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— Bonjour, messieurs ! fait Mémère, en bas. Que désirez-vous ?

— Je suis l’inspecteur Morlan, de Scotland Yard, et voici mon adjoint, Agenor Gurgle. Vous hébergez bien un certain Alfred Delombard, sujet français, n’est-ce pas ?

Allons bon ! Le Yard, déjà ! J’ai dans l’idée que mes confrères anglais n’apprécieront guère ma présence dans la chambre de Huret. Ils vont finir par trouver que j’en prends un peu trop à mon aise. Justement, la maman Ferguson leur explique qu’elle est au courant du malheur et qu’un détective français est déjà à pied d’œuvre.

Cette cavalcade, madoué ! Font pas partie de la brigade criminelle, mais de la brigade sauvage, les deux matuches. Doivent escalader six marches à la fois, les vaches ! J’ai pas le temps de traverser la pièce que les voici déjà dans l’encadrement de la porte. L’un d’eux est tout grêlé, avec un strabisme extrêmement divergeant, Y’a que les personnages de Picasso qu’il arrive à regarder dans les yeux, cézigue. Ça lui compose une espèce de visage brisé, terriblement incommodant. On dirait qu’il a été fendu en deux et mal rajusté. L’autre est un gros, un peu négligé, dont la cravate ne porterait pas atteinte à la réputation de Béru. Tous deux sont plutôt jeunes et si on devait décerner le prix de l’antipathie à l’un ou à l’autre, pour les départager faudrait tirer au sort ou se référer au goal-average.

L’homme aux yeux dispersés pointe dans ma direction un pétard de fort calibre et de marque inconnue.

— Les mains en l’air, je vous prie !

— Allons ! Allons ! dis-je. Vous n’êtes guère aimable avec vos homologues français. Je suis, de plus, un ami intime du superintendant Mac Heckett. Je vais vous montrer ma carte !

— Plus tard, levez les mains et tenez-vous tranquille ! dit l’inspecteur Morlan.

Puis, à son adjoint :

— Voulez-vous vérifier qu’il n’a pas d’arme, Agenor ?

Le cradingue me palpe des deux mains à la fois, de haut en bas, avec un maximum de célérité et d’efficacité.

— Rien ! dit-il, laconique.

— Très bien, asseyez-vous sur cette chaise et croisez vos mains sur votre nuque ! m’enjoint le grêlé.

— Dites, ça commence à bien faire, m’emporté-je. Me prendriez-vous pour un malfaiteur, par hasard ? Je peux faire la preuve de mon identité et téléphoner devant vous à Mac Heckett !

— Obéissez !

La voix est glaciale, hostile. Cette carne ambulante serait capable de me foudroyer si je venais au renaud.

En maugréant je m’assieds et je noue mes mains derrière ma tête. Dès lors, les deux flics commencent à fouiller la pièce beaucoup plus brutalement que je ne l’ai fait. Morlan agit d’une main, car il continue de me braquer, d’où il se trouve. Sans doute consacre-t-il un de ses yeux baladeurs à ma surveillance et l’autre à l’exploration systématique de la chambre. Tout comme moi, les deux hommes ne trouvent rien.

— Où est la salle de bains ? demande-t-il à Poupette, glacée de stupeur dans le couloir. « Bed and breakfast ! » Tu parles !

Elle doit trouver que ça n’est plus de son âge, la location de piaule, cette bonne mémère de douairière les fagots.

— Il n’y a pas de salle de bains dans ma maison, mais un cabinet de toilette.

C’est Agenor qui y va. Il reste absent peu de temps.

— Rien ! répète-t-il de la même voix caverneuse.

— Allons-y ! dit alors Morlan.

Et à moi :

— Suivez-nous !

Avant de quitter la maison, il grommelle un « Merci » à peine poli à l’adresse de la vieille.

— Que dois-je faire de ses effets messieurs ? s’inquiète la brave nonagénaire.

— Mettez-les dans un placard, peut-être vous les réclamera-t-on un jour, peut-être pas…

Il fait complètement nuit maintenant. Une petite pluie inattendue s’est mise à tomber, redonnant à Londres son vrai visage. Les lumières des immeubles scintillent sur la chaussée luisante.

Morlan ouvre la porte arrière d’une grosse limousine et me fait signe d’y prendre place. Son adjoint se met au volant. L’inspecteur s’installe à mon côté. Il tire son revolver de sa poche et en appuie le canon sur son genou pour continuer de me tenir en respect sans risquer d’attirer l’attention des passants aux feux rouges.

— La confiance règne plaisanté-je d’un ton lugubre. C’est pour m’humilier, ou bien douteriez-vous réellement de ma qualité de flic ?

Morlan ne répond pas. Vous parlez d’un taciturne ! Nous roulons un bout de moment, sans piper une broque. Et tout à coup, il me vient une drôle d’idée. Ce qui la motive, c’est l’absence d’émetteur radio dans l’auto. Généralement, un inspecteur du Yard se déplace à bord d’un véhicule capable d’assurer sa liaison avec son état-major. En outre, je connais suffisamment Londres pour m’apercevoir que nous ne roulons pas en direction de Westminster où s’érige New Scotland Yard. Et si ces deux bougres n’étaient pas des policiers, dites ? En fait, depuis leur intrusion dans la chambre, je trouve leurs agissements peu conformes avec la mentalité de la volaille britannique.

Bon, San-Antonio se prend donc à part pour un examen attentif de la situation (en anglais : « the situation », Berlitz vous l’offre). Il se dit in extenso plutôt qu’in petto, car il voit grand, le commissaire, qu’il est posé en équilibre sur une situation en porte-à-faux.

Laisser glisser le filin peut le plonger dans une panade noire, car les soi-disant poulardins n’ont pas l’air d’être des children of choir et s’ils ont le culot d’enlever un commissaire français, cela prouve leur détermination ; par contre, en jouant immédiatement ma grande scène du 3, je risque de rompre le seul lien capable de me conduire vers la lumière. En résumé, je dois choisir entre la curiosité et la prudence, me fais-je parfaitement comprendre, ou dois-je prendre davantage votre sottise en considération ? J’ai trop tendance, parfois, à vous faire confiance, mes pauvres biquets à oublier que si vous marchez au super, c’est au superficiel ! J’me laisse abuser par vos paonneries. Quand on fait la roue, c’est payant que sous un certain angle : de face. Vu par-derrière, c’est grotesque car on découvre le trou de balle du paon. Moi, de vous entendre trémoler, ça m’abuse un coup. Je vous oublie l’anus, sur le moment. Mais très vite, la réalité reprend ses droits. Je m’aperçois que vos vocalises ne sont que des pets. Si y’a début de gourance sur les sonorités, l’odeur heureusement vous trahit.

Dieu est juste de vous avoir fait pestilentiels et vous pas maries de n’avoir pas encore mis au point un déodorant spirituel. Vous pouvez toujours vous vaporiser, vous embrumisser, vous atomiser les dessous de bras, les entrecuisses, les entrechats, votre âme à la plupart, continuera de fouetter la sanie, la grève des éboueurs, la bile croupie, la vase. Miasmeux vous êtes, dès l’enfance. Vous sentez le trou jusqu’à la gauche. Indélébile ! Pire que la tache de sang sur la clé de Barbe-Bleue.

Pour pas perdre trop longtemps le fil, revenons à la bagnole et à mes deux zèbres. Me v’là déterminé, tout soudain. C’est dit : je vais attendre. Je veux savoir ce qu’ils me veulent et où ils vont me driver. On roule à présent dans des banlieues douillettes, entre des alignées interminables de maisons basses, en meulière, avec les bords des fenêtres peint en blanc, des bouts de jardinet à la gloire du gazon britiche. Les lumières blafardes des télévisions fulgurent derrière les vitres. Des attardés rentrent en pédalant sur des vélos noirs, le buste droit, l’air morne. Les feux rouges sont de plus en plus rares. Bientôt on chopera une route et je l’aurai dans le fignedé pour tirer ma révérence à ces messieurs. Histoire de surmonter mes tentations, je pense à Félicie dans sa cellule ! On aura tout vu, décidément ! Et moi qui lui vantais la chère Angleterre et ses bonnes traditions…