande qu’à l’aider et que tu peux lui faire quitter l’aéroport. S’il est à ton bras, personne ne songera à lui demander quoi que ce soit. S’il accepte de t’accompagner, sortez, prenez un taxi, et fais-toi conduire à l’hôtel. Nous vous suivrons pour le cas où il y aurait un coup fourré. « Si, au lieu de t’écouter il prend ses jambes à son cou, ameute la garde en criant « help ! help ! puisque tu sais ce que cela signifie. Banco ? Ici tu ne crains rien et dans le taxi non plus. Dis-toi bien que nous serons prêts à intervenir. Ça joue, ma poule ?

Elle hésite.

— Tu as peur, m’inquiété-je.

Félicie tressaille.

— Oh non, comment peux-tu croire ! Ce qui me tracasse, c’est de lui dire que nous allons l’aider alors que tu lui tends un piège.

Ah, la chérie ! Des scrupuleuses de ce tonneau on n’en fait plus depuis déjà pas mal de temps.

— Mais, maman, nous allons vraiment l’aider ! Si le Yard l’arrête, il va se trouver perdu parmi ces étrangers, sans secours d’aucune sorte. Moi, une fois obtenu ce que j’attends de lui, je le conseillerai, je le ferai se constituer prisonnier et lui prendrai un avocat. Je te jure sur ta vie que c’est son intérêt.

— Bon, dans ces conditions…

Sans un mot, elle retourne s’asseoir.

— Y’a du suif quéque part ? s’inquiète ce gros sanglier de Béru qui possède du flair à défaut d’intelligence.

— Tout est O.K., venez, je vais vous affranchir.

— Et ta mère ?

— Je t’expliquerai.

En gagnant la sortie, j’avise Mac Heckett en palabre avec le glacial Skinbuttock. Je m’approche d’eux en prenant mon air le plus maussade.

— J’emmène ce gros lard à l’hôtel, fais-je au Sup’. S’il y a du nouveau, Mac, soyez amour ; appelez-moi au Hilton.

Il opine. Je le trouve tout guindé, depuis la séance des goguenuches. On dirait qu’il me pardonne mal l’esclandre de mon collaborateur.

Nous sortons. Marie-Marie gambade devant nous. Faut se gaffer de pas lui marcher dessus. Un chiot, je vous dis ! Tout en arpentant le hall, je mets le Dodu au courant de la situation. Il rayonne, Dugland ! Émet des gloussements, des pouffades, me flanque des coups de coude dans les cerceaux.

— T’avais raison, Mec. Je m’annonce et la chance descend de l’avion avec mézigue. Car si je ne fusse pas venue, tu repérais pas ton julot !

— Les v’là ! lance Marie-Marie embusquée derrière la buée de sa respiration qui s’étale sur la vitre du taxi.

Un léger frémissement me parcourt. Car enfin l’opération était risquée. Flanquer m’man à l’assaut d’un meurtrier c’est plutôt gonflé, non ? Y’a des moments je me dis que je suis plus flic que fils. Ça ne vous choque pas, vous autres, de me voir comporter de la sorte ? Vous ne trouvez pas honteux la manière dont j’utilise ma chère, mon innocente mère ?

En tout cas, elle est relaxe, Félicie. Elle donne le bras à Huret et le guide péremptoirement vers la station de taxis. Pauvre Hindou pitoyable. Pauvre Gugus pantelant. Il avance d’un pas flottant, comme s’il était en état second. C’est tout juste s’il ne trébuche pas en marchant. Il a l’air d’un crétin congénital que sa maman sort un peu pour le mardi gras.

— C’est ça, ta terreur ! gouaille Sa Majesté, rassérénée.

— En personne, Gros.

— Il a rien d’une épée.

C’est ce que je me répète inlassablement, mais ses agissements démentent cette impression.

Il a l’air d’un pauvre bougre. Je pressens qu’il en est un, et pourtant il agit avec déterminisme et sang-froid. Détrousser des coffres de banque, après avoir fabriqué de fausses clés ; buter un boutiquier en plein jour et se faire conduire à l’aéroport aussitôt après ; être traqué dans ledit aéroport et se déguiser en Hindou aussi rapidement et astucieusement que Gérard Séty, pour attendre que ça se tasse, voilà qui n’est pas à la portée du premier gratte-papelard venu.