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— Tu as bien fait de bien faire, ma Guenille. On étudiera ta cueillette à la maison.

Je vous l’ai déjà dit que ma Félicie c’est la reine du grog toutes catégories ?

Oui, me semble.

Une somptuosité ! Elle a une façon à elle de caraméliser le breuvage qui vous veloute l’estom’ au passage. Et puis aussi, j’sais pas, elle y flanque de la cannelle et son brûlot vous enchante le clapoir.

— Tu n’as pas de frissons, mon Grand, c’est bien sûr ?

— Certain, M’man, t’inquiète pas…

— Par mesure de précaution, tu devrais prendre deux aspirines.

— D’accord, sinon tu ne seras pas tranquille.

En robe de chambre ouatinée, les pieds dans des charentaises de curé, je déballe le contenu du portefeuille au valdingueur.

Il contient de la fraîche, en dollars et livres anglaises. Un gentil pacsif ! Au cours du jour, ces coupures représentent quelque vingt mille balles. Il y a en outre un billet d’avion délivré par Air-France pour Bombay, en first, établi au nom de Claudius Monbraque. Le vol est pour cette noye. Départ 23 h 50. Un feuillet de carnet Hermès est épinglé au billet. Je lis ces quelques lignes : « L’homme sera à l’aéroport. La soixantaine, petit, cheveux blancs. Se nomme Hivy Danhladesh. Reconnaîtra à l’embonpoint. »

— Intéressant, non ? observe Pinaud qui prend connaissance en même temps que moi de ces différents documents.

— Pas mal, conviens-je.

Sur ce, le téléphone sonne.

— Veux-tu que je réponde ? lance ma brave femme de mère depuis sa cuisine.

— Laisse, je m’en charge. C’est sûrement Béru, je lui ai dit de me tuber dès qu’il aurait fait peau neuve.

Comme quoi on peut se gourer dans ses hypothèses, même quand on est poulet génial.

Car en réalité, c’est le Vieux qui me turlute.

— Ah, San-Antonio, exulte-t-il, je vous cherche partout. Un travail urgent, mon cher.

— Quel genre, patron ?

— Genre meurtre. Le fils Merdre, des laboratoires Fossat-Merdre, vient d’être assassiné.

Hé, dites, les gars, ça n’a jamais fait « bloing » dans vos vastes tronches désertes, quéquefois ? Si, je gage. Car si vous raisonnez peu, vous résonnez par contre beaucoup.

Bien que mon cerveau soit aussi garni que le salon de Mme Sarah Bernhardt, il forme caisse de résonance sous l’effet d’une stupeur considérable.

Le « bloing » qui s’y perpètre, à cet instant, n’est point sans évoquer un coup de cymbale dans du Wagner de la bonne année. La surprise est à percussion, toujours.

— J’v’ d’mande pardon, m’s’ l’d’recteur, lâché-je dans un râle, comme une chambre à air crevée exhale ses reliquats.

Le Vénérable reprend :

— Vous avez sans doute entendu parler des laboratoires Fossat-Merdre, je suppose ?

— Oh que oui, Patron !

— Eh bien, le fils de Célestin Merdre, leur P.D.G., vient de se faire descendre, mon cher. Un garçon de valeur. Brillant chimiste et hockeyeur réputé, sélectionné en équipe de France, s’il vous plaît.

— Où et quand la chose s’est-elle produite ?

— Sur le chemin conduisant aux établissements Fossat-Merdre, à Corbeil-Essonnes. Il était à motocyclette. Une voiture non identifiée s’est littéralement jetée contre son bolide au moment où il passait. Deux hommes dont on a pu avoir le signalement, Dieu merci, ont bondi de l’auto pour s’approcher de leur victime. Comme le malheureux garçon remuait encore, l’un de ses agresseurs l’a achevé d’un coup de clé anglaise sur la nuque. Mais l’arrivée d’un livreur du laboratoire les a mis en fuite. Occupez-vous de cela tout de suite, mon cher.

— J’avais pratiquement pris les devants, Patron !

— Pardon ?

Je lui crachouille les aventures de la journée. Pas fâché, soit dit entre nous, d’époustoufler le Vioque. Je l’entends qui bave de stupeur sur le cuir de son sous-main. Il toussote par instants, pour préparer les exclamations ponctueuses.

Faut dire que c’est payant comme histoire, non ? Vous parlez d’un chouette début d’enquête, avec garniture de gelée sur fond de cresson ! Comme vous ne disposez pas de trois ronds de gamberge, je te m’en vas vous résumer le topo, suivant ma bonne habitude. Assistance à personnes en danger de non-compréhension, moi, toujours ! Ce qui contribue le plus à mon succès, c’est que je suis un auteur commode. Je facilite. Le mâcheur-type. Vous n’avez plus qu’à déglutir. Ne négligez rien pour votre confort intellectuel. Votre cervelet évanescent peut faire de la chaise longue. On me suit avec un minimum de matière grise. J’en ai même rencontré qu’étaient demeurés à bloc et qui me lisaient ! Si je vous disais tout : même des ministres ! Parole ! Mais c’est aux chiottes que je fais le plus de profit. Vous remarquerez… J’incite à l’aisance intestinale, à l’épanouissement de la tripe ! Je sais des toubibs qui me prescrivent, comme quoi je remplace les pilules laxatives sans qu’il y ait accoutumance de l’organisme. Ma littérature facilite les fonctions naturelles. Tiens, après un bon repas, au lieu de te farcir des sels effervescents, tu lis quelques pages de San-A., et le miracle s’accomplit. Le gaz part ! Je constitue l’évacuateur-type. Vous êtes ballonné, barbouillé, constipé ou autre ? Vite, un petit coup de Santantonio (comme ils disent) sur le pouce. Que même la maison Fernet-Branca voulait me filer un procès aux miches pour concurrence abusive ! Je jure ! Et que chez E.N.O. ils m’ont proposé une association. Ils souhaitaient m’absorber ! Fusion ! Infusion, oui ! J’ai répondu never, comme la botte du même nom. Autonome, Sana, toujours ! Le petit artisan de banlieue ! Le cordonnier des lettres (d’ailleurs y en a pas douze comme moi pour travailler les cuirs). M’absorber ! C’t’un privilège que je réserve aux dames. Et encore, je les sélectionne, leur fais passer l’examen de mon entrée ! Allez, oui, bon, faut que le boomerang termine sa trajectoire. Je vous causais du résumé.

Le voici.

Inscrivez-le bien dans vos pauvres petites mémoires merdeuses. Il vous servira. Et même, je vous préconise de le recopier sur un papelard, manière de pouvoir le tenir à disposance. Que par la suite, quand ça va péripétier monstrement, vous n’aurez plus le temps de vous glisser l’index dans l’oléoduc pour tourner ces pages en marche arrière, mes belles ! Vous jetterez un regard à votre petit carton. Comme on mate le signet du guide Kléber pour se resignifier les symboles, se rappeler d’à quoi rime la marmite ou bien le coq couronné rouge. La marotte des hommes, c’est de s’entre-tuer ou bien de s’entre-noter. Il se filent des étoiles, se les retirent, se mettent des appréciations. Méritent un détour, ou un contour ! Le théâtre, cinoche, la bouffe ! Allez pas chez Duglandu, les assiettes ne sont pas assez chaudes et les tableaux sont de travers dans la salle. Promouvoir, dans le fond, c’est brimer. Créer le grade n’assure pas l’autorité des gradés, mais l’humilité des non-gradés ! La récompense implique l’injustice. L’émulation balise les chemins du renoncement. Et puis, tarte ! Qu’est-ce que vous en avez à masturber de ce charabia, hein ? Je me ravale au niveau du prosateur professionnel en cherchant à faire étalage de ma pensée. Dans la vie, y a que du boudin. Et des boudins !

Qui s’emboîtent.

Le résumé, le voici donc.

Par le plus grand des hasards jamais enregistrés dans un Santonio de l’époque crémeuse, la police a arrêté un entraîneur de l’équipe hindoue de hockey sur glace.

Malmené au concours de passage à tabac, l’homme en question a révélé que le goal de son équipe portait une combinaison de jeu truffée de 20 kilos d’héroïne. Il a précisé que cette combinaison devait être remise à des trafiquants français à l’issue du match Inde-France.