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— Si, je connais. Il prend tous ses repas ici ! Je pense qu’il ne va pas tarder !

Tous ses repas ! Je l’embrasserais, la fausse rouquine chignoneuse.

— Donc, il habite le quartier ? insisté-je.

— Je pense, oui. Je le vois souvent qui se promène sur la rive de Grand Union Canal…

— Il existe beaucoup d’hôtels dans le quartier ?

— Non… Juste le Saint-Edmund, à quelques rues d’ici…

— Pour moi ça sera trois pizzas ! coupe l’Hénorme. Avec des parfums différents : une à l’anchois, une aux champignons et la troisième à l’oignon. Vous direz au gus de l’haut-fourneau de pas pleurer le frometoboque, surtout ! Et técolle, Gars ?

— Rien ! Mangez sans moi, je reviens…

Non, décidément, à l’idée de Félicie dans sa prison, je ne pourrais pas même avaler une bouchée de pain.

Marie-Marie proteste, mais je lui donne une caresse sous le menton et je file dans le soir qui tombe. Ce quartier de Londres sent la friture et la poussière. La vieille nippe, le chien mouillé. Je demande le chemin du Saint-Edmund Hôtel a un flic morose qui déambule, les mains dans le dos, comme le fait le Prince Consort quand il rentre à Buckingham, après la fermeture de son magasin de camping.

Effectivement, l’hôtel en question se trouve à quelque trois cents mètres vingt-cinq du Mia Napoli. Pas luxueux, comme crèche ! Mais paisible. J’imagine une clientèle de veuves et de retraités. Je les vois dans la salle à manger, pour le breakfast du matin, silencieux et graves, trempant leurs mouillettes dans les œufs coques trépanés en lisant les titres de leur journal.

Je suis obligé d’actionner à plusieurs reprises la sonnette placée sur le comptoir de la réception avant de voir déboucher d’un escalier au tapis épuisé une grande blondasse décharnée à qui il ne reste plus suffisamment de lèvres pour cacher les dents. Vachement gothique de lignes, la nana ! Un Carzou ambulant ! Elle est obligée de renforcer les manches de sa robe aux coudes pour ne pas les trouer. Il m’est arrivé de rencontrer au cours de mes parties de chasse des épouvantails beaucoup plus dodus que cette personne.

— Vous désirez ?

Je serais un représentant en marijuana venu proposer sa marchandise à l’archevêque de Canterbury, on m’accueillerait avec plus de cordialité.

Je plonge. Police, sourires, voix de velours, carte professionnelle, regards moelleux d’humilité… La photo. Elle y jette un œil de chouette importunée par une ouvreuse de cinéma.

— Je ne connais pas. N’ai jamais vu. Regrette !

Y’en a qui le disent avec des fleurs, d’autres, comme Madame, qui préfèrent le style télégraphique.

Elle me rend la photo d’un geste tellement saccadé que je rate la réception (dans un hôtel, c’est le comble de la maladresse, n’est-ce pas ?) et que le portrait choit devant une malheureuse femme de chambre en train de survenir. Je suggère que cette fille est malheureuse, moins à cause de sa maigreur (ici c’est décidément la maison gras d’os) que de son air ravagé par d’infatigables misères. Le genre de fille qui fut séduite et abandonnée, qui accoucha d’un mongolien, qui est tuberculeuse, mal payée, et tellement méprisée que les miroirs deviennent simples vitres lorsque d’aventure elle y hasarde sa triste image.

La survenante ramasse la photo. Elle la regarde, ce faisant. Bien que sa pauvre bouille demeure sans réaction, je me dis « San-A. cette pauvre épave a déjà vu Huret. »

— Vous le connaissez, n’est-ce pas ?

Elle bat des paupières.

— Yes, sir.

— Comment se fait-il, Nelly ! grince la gonzesse aux longues ratiches (on dirait un boa qui s’acharne à vouloir avaler un râteau à foin).

— Cet homme est venu demander une chambre, il y a une huitaine de jours, miss Oldskin. Je lavais le carreau de l’entrée et lui ai dit que nous étions complets. Il ne parlait pas anglais, mais je connais quelque peu de français à cause d’un étudiant parisien venu apprendre notre merveilleuse langue chez mes anciens patrons.

— Vous a-t-il parlé, mademoiselle Nelly ?

La triste créature coule sur sa patronne un regard paniqué.

— Oh, ciel non ! Juste deux ou trois mots. Je n’ai pas seulement arrêté mon travail pour lui répondre.

— Que vous a-t-il raconté ?

— Peu de chose : il arrivait de France. Il cherchait à se loger dans le quartier… Je lui ai dit qu’il aurait du mal, vu le manque d’hôtel, et que sa seule chance était de se présenter chez les particuliers qui affichent « Bed and Breakfast » sur leurs portes… C’est tout, pas un mot de plus ! Il est parti…

— Dans quelle direction ?

— Sur la droite, sir. Vous permettez que j’aille à mes occupations, le dîner va commencer.

Une de plus pour ma collection d’old ladies. On cause toujours de la Vieille Angleterre… C’est pas l’Angleterre qu’est vioque : c’est les Anglaises ! Ah ! dis donc, j’ai idée que l’air marin supplante la douceur angevine question jouvence ! Ça vient p’t-être de ce que, n’ayant pas de poitrine, elles respirent mieux, les jumanches. Ainsi, la mistress Ferguson qui vient de m’ouvrir, malgré ses nonante carats, faut voir comme elle se cramponne.

On dirait un pierrot, tant elle est farineuse. Sa gentillesse me réconforte.

— Que puis-je pour vous, jeune homme ?

— C’est bien chez vous que loge un Français nommé Alfred Delombard ?

Soyez pas surpris, les mecs, c’est l’identité que j’ai relevée sur les faux fafs du gars Huret. Je ne vous avais pas encore affranchi ? Excusez : j’suis linotte à mes heures.

Toujours est-il que la mistress Ferguson me gazouille un inoubliable :

— Si fait ! Vous êtes l’ami qu’il attendait ?

Ouf ! Comme c’est bon d’arriver au port ! La plus mélodieuse des musiques ne m’enchanterait pas mieux que la voix fluette de l’aimable vieillarde. Malgré la terre labourée qui lui sert de visage, je l’embrasserais Mémère. Lui cajolerais la géographie lunaire ; la réchaufferais de mes degrés excédentaires.

— Puis-je entrer et pouvons-nous bavarder quelques instants, mistress Ferguson ?[19]

— Mais je vous en prie ! s’empresse-t-elle.

Elle me précède jusqu’à un salon minuscule encombré de plantes vertes dont certaines grimpent jusqu’au plafond. On se croirait dans une serre. Une odeur végétale, un brin putride, se faufile dans mes éteignoirs. La mémé me désigne une bergère aux panards orientaux.

— C’est mister Delombard qui va être heureux ! assure-t-elle ; il attendait si impatiemment votre venue ! D’autant plus qu’il s’en va ce soir…

— Hélas, il est déjà parti, chère madame, attaqué-je. Elle sursaute.

— Vraiment !

En termes mesurés, je lui apprends la mauvaise nouvelle. Accident de la circulation. Delombard mort sur le coup !

— Je suis un policier français chargé des formalités, poursuis-je à travers les lamentations de la vieille dame. Il est indispensable que je visite sa chambre et inspecte ses bagages !

On est naïf comme un roman de Paul Guth à c’t’âge-là. Elle me croit sur parole, la chérie. Elle ne sait même pas que le mensonge existe, sa maman ne lui a jamais rien dit.

— Mon Dieu, le pauvre garçon ! Un être si doux ! Si gentil ! Si pieux ! Chaque fois que je venais dans sa chambre je le trouvais à genoux, devant un portrait, en train de prier. Il priait en français, bien sûr, mais je suis certain que le Seigneur devait l’écouter tout de même ! Venez…

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19

Je l’ai appelée Ferguson parce que ça fait plus anglais ! J’ai souvent rencontré des Ferguson dans les bouquins britannouilles. C’t’une espèce de petit cadeau que je me fais, pratiquement. Autrement je l’aurais baptisée Mrs Véryviock ou un truc comme ça !