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Cette coursive, mes poulettes ! L’antichambre de la marquise de Grande-Loloche. Tendues de soie parme, les parois sont décorées de tableaux entièrement faits à la main, tandis que des tapis de haute, de très haute, laine s’amoncellent sur le plancher (il est du reste assez rare de trouver des tapis au plafond). Généralement, les tapis des bateaux sont en caoutchouc-mousse, même à bord des yachts de milliardaire, ma charcutière me le faisait remarquer pas plus tard (ni plus tôt) que la semaine passée !

Le grêlé frappe à une porte qu’il ouvre et s’efface pour me laisser passer ! Lorsque j’ai franchi le seuil, il referme sans entrer. Je regarde avec toute l’avidité que vous avez la bienveillance de me supposer le spectacle qui m’est offert.

Ç’en est un.

Rare et délicat !

Inattendu, ô combien ! Je pensais débouler dans l’antre d’un corsaire plein aux as, moi ! J’imaginais un groupe de gros patibulaires alarmés jusqu’au dedans et armés jusqu’aux dents. Je voyais des tronches glaciales. Des gestapistes ! Des tortionnaires ! Des arracheurs d’ongles ! Des malmeneurs de roustons ! Des démente-leurs de cartilages ! Des hémorrageurs ! Des pique-viandes ! Je prévoyais la chambre des tortures ! Les sévices de nuit ! J’appréhendais la question (en anglais the question). J’étais certain et sûr autant que sûr et certain de trouver des armes à feu braquées sur moi. Vous idem, n’est-il pas vrai ?

Vous vous disiez en grand secret et en petit comité de défaites : « Il est bonnard pour la séance draculienne, not’ San-A. On croit qu’il sait des trucs et on va les lui extirper par des méchantes contraintes physiques. On va lui faire le coup du presse-burnes à pédales, du dénoyauteur à air-comprimé, de la tenaille rougie du vil-brodequin à volant, de la lampe à dessouder farceuse, du coupe-cigares ébréché, du fouet à la sauce piment, de la seringue dormeuse, et autres. Des fois qu’on ira jusqu’au bout du tolérable. À lui lire l’œuvre d’André Billy, par exemple ou à lui passer tous les disques de Sheila à la file. » Allez donc savoir ! Mais la vie est un sifflet… Qu’est-ce que je débloque : La vie est ainsi faite, veux-je dire, que toujours, en fin de paroxysme, c’est l’inverse de ce que l’on escompte qui se produit. Les choses dévient de leur trajectoire. Y’a pas de trajectoire vraiment assurée. Même le système solaire, par instants, je devine qu’il branle au manche. Qu’on va foirer dans les gravitations, se rapprocher de Pluton, caramboler Mars, onduler de l’ellipse, cisailler les courbes, gambader des degrés, geler et brûler tour à tour, s’engouffrer tous dans le monde minéral pour n’en plus ressortir jamais, sinon à l’état gazeux. On croit à des trucs organisés, à des règles immuables, à des cycles éternels. On croit à ce qu’on voit ! Foutaise ! Ça se bricole à mort, se convulsionne secrètement. Des paysages se transforment, des espèces s’anéantissent, d’autres apparaissent. Moi qu’étais poisson, jadis, je peux vous l’affirmer solide. Plus tard, je deviendrai végétal, puis caillou. Vivement les grandes vacances granitiques ! Vivement que la vie se pétrifie, que crèvent la dernière bactérie, l’ultime morpion, le plus minable infusoire.

Ah, là là, aurons-nous assez divagué de la belle aube au triste soir, qu’il disait, Polinaire. Assez conquis ! Assez bavé, copulé, crapulé. J’en ressors stupéfié de toutes ces patientes hideurs, me demandant comment on a pu, les autres et moi, croire, croître et coasser dans pareil foutoir. Tant de griffures m’ont labouré cœur et gueule, tant de hontes m’ont éclaboussé, tant de perfidies traversé que j’en suis dégoulinant de misère ; grelottant d’angoisse ; ravagé plus que de partout.

À toujours sucer les mamelles de l’existence on devient à force aussi con qu’elle. On finit par marcher à côté de soi-même sans s’en rendre compte. Par se perdre de vue et de vie. Se lâcher tout de bon. S’oublier, même… Bye-bye, Baby ! Ci-gicle un rien qui se croyait homme !

Basculade ! Déjà si on tournait un film sur la vie de Bardot, on prendrait quelqu’un d’autre pour jouer le principal rôle parce que son personnage s’est éloigné de sa légende.

Ça y est, c’est fait : la déconomanie ! Je voulais pas. Je m’étais dit : dans çui-là, pas de délirade ! L’action only ! Tes attendus, tes sous-entendus, tes malentendus, tes consiconsidérations tu te les remises dans le tiroir, pour un coup. Leur cause plus, à ces bonnes gens, distrais-les seulement d’astuces, mystères en carton-pâte, épisodes à la mords-moi le nœud, personnages équipés chez le costumier du Fleuve Black. Ta philosophie-banane, qu’on épluche facile, elle fait tarter le public, San-A.

Il s’en branlotte les glandes sensibles de tes états d’âmes et de tes anxiétés métaphysiques. T’en fais trop, mon gars, je me suppliais. Pour trois balles virgule-quéque chose tu veux lui fournir l’anthologie de la Pléiade en supplément de programme ! T’es louf ! Tu massacres le métier ! Pour une pomme qu’aime ça, t’as une armada qui insurge ! Cette fois, fais relâche, mec ! Donne de l’imagination, mais pas de la pensarde. Offre-leur une petite relâche, juste pour dire, quoi, merde ! Je me disais tout ça. J’efforçais de maintenir parole. Je me biffais les départs baveurs. Je me cramponnais au cap fixé, et puis v’voyez ? Un instant de faiblesse et c’est râpé ! Je retombe dans mon vice, comme l’alcoolique qu’on croit désintoxiqué mais qui se file des gorgeons en loucedé dans les gogues où il a planqué sa potion magique.

Le mieux c’est de ne pas m’en vouloir, me tolérer tel quel. Si on ne prête qu’aux riches on ne pardonne qu’aux pauvres.

Donc, je regarde autour de moi et, au lieu des méchants en arme que j’escomptais, je ne découvre que des dames en tenue de soirée. Extra, non ? Elles sont quatre. Belles et jeunes. Luxueuses ! D’une rare élégance. Très brunes, sauf une qui s’est fait faire des mèches blond cendré. Un feu d’artifice pris en photo, mes gueux. Les toilettes n’ont pas été achetées à Carnaby-St, croyez-moi. Made in Paris, tout ça ou peut-être Roma. De la soie ! Du satin ! Ça brille, ça luit, ça reluit, ça éclabousse ! Ça miroite à la lumière délicate des loupiotes de cristal. Ces dames portent des bijoux dont le plus modeste renflouerait le déficit de la S.N.C.F., mais leurs décolletés constituent les plus beaux joyaux de la collection. Pas une qui minimise du balconnet ! Toutes ont la pointure « Mon Régal ». Lala, Madame Gontrant, ces armoires à pharmacie ! Je quitte l’une pour plonger dans l’autre ! De quoi se goinfrer ! S’en faire péter la ceinture de chasteté ! Ces Totor, mes amis ! Ces super-berlingots ! On m’inviterait à me servir, je ne saurais pas lesquels choisir. Ce que j’aimerais jouer à colin-maillard !

Les quatre personnes sont à table. Il y a cinq couverts de mis. L’une d’elles me désigne la place vacante.

— Please ! dit-elle.

Dites, sérieusement, on joue les Mille et Une nuits dans ce bouquin, non ? Ça tourne au fantastique, brusquement ! À la féerie du jeudi après-midi pour les mouflets. Ce cinquième couvert qui m’attend parmi les fées… Un rêve en technicolor !

— Mesdames, fais-je en m’inclinant bas, je suis dans l’émerveillement. Je suppose qu’il s’agit d’un film et que le réalisateur va crier « moteur » ?

Elles se regardent. Puis leurs merveilleux visages se tournent vers moi.

Ensemble, elles ont un geste des mains et des épaules pour me laisser entendre qu’elles ne me comprennent pas.

— Voudriez-vous dire que vous ne parlez pas anglais ? leur demandé-je.

Celle qui m’a lancé le « Please » fronce les sourcils, comme quelqu’un qui n’est pas certain d’avoir compris ce qu’on lui dit, puis finit par murmurer :