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— J’aimerais que vous vous expliquiez, commissaire, car j’avoue mal comprendre le sens de vos paroles.

— Cela doit venir de ce que je suis étranger, monsieur O’Stbitt. Mon anglais laisse à désirer. Je voulais dire ceci : je suis officier de police français délégué par mes supérieurs pour travailler conjointement avec Scotland Yard. Cet après-midi, au cours de mon enquête vos collaborateurs m’ont molesté très durement, j’ai un témoin. Si je dépose une plainte contre l’Agence O’Stbitt en réclamant des dommages et intérêts, je suppose que la justice britannique aura à cœur de sévir, ne serait-ce que pour faire acte de fermeté aux yeux de la police française, you see ?

Kenneth est un type plutôt pas mal. Je le suppose d’avoir mon tempérament.

— Si je comprends bien, monsieur le commissaire, vous exercez sur moi un certain chantage ?

— Je n’en suis pas plus fier pour ça !

O’Stbitt hoche la tête, puis tire un grand cordon en tapisserie, terminé par un pompon rouge, comme en on voit dans les films dont l’action se déroule dans un salon du siècle dernier. Très vite, un domestique surgit. Je croyais pas que ça existait encore, des fossiles de ce genre, hors les comédies de boulevard décrépites. Figurez-vous un grand zig chauve, qui s’est corrigé la surface en se laissant pousser d’épais favoris. Il est blanc, avec un nez qui n’en finit pas et un menton pareil à un carton à chaussures qui dépasse de son rayon.

— Slave, dit Kenneth, voulez-vous raccompagner ces personnes jusqu’à la porte, je vous prie.

— Parfaitement, sir.

Le larbin s’avance. Je vous ai précisé qu’il portait un gilet rayé ? De quoi se la fourbir au papier de verre et se l’exposer au musée de l’homme, non ?

— Si vous voulez bien me suivre, me dit-il.

Je suis ulcéré jusqu’au trognon.

La fumée me sort des naseaux. Se faire virguler par un esclave, de but en blanc, comme le dernier marchand de carpettes mal embouché, avouez que ça vous porte le système nerveux à ébullition, non ?

— C’qui se passe ? articule Béru, la bouche pleine.

— On nous vide comme des malpropres, Gros.

— Les gonzes qui t’ont estourbi c’t’aprème ? Y‘s’permettent ? exclame le Mastar.

— Tu vois !

— Et Césarin, là, refuse de t’affranchir sur ce dont à propos tu avais besoin de connaître ?

— De la manière la plus cinglante.

Alexandre-Benoît exécute une moue désabusée. Il boit son godet d’une traite, croque le dernier chip[17] et d’un geste maladroit, extrait son râtelier. Il le tend à Marie-Marie.

— Tu veux me le tenir pendant que je vais m’espliquer av’c ces messieurs, Môme ? Que si y aurait un faux mouvement, je trouverais seulement pas à me faire rectifier le casse-noisette dans ce pays de patates où les ratiches mesurent dix centimètres de mieux que chez nous !

Slave, le maître d’hôtel, courroucé par le sans-gêne du Gros, s’avance sur lui et l’empare au revers du veston.

— Go out ! il glapit, le favorité ! Go out !

Au lieu d’obtempérer, Béru recule sur son canapé, se mettant presque à la renverse. Il replie sa jambe gauche et applique la semelle de son 46 grand-tourisme contre la poitrine du larbin. Éberlué, l’autre n’a pas la présence d’esprit de s’éloigner. Mon pote détend sa guitare avec une telle violence que le valet est soulevé de tapis comme le participant d’un numéro de main à main au cirque. Il volplane dans le salon, passe par-dessus la tête de son maître et va atterrir dans une vitrine à la gloire de l’art sassanide. La vie n’est qu’un éternel recommencement. C’est la scène de chez le brave Ted Haklack qui continue.

— Eh bien, dis-je à Kenneth, je crois que si vous avez dans vos relations un collectionneur de verre pilé, vous allez pouvoir conclure des affaires intéressantes avec lui.

Au lieu de rigoler, O’Stbitt plonge sur Béru. Un sacré battant. Deux bourre-pifs et v’là le Gravos transformé en carnage ambulant.

— Sale brute ! Mon tonton ! Mon tonton ! trépigne Marie-Marie !

Une statuette nègre, en ébène massif, lui tombe sous la main, puis tombe sur le crâne de Kenneth qui tombe à son tour sur la moquette. En pas trente secondes on enregistre trois éclopés susceptibles de solliciter une pension d’invalidité. Ça résigne, ça suffoque, ça gémit. Le plus touché est le larbin qui ressemble à un porc épic. Kenneth, lui, est dans le sirop. Il pend entre ses jambes écartées, considérant le pied d’un meuble d’un regard lourd de stupeur.

— Vous êtes des violents dans votre genre, fais-je à la fillette et à son tuteur.

La mômasse se rebiffe.

— Je tolère pas qu’on abîme m’n’onc’ devant moi, Santonio.

— Bon, essayez de maintenir l’ordre dans le secteur, je reviens dans un instant.

— Où qu’tu vas ? s’alarme Marie-Marie.

— Besoin de me dégourdir les cannes, mon chou. Quand j’assiste à une bagarre sans y participer, ça me flanque des fourmis partout.

Les bureaux de l’Agence commencent au premier étage. Bien que la porte soit pourvue d’une serrure de sécurité de fabrication anglaise, mon sésame obtient gain de cause en un peu moins de pas longtemps.

Elle est vachement bien agencée, l’Agence !

Tout est clair, net, cossu. L’entrée est large. Le bureau de la réceptionnaire est une plaque de verre tinté épaisse de vingt centimètres. À gauche se trouve le salon d’attente, élégant, intime, bien fait pour apprivoiser les cornards émotionnés. Au centre, c’est le burlingue du dirlo, ultramoderne, et bourré d’appareils perfectionnés. Enfin, à droite, une pièce garnie de classeurs et pourvue d’un écran destiné à la projection de diapositives. C’est dans cette dernière que je pénètre.

Je cherche parmi les tiroirs de l’immense fichier métallique celui qui est consacré à la lettre « H ». Mes doigts font coulisser les dossiers sur leur petit rail. Tout cela est magnifiquement répertorié, étiqueté, classé.

En un clin d’œil on doit pouvoir consulter la documentation de n’importe quelle affaire. Mais j’ai beau chercher, je ne découvre aucun « Huret » dans la collection d’O’Stbitt Junior.

« Suis-je gland ! m’exclamé-je à voix basse pour ne pas troubler mes réflexions, les affaires sont classées aux noms des gens qui font entreprendre des enquêtes, et pas aux noms de ceux qui en sont l’objet !

Alors là, ça promet du sport.

Le cœur titillé par l’anxiété comme les cordes d’une guitare par les doigts de Manitas de Plata, j’ouvre le compartiment assigné aux « B ». Le nom que je cherche devrait se trouver en tête de peloton. Basteville ! Je passe en revue, un par un, les dossiers commençant par BA, sans résultat. Déçu, je m’apprête à abandonner la partie, seulement, en flic consciencieux, je fais défiler tous les « B » avant de reboucler le tiroir, pour le cas où une secrétaire trop pressée aurait mal rangé l’hypothétique classeur « Basteville » auquel j’aspire.

Et soudain, c’est le coup de chance. Le gros mimi de la veine ! Le radieux sourire du hasard… La chance qui retrousse ses jupes pour me montrer son luth.

Toujours l’éternelle histoire, mes truffes. Vous guettez Grouchy et c’est le camarade Blücher qui ramène sa cerise ! Moi je voulais un Basteville et je tombe sur un Buspériférick. Nom facile à retenir. La preuve : je l’ai retenu. Vous l’auriez déjà oublié, vous autres qu’avez un cerf-volant en guise de matière grise ? Y’a pas si longtemps, cependant que le Béru me l’a mentionné. Vous vous rappelez ? L’une des victimes de Huret, ancien diplomate brésilien d’origine allemande. Ça y est, ça vous est revenu ? Oui : il s’est suicidé hier.

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17

Chips est un mot au pluriel, mais il me plaît de le singulariser ! Si ça vous déplaît, vous n’avez qu’à appeler ça des frites.