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On grimpe un étage. Elle a un peu d’asthme, la vieille poupée, et chaque marche précipite un peu plus son rythme respiratoire, si bien qu’une fois parvenus au premier, on a l’impression de rendre visite à des scieurs de long (à ne pas confondre avec le sieur Delon) en action.

— Vous permettez ? suffoque-t-elle en posant son petit derrière flétri sur une banquette, si vous voulez commencer… C’est la chambre du fond !

Aimable pièce délicieusement vieillotte. De la cretonne partout. Le lit est d’acajou, avec un ciel style colonial. Une commode en rotin agrémentée de deux lampes très anciennes aux verres bombés ; une petite table, une chaise… La commode ressemble à une espèce d’autel à cause des gravures pieuses que Huret y a disposées. Je reconnais l’aimable sœur Thérèse de l’Enfant Jésus, les bras chargés de roses, la Très Sainte Vierge Marie, en bleu archange, les mains en croix devant sa poitrine ; une version Notre-Dame de Lourdes où la Vierge, vêtue de blanc, adopte un petit air sermonneur pour expliquer à la môme Soubirous qu’ici-bas la carburation se fait mal ; il y a également Saint Joseph, un peu dégarni du devant, tenant un lys à la main pour se donner une contenance ; Sainte Jeanne d’Arc, la mine boudeuse, sans doute parce qu’elle se trouve en Angleterre ; et enfin Saint Georges, patron de Huret, à cheval sur un fougueux bourrin dont j’aimerais connaître le numéro histoire de le jouer au tiercé le cas échéant.

De l’autre côté du lit, j’avise une armoire de toile plastifiée à fermeture éclair. Autant commencer par elle. Elle contient un complet grisâtre et un pantalon dit « fantaisie » dont un croque-mort ne voudrait pas pour faire son jardin. J’inspecte minutieusement chaque poche : en pure perte, ces vêtements ont été soigneusement débarrassés des objets qu’ils recelaient avant d’être suspendus dans le compartiment de plastique.

Aux tiroirs de la commode, maintenant ! Ils sont non seulement à moitié pleins, mais de surcroît à demi vides ! Du pauvre linge râpé : chemises de mauvaise qualité, usées au col et aux poignets ; slips troués ; chaussettes mal ravaudées ; cravates en corde ; tricots de corps en lambeaux. Dans la pile de linge, une enveloppe froissée me fait un instant battre le cœur, mais elle ne contient que cent quarante livres sterling soit l’équivalent de 200 mille anciens francs français. Toute la fortune du fugitif, dirait-on ! Il se foutait de son standinge, Huret. Vivait pauvrettement, à mi-chemin entre la misère et la médiocrité.

L’inventaire est vite fait. Sous le lit, se trouve la valise du pauvre bougre. Elle est le digne contenant du minable contenu. Bagage de carton renforcé, dont les éraflures révèlent l’indigence de la matière qui la compose. Elle est vide.

— Vous avez terminé ? s’inquiète Mémère qui a refait son plein d’oxygène.

— Presque. Il faudrait que nous parlions un peu de ce malheureux garçon, madame Ferguson. Recevait-il du courrier, des visites ?

Elle hoche négativement la tête.

— Rien ni personne, inspecteur. Il attendait seulement quelqu’un.

— Vous avez eu l’occasion de discuter avec lui ?

— On ne peut appeler cela discuter, puisque nous ne parlions pas la même langue. On se servait d’un dictionnaire pour les choses usuelles…

— Où est-il, ce dictionnaire ?

Elle me désigne l’oreiller.

— Avec son livre de prières, il devait potasser notre langue, le soir avant de s’endormir…

Je rabats l’oreiller. Effectivement deux bouquins de taille sensiblement identique se trouvent nichés sur le drap parfumé à la lavande.

Tous deux possèdent une couverture noire. L’un est un dictionnaire français-anglais de chez nos excellents amis Larousse, l’autre un livre de messe.

Je les cramponne et les feuillette rapidement.

— Vous a-t-il indiqué le nom de l’ami qu’il attendait, madame Ferguson ?

— Non. Il a juste indiqué « Quelqu’un doit venir me demander ».

— Bon Dieu, quel sac d’embrouille !

Je m’assieds sur le plumard et je réfléchis à ce bigntz. Ce n’est pas au hasard que Huret est venu dans le quartier St John’s Wood, lui qui ignorait tout de Londres. Quelqu’un lui avait demandé de loger dans ce secteur de la capitale Britannique. Pourquoi ? Ce même quelqu’un devait le rejoindre. Donc, Huret lui a nécessairement fait connaître son adresse. Comment ? Autre chose encore : il n’existe pas dans la pièce où il logeait la moindre trace du butin. Où a-t-il planqué celui-ci ?

Je tire de ma poche la petite clé trouvée sur lui lors de l’accident et je la montre à sa logeuse.

— Cette clé ne vous rappelle rien, chère madame ?

Elle la prend, la regarde, secoue la tête.

— Rien du tout, inspecteur, pourquoi ?

— À quelle heure Hur… Delombard est-il parti de la maison, aujourd’hui ?

— Un peu avant l’heure du lunch. Il prenait ses repas dans Wellington Road.

— Il avait un bagage quelconque, voire un simple paquet avec lui ?

La vieille gaufrette réfléchit.

— Je ne pense pas, non.

— Il sortait beaucoup ?

— Pour ses repas, et pour une promenade le long du canal.

— Que faisait-il, le reste du temps ?

— Il demeurait dans sa chambre… Je suppose qu’il guettait l’arrivée de son ami.

Et aujourd’hui, pour la première fois depuis son arrivée à Londres, Huret s’est comporté différemment. Il s’est rendu dans le Centre de la Cité. Je fais claquer mes doigts.

— Qu’y a-t-il ? s’inquiète la petite mère pomponnette.

— Non, rien !

Je mens ! Si, il y a !

Il y a que Huret est allé chez un numismate. Avec quelle intention ? Pour lui acheter ou pour lui vendre quelque chose ? Or, au moment de sa mort, il n’avait aucune pièce ancienne sur lui, et une centaine de livres seulement ! Il se serait donc rendu chez ce vieux bonhomme uniquement pour l’assassiner ? Ça ne cadre pas ! Je pense à la réaction du petit employé lorsque Félicie a fait allusion au meurtre ! « Que cherchez-vous à me mettre sur le dos, encore ? » Pour la première fois je me pose la question suivante : « Et si Huret n’avait pas tué le numismate ? »

Un coup de sonnette retentit, saccageant ma méditation.

— Tiens ! Qui ce peut-être ! murmure mon interlocutrice. Vous m’excusez ?

La v’là qui descensionne en ahanant derechef.

Je profite de son départ pour fouiller le plumard. N’est-il pas la planque du simple ? En tout cas Huret n’était pas aussi candide que je me plais à le croire car il n’y a rien sous son matelas.

J’achève de retaper le pucier, sommairement. J’ai toujours eu horreur de deux choses dans la vie : faire un lit et aider une dame à se rhabiller, ce qui constitue pourtant deux besognes complémentaires bien souvent. Un nouveau coup de sonnette m’indique que Mrs Glagla n’est pas encore parvenue au bout de ses peines. Un espoir irraisonné s’empare de moi. Et si c’était le mystérieux « ami » qu’attendait Huret ?

Soucieux de tout remettre bien en ordre, et aussi par respect pour la religion, je ramasse le Missel qui gît en tuile, sur le plancher.

Ce faisant, je découvre quelques lignes manuscrites au dos de la page de garde. Elles ont été tracées au crayon, de façon peu appuyée, afin qu’on puisse les effacer facilement. Je lis :

« Barbe, lunettes, journal français. »

« Bar du hall à partir de minuit. »

« Les choses étant ce qu’elles sont. »

Un peu laconique. Ce n’est pas un message, mais plutôt un pense-bête. En garçon tatillon, Huret a pris cette note sur un livre dont il ne se sépare jamais : son Missel, pour être certain de l’avoir sous la main le moment venu. Je gage qu’il se serait rappelé ces indications, mais il a craint d’avoir un trou de mémoire… Il devait avoir peur d’un tas de choses dans la vie.