— J’espère que vous ne croyez pas un truc pareil, Mac ?
— Je crois ce que je vois, Sané. Vous me décevez bougrement. Que vous est-il arrivé ces dernières années pour que vous changiez de la sorte ? Quelle peine de cœur ou quelle plaie d’argent vous a conduit à cette misère ?
Non mais, dites… Il commence à me briser les précieuses, cet olibrius. Je voudrais lui dire qu’il n’est qu’un sale emmanché de poulet britiche, mais outre que ce serait long à lui expliquer, il ne me croirait qu’à demi.
— Où m’a-t-on retrouvé, Mac ?
— Dans Soho, à quatre heures du matin. Vous faisiez du scandale et vous avez failli étrangler une prostituée. Il a fallu trois bobbies pour vous neutraliser. Afin de vous calmer, un médecin a dû vous faire une piqûre… Une de plus ! croit-il devoir ajouter en caressant sa moustache de matou en chaleur.
— J’ai été victime d’un coup fourré assez extraordinaire, Mac.
— Je serais curieux de connaître ça, murmure mon confrère, d’un ton tellement incrédule qu’il découragerait un camelot, un démarcheur en assurances ou un représentant en vins.
Courageusement, je pars à l’assaut de son scepticisme.
Je lui relate notre visite à l’Agence O’Stbitt et ce que j’y ai appris concernant le restaurant où Huret fut repéré. Ensuite, je résume mon enquête dans St John’s Wood, enquête qui m’a conduit chez la mère Ferguson et j’explique le rôle joué par le faux inspecteur Morlan. Je passe au yacht sur la Tamise, à l’étrange réception des quatre Brésiliennes pour terminer sur ma perte de conscience au plus profond des voluptés.
Si après mon récit Mac Heckett ne se tapote pas le menton c’est uniquement parce qu’il a une incisive gâtée à la mâchoire inférieure.
Les enlèvements par de faux flics, le bateau fantôme, la réception féerique, l’orgie sous la table, tout ça déballé par un gus qu’on a trouvé dans Soho en plein délire et dont les fesses ont reçu plus de coups d’aiguilles que Caroline Chérie de coups de sabre, ça l’agacerait plutôt, Mac. Il toussote dans le creux de sa main.
— Reposez-vous ! dit-il. On va vous fiche en cure de désintoxication, Sané. Lorsque vous irez mieux je demanderai à vos supérieurs d’envoyer quelqu’un ici pour régler tous ces ridicules incidents que vous avez créés, votre mère et vous. Je vous l’avoue, j’apprécie peu votre rôle dans cette affaire. Quand un officier de police se met à travailler à titre officieux, c’est qu’il y a des choses pas catholiques sous roche ! Et cela peut très vite devenir mauvais pour sa carrière, surtout si, par surcroît, il s’adonne aux stupéfiants.
Ayant lâché son sermon, comme une machine haut-le-pied lâche son jet de vapeur, le Sup’ se dirige vers la porte de ma chambre. Il l’ouvre grande, sans doute pour me permettre d’apercevoir le bobby assis dans le couloir, face à ma chambre.
— Mac, pour l’amour du ciel ! m’exclamé-je, vous ne pouvez pas me laisser dans ce merdier. Il faut me croire ! Je peux vous prouver ce que je dis. Cette madame Ferguson existe. Elle vous confirmera ma visite chez elle et celle des faux policiers qui m’y ont arrêté.
Le Superintendant revient sur ses pas en laissant la porte bâiller. Il empoigne le montant de métal du plumard et articule avec difficulté, ses maxillaires étant paralysés par la colère.
— Une fois que nous avons su sous quel faux nom Huret séjournait à Londres, il ne nous a pas fallu plus de deux heures pour retrouver son adresse chez la dame Ferguson, Sané, car les particuliers qui louent des chambres sont tenus de déclarer leurs pensionnaires.
— Eh bien alors ! attaqué-je.
Mais Mac Heckett glapit :
— Eh bien alors, nous avons rendu visite à cette femme, très peu de temps après vous. Si, effectivement, elle nous a parlé de votre visite, elle n’a pas soufflé mot de celle des soi-disant faux inspecteurs du Yard ! Selon elle, vous ne paraissiez pas dans votre état normal ! On aurait dit que vous étiez pris de boisson, c’est la phrase qu’elle a employée. Pris de boisson ou d’autres choses !
Il branle le chef, bien qu’étant chef lui-même :
— Ah ! Sané, Sané ! murmure-t-il, un poil nostalgique, un type comme vous… En arriver là !
Il se taille avant que j’aie pu émerger des stupeurs insondables où il vient de me propulser.
On est bien dans un plumezingue pour réfléchir. La position horizontale aide à phosphorer. Comme mon esprit, doucement, se désembrume, je le prends par la main histoire de l’emmener promener sur les sentiers du doute.
Je me dis sans frénésie aucune, mais en homme d’action qui vient de se faire désarçonner par un cheval sauvage : « Mon grand chéri, faut pas te mettre un coussin sous les fesses. Remonte en selle sans attendre et fonce. Seulement, avant de chevaucher ton alezan fougueux, fais bien le point de la situation. Quand on la complique, la vérité ressemble à un numéro de travesti. Essaie donc d’arracher son slip et tu sauras où tu en es. »
Bon Dieu, en quarante-huit heures, je l’ai pourtant résumée, l’affaire ; analysée, décortiquée… Probable que je m’y suis mal pris. J’ai dû passer devant la solution sans la voir…
Au boulot, San-A. ! T’as assez déchu comme ça aux yeux du Yard. On te prend pour un branque, un combinard et un drogué. C’est trop ! Pouce : je traverse !
Y’en a déjà pas mal de pièces à ce puzzle. Des bien astucieuses qui peuvent s’emboîter différemment, compliquant tout. On part sur de faux édifices.
— Vous n’avez besoin de rien ? me demande une voix harmonieuse.
Je tourne la tête. L’archange blond entrevu à mon réveil est là, de sexe extrêmement féminin, contrairement à la foutue tradition qui veut que les anges n’aient pas de sexe. Ah ! le joli brin de muguet que voilà ! La main de San-A. va passer par là, sitôt qu’il aura récupéré pleinement et se sera concentré.
Une longue fille blonde, rieuse, avec des yeux vert sombre, une bouche épaisse, une mèche qui lui danse devant le visage, mettant de la coquinerie dans ses expressions. Sa taille est si mince que je pourrais lui confectionner une ceinture (pas de chasteté, oh que non !) avec mes deux mains. Par contre, sous la blouse blanche, elle laisse vagabonder une poitrine que l’absence de soutien-gorge rend plus évidente, plus présente, comme on dit dans les romans d’aujourd’hui.
Mon infirmière ! Ils me l’ont choisie sur mesure au St Stephens Hospital. Une garde-malade pareille, je connais des P.D.G. qui en feraient leur secrétaire particulière. Elle a tout ce qu’il faut pour prendre le courrier sur l’accoudoir de votre fauteuil, excepté peut-être des notions de sténographie, mais qu’est-ce qu’on en a à branler de la sténo, je vous aske un peu ?
Je la mate minutieusement avant de répondre. La parcours centimètre carré par centimètre carré pour ne rien en laisser perdre, me l’annexer de la rétine.
— Vous ne comprenez pas l’anglais ? s’inquiète-t-elle, par suite de mon mutisme.
— Si, fais-je, mais je laissais les ondes de choc finir leurs effets avant de vous répondre.
— Quelles ondes de choc ?
— Celles qui suivent votre apparition, miss. Heureusement qu’on ne m’a pas amené ici pour un infarctus, sinon je me pétais l’aorte. Mettez votre tête sur mon oreillette et vous entendrez un sacré remue-ménage dans ma cage thoracique. Vous avez déjà rencontré des cœurs affligés de la danse de Saint-Guy, vous ?
Elle sourit.
— Il semblerait que vous délirez encore, non ?