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— Quel homme normalement constitué ne délirerait en vous voyant ? Dites-moi, mon petit, je parie l’argent que j’ai sur moi contre un baiser que votre slip est assorti à vos yeux.

— Vous vous trompez ! pouffe l’apparition.

— En ce cas prouvez-le moi !

Elle me trouve rigolard pour un camé émergeant des délires furieux. Je vois dans sa prunelle que mon attitude lui pose des problèmes.

— Mon petit cœur de Ninon, poursuis-je, c’est Dieu qui, dans Sa Grande Bonté, vous a placée sur ma route. J’ai besoin de votre aide…

— Vous voulez la bassine ?

— Pour qui me prenez-vous, ma poule ? J’aime le confort, mais jusqu’à un certain point. Je suis victime d’une grave méprise. Des bandits m’ont enlevé et drogué afin de me compromettre en me neutralisant.

Elle opine.

— J’ai déjà lu ça dans la collection « Crime pour tous ». Mais la victime était un acteur célèbre.

— Ne charriez pas, ma gosse, entre gens extrêmement beaux on se doit aide et assistance car c’est la plus rare des franc-maçonneries. La seule chose que je vous demande c’est de prévenir ma famille que je suis ici.

Elle fait la moue.

— Désolée, le superintendant a interdit qu’on téléphone ou qu’on se charge d’un message quelconque pour vous.

— Vous êtes de la police ?

— Oh, non, je…

— Indicatrice, peut-être ?

— Non, mais dites donc…

— Vous fâchez pas, je cherche à comprendre… Généralement y’a que les mouchards patentés qui sont à la botte des flics. J’en sais quelque chose, étant officier de police moi-même. Bon, excusez-moi d’avoir espéré en votre compassion…

Je prends une pose moelleuse et ferme les yeux. La môme ne sort pas. Elle me contemple (avec, je suppose, une certaine complaisance, et comme je la comprends !).

— Mon frère se morfond à l’hôtel Hilton, soupiré-je, les paupières toujours closes. Il est archevêque de Saint-Nom-la-Bretèche, et c’est un saint homme qui ne mérite pas de se ronger le sang, comme le font sur le rivage les enfants d’un pélican dont le vol a été détourné sur Cuba. Monseigneur Bérurier ! Si un simple fil anonyme l’avertissait que son frère Antoine est au St Stephens Hospital peut-être ménagerait-il ses coronaires délabrées… Il accumule les thromboses, le pauvre chou, et ne tient le coup que grâce à des bénédictions papales hebdomadaires. Si je vous disais : la fois que Paul VI est allé à Bogota, mon frère a failli y passer.

La môme éclate d’un rire jeune et fou, frais et frivole ! C’est beau, c’est bon, c’est émouvant, une fille qui rit.

Puis elle quitte la chambre sans ajouter un mot.

Peut-être cèdera-t-elle à ma supplique. Elle est moins truffe que Mac Heckett, cette petite. Elle le sent bien que, malgré les apparences, je n’ai rien d’un intoxiqué. Car, voyez-vous, mes frères, la dernière des gonzesses possède plus de flair que le premier des flics !

Par la fenêtre grillagée, je vois danser des frondaisons. Je dois me trouver au deuxième étage de l’hospital.

Dans la chambre voisine, une dame geint à intervalles réguliers. C’est lugubre, désespérant. Elle paraît chanter sa souffrance. J’essaie de l’imaginer… Elle me semble vieille. Quel mal la terrasse ? Comme elle a de la difficulté à larguer les amarres, la pauvre. Je me dis que ça finit toujours turpitudement, la vie. Les hommes avancent tout guillerets vers la bouche d’ombre. Se croyant sans cesse protégés, sauvés même ! Sans comprendre qu’ils cascadent de rémission en rémission jusqu’au gouffre. Et puis le moment vient ! Les râles de la femme d’à côté, ce sont aussi les miens, les nôtres. Elle psalmodie notre trépas à tous. Dans le silence, ça prend des proportions hallucinantes. On dirait presque des cris d’orgasme. Y’a-t-il loin des plaintes de la jouissance à celles de l’agonie ? L’une et l’autre ne se rejoignent-elles pas ?

Pour ne plus entendre je me bouche les entonnoirs avec l’oreiller. M’efforce de faire dériver ma pensée. Occupe-toi les idées, San-A.

Nous disions donc, à propos de l’affaire… Rien encore. J’allais plonger quand la mignonne est entrée…

Huret… Georges Huret… Sa bouille blafarde… Ses yeux de pierrot navré. Son expression craintive… Pendant des années il a travaillé à sa banque. Ponctuel, honnête, poli, précis. Bref, l’employé modèle. Celui qui veille farouchement sur le pognon des autres. Des années… Il vit seul dans son invraisemblable appartement où il se confine en religion dans le culte d’un père mochement disparu. Son hobby ? Il collectionne des monnaies anciennes et s’adonne au spiritisme. Chez lui, comme dans certaines peuplades primitives, la foi religieuse tourne confusément au vaudou. Et puis un jour, ce petit bonhomme rangé, ce petit employé mystique accomplit un exploit stupéfiant d’audace dans le domaine criminel. Il exécute quatre fausses clés, vide les coffres de quatre clients et fiche le camp en Angleterre sous un faux nom.

Bien, respecte un temps mort, San-A. afin d’analyser cette première tranche de résumé. Comme jadis, à l’école : commentaire de texte. Vas-y doucement, presse pas le mouvement, réfléchis bien…

Première constatation, sur les quatre volés deux se sont particularisés : Xavier Basteville en venant déposer une petite fortune sur ta table pour que tu lui récupères une mystérieuse enveloppe ; Otto Buspériférick en se suicidant après avoir chargé une officine britannique de retrouver Huret. Les deux autres volés, eux, sont restés dans l’anonymat, probablement parce que ce sont ce que j’appellerai des « volés normaux ». On ne leur a dérobé que des valeurs : titres, or ou bijoux. J’ignore même leurs noms. Ils doivent tempêter chez les assureurs, les conseillers financiers, rameuter leurs avocats-conseils, mais ils n’ont pas d’enveloppes énigmatiques ni de documents ultrasecrets à récupérer coûte que coûte !

Maintenant, seconde constatation. Basteville avait également dans son coffre une monnaie rarissime (dont la perte, d’ailleurs, lui semble vénielle par rapport à celle de l’enveloppe jaune). Il apparaît donc que le volé et le voleur ont une marotte commune : la numismatique. Ne pas oublier cet élément, peut-être s’agit-il d’un hasard, mais peut-être pas !

Troisième constatation : Buspériférick était d’origine allemande, bien qu’il eût un passeport brésilien. Je suppose qu’il s’agissait d’un ancien nazi expatrié.

Or, le père Huret est mort pour avoir collaboré avec les nazis. Le rapport paraît très ténu, mais il existe !

Quatrième et dernière constatation consécutive au premier paragraphe de mon abrégé : Huret était un adepte du spiritisme. N’y aurait-il pas là une explication de sa conduite ? Ne peut-on imaginer que, pour l’accomplissement de ses forfaits, lui le falot, lui le pleutre, il a été manœuvré par une volonté extérieure ?

Je pousse un peu trop, selon vous ?

C’est bon, ça. Toujours foncer au plus loin, mes braves bardots, franchir les limites vous donne accès à des plénitudes. Les conquêtes se font toujours à l’extérieur (sauf les conquêtes de l’âme).

Continuons l’examen des événements.

Que fait Huret parvenu à Londres, ville dont il ignore tout, n’y ayant jamais mis les pieds ?

Il descend dans un quartier précis, légèrement excentrique, et cherche un logement. Il en trouve un chez une vieille femme et commence d’y mener une petite vie foutriqueuse, en attendant quelqu’un. Quelqu’un à qui il a bien dû faire parvenir son adresse, selon toute logique ! En pauvre bonhomme paumé, il se tisse déjà de nouvelles habitudes. S’alimentant au même restaurant, accomplissant la même promenade, menant dans sa petite piaule une vie sédentaire et y réinstallant la panoplie de sa mystique… Cela dure huit jours. Après quoi il se rend chez un numismate où, par un prodigieux hasard, le célèbre commissaire San-Antonio[25] est précisément en train d’enquêter sur lui. Il trucide le numismate (bien qu’il ait nié devant maman, je continue de lui mettre le meurtre sur le dos), saute dans un taxi et se fait conduire à l’aéroport.

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25

Et alors ? Ça vous gêne ?