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Le Gravos pourprit et s’étrangle.

— ’scusez-moi, sieur le dir’c’teur, bafouille l’Hénorme, j’esprimais juste pour dire. J’sus tout à votre ouïe.

Le Big Boss hausse les épaules.

— Confidentiellement, donc, dans tout ça, une seule chose m’intéresse : l’héroïne !

— Nous z’aussi, m’sieur le directeur, s’affale le Mafflu, seulement elle a filé comme une salope tandis que pendant on barbotait dans la piscine.

Le Scalpé frappe son sous-main avec sa règle d’argent massif.

— Je vous parle de l’héroïne-drogue, Bérurier ! Êtes-vous totalement borné ou vous moquez-vous de moi ?

— Je ne me moque pas de vous, M’s’ l’dir’t’r, s’étouffe l’interpellé.

Pour bien affirmer son mépris, le Vénérable se tourne délibérément face à moi afin d’abandonner l’ignoble à ses morosités.

— Vous n’ignorez pas que, dorénavant, la drogue est notre hantise. En haut lieu, on nous a donné des consignes formelles. Lutte à outrance. Moi, ce que je vois dans cette affaire, c’est l’héroïne. Elle arrive de l’Inde. Et qui trouvons-nous, côté français ? Un directeur de laboratoire pharmaceutique et son fils ! C’est clair, non ?

— Non, assuré-je courageusement.

— Ah bon ? grince le Vioque.

— Généralement, fais-je, la drogue arrive brute d’Asie pour être traitée en France. Ici, on l’apporte sous sa forme définitive. Quel serait le rôle du laboratoire, en ce cas ?

Mon objection, comme chaque fois, agace le Patron. Il ne souffre jamais la contradiction. Il croit en son infaillibilité. Elle est nécessaire, comme toujours aux puissants de ce monde. Il n’est pas gênant qu’un chef se trompe. Mais il est catastrophique qu’il admette son erreur.

— Dites donc, San-Antonio, dites donc. Cette héroïne, l’avez-vous vue ? Non, puisqu’elle a brûlé. Nous n’avons que l’affirmation de ce suspect, appréhendé et interrogé par le plus grand des hasards.

— En effet, monsieur le directeur. Aussi pensé-je que nous devrions procéder d’urgence à un nouvel interrogatoire de cet Hanjpur-Hanjrâdhieu. Il prétendait ne pas en savoir davantage, mais il serait bon de s’en assurer.

— Je le fais amener immédiatement, admet le Dirlo.

Il décroche son bigne et lance un ordre.

— Ce qui me tarabuste, reprend le Super-Chauve, c’est toute cette mise en scène du goal volontairement estourbi et qu’on évacue. La planque dans la combinaison était suffisamment bonne, en soi, pour permettre un échange discret de l’héroïne contre de l’argent…

Je lève la main.

— Vous permettez, Patron ? Qui nous dit que la drogue devait être échangée contre de l’argent ? Peut-être est-ce là que les laboratoires Fossat-Merdre jouent un rôle ?

— Nous l’apprendrons vite. J’ai ordonné la mise en place du dispositif Mimosa afin de retrouver Merdre, les meurtriers de son fils, et votre Hindoue.

Le biniou chantonne.

— Oui ? hargnit le Vieux.

Comme on dit dans les beaux livres bien écrits, « son visage se transforme ».

— De quelle façon ? insiste-t-il.

Il écoute. Sa calvitie scintille dans la lumière du déflecteur.

— Bon, soupire-t-il en raccrochant, ita est.

Il croise ses belles mains de pianiste et se met à nous contempler pensivement.

— Rien de fâcheux ? demande timidement Pinuchet.

— Et de six ! annonce le Vieux.

— Célestin Merdre ? demande âprement, presque triomphalement, César-la-Guenille.

— Non, l’Hindou.

— Quel Hindou, monsieur le directeur ? questionné-je vivement, car il est difficile, phonétiquement, d’exprimer un « e » muet placé à la fin d’un mot tel que « hindou ». Je pense à la fille, comprenez-vous ?

— Celui qui vous a mis au parfum, mon bon.

— Hanjpur-Hanjrâdhieu ?

— Soi-même : il s’est pendu dans sa cellule.

Nous demeurons un moment sans parler.

Le silence étant, dans les cas extrêmes, le meilleur moyen d’expression.

Et puis, la Calbasse hasarde ces belles paroles, empreintes d’un sens de la logique étourdissant :

— En somme, ça devient comme si ça serait dramatique, mais en plus violent, non ?

On le défrime.

On l’envisage.

Il est calme, boursouflé, plein de graisse et de pensées en haillons.

Enhardi par notre mutisme, et le prenant pour de l’intérêt, Bérurier se croit invité à poursuivre son allocution.

Il le fait.

Il le faut.

— Ordinairement, ça raisiné pas, dans les affaires de came. On dit : les trafiquants, les trafiquants. Bon : les trafiquants ! Mais moi, j’ojecterai : « quoi, les trafiquants » ?

Ébloui, réchauffé par son préambule, il déboutonne sa canadienne de maquignon ruiné.

— Un trafiquant, reprend-il, c’est quoi t’est-ce, sinon un simple commerçant ? D’accord, je vous cède le con, ce commerçant-là laisse quimper la tévéha et paie ses impôts chez Plumeau. En outre et d’autre part, ses activités sont illicites et punises par la loi selon l’artic’ j’sais plus combien de j’sais pas quoi, soite j’inconvéniens ; mais en prose, en vers et contre atout, y reste commerçant. Pas porté sur la chicorne. Discret à raser les murs. Dans la camouze ça s’étripe pas bécif. Or, pour le cas présentement actuel, y se passe quoi t’est-ce ? Verdun, messieurs ! Et j’assaisonne çui-là ! Et je te me fous par la fenêtre ! Et je te me pends ! Et cétéra et cétéra ! Tant qu’à la fin, moi, Bérurier, policier espérimenté qu’a pas sa cervelle dans sa poche percée, j’induis à me demander ceci : « Mais sacré nom d’Dieu, pourquoi ce méchant bigntz ? Caisse y différencie la présente histoire de drogue d’une aut’, hmm ? » Et m’étant eu posé la question, je m’apporte sur un plateau la réponse suivante ci-dessous : biscotte on a affaire à des Hindous ! Vous entendez ce que je cause ? À des Hindous ! Ces bonshommes, c’est mystère et bulldozer. Y n’font rien comme tout le monde. Pour piger leurs giries faut avoir suivi des cours de planches à clous à la faculté de fakirerie d’Ocalcutta. À dater de l’instant où l’adversaire dont tu combats a d’autres mœursaults que les tiens, t’agis à contresens, dou you pigez it ?

Époumoné, il se tait.

Le voilà cramoisi, le chéri.

J’attends une explosion du Vieux.

Elle se produit en effet. Mais pas dans le style prévu.

— Bravo, Bérurier !

— N’est-ce pas ! exulte l’Ampleur.

— Pour filandreuse qu’elle paraisse, votre démonstration n’en est pas moins éblouissante, continue notre honoré Patron.

— J’en avais la prétention, rétorque fermement Bérurier. L’intelligence, même si elle trouve pas ses mots, reste intelligente.

— C’est vrai, Bérurier, c’est vrai. Mais dites-moi, combien pesez-vous, mon ami ?

La question accroît la stupeur ambiante.

— Moi ? bafouille (et pourtant c’est dur de bafouiller sur une seule syllabe) le Gros.

— Oui, vous.

— Nu, ou en tenue de pêcheur à la ligne ? Parce qu’en tenue de pêcheur, rien que les cuissardes, déjà…

— Nu, Bérurier, nu ?

— Nu, répète Alexandre-Benoît, d’un ton songeur. Laissez que je vous dise pas de connerie. Nu, je vais chercher mon quintal !

— Cent kilos ? doute le Dabe.

— Grammes ! ajoute Béru. Cent kilogrammes, nuance !

— Seulement ?

Le Mastar rougit, son regard balbutie.

— Écoutez, m’sieur l’dir’c’teur, ça dépend du moment de la pesée, nécessairement. Si je me pèserais en sortant de table, il est évident[9] que mon poids subirait une fluction. Bon, chipotons pas, je vais vous faire une cotte de maille taillée : ajoutez dix pour cent d’intérêts et vous tomberez dans l’énorme.

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9

Du verbe « évider ».