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Par moments, le train ahaneur ralentit. La chaleur nous tombe alors sur le poiluchard comme un seau de goudron en fusion. La loco s’époumone dans les rampes. Ses roues patinent. Ses bielles en perdition gueulent au secours ! Mais personne ne leur vient en aide. Un train qui dessert la province du Bandzob, il peut toujours courir pour ce qui est d’être secouru. Tiens, fume ! C’est le cas de le dire…

— Vous n’êtes pas trop dépaysés ? murmure Hivy Danhladesh.

— Pensez-vous ! ricane l’Hargneux, on se croirait dans le métro, sur la ligne Dauphine-Nation. Et, bien entendu, vous n’avez rien à boire non plus ?

— Hélas non, nous sommes très ascétiques, vous savez ! déplore le vieil homme.

— Assez tiques et assez cons, grogne l’Obèse. Quand vous recevez des invités de ma marque, vous pourriez quand même faire un effort, quoi, merde ! Moi, quand j’retourne à Saint-Locdu-le-Vieux, mon pays natal, qu’est pourtant un tout petit bled, tout le monde met les pieds plats dans l’écran.

Il se met à lorgner les paniers qui nous cernent.

— V’z’allez pas me faire croire que ces pèlerins s’sont embarqués sans boustiffe, dites ! Doivent bien avoir un petit quéque chose amusant à se filer dans la pipe, vu que l’air du temps, ici, elle m’a l’air trop cuite, qué calor, mon z’ami !

Tandis qu’il geint, lamente et vitupère, j’entreprends le Vieux. Huit plombes de dur, vous parlez ! Si je n’arrive pas à lui extraire les lombrics du blair pendant cette promenade hautement apéritive, c’est que je suis l’antépénultième des pommes (il restera toujours Béru et Pinuche après moi !).

Avant de le chambrer, je récapitule mentalement les indices déjà mis sur ordinateur.

Hivy Danhladesh appartient à une secte.

Cette secte est sur le point de conclure un accord avec le pseudo Claudius Monbraque.

Auparavant, Monbraque doit faire une démonstration à ces gens.

De quel ordre ?

Le fait qu’il eût été lié avec Merdre, chimiste éminent et directeur d’importants laboratoires pharmaceutiques est-il à retenir ?

Quelque chose me dit que oui !

Dans le fond, le Vieux a été un peu impulsif en nous dépêchant à Bombay. Auparavant, il eût mieux valu en savoir davantage sur Monbraque. Mais le ratiboisé de la houppe est obnubilé par la drogue ! Dès qu’il s’agit de « blanche », il voit rouge ! L’avait trop peur de rater la filière. Alors il a confié l’enquête parisienne à Pinuche et nous a embarqués dare-dare pour les comptoirs de l’Inde. Tu bondis, chéri, dans les champs d’Ernagor !

— Vous êtes nombreux, dans votre secte ? hasardé-je.

Hivy Danhladesh me sourit.

— Des millions, Dieu merci.

— Je veux dire, à Khunsanghimpur ?

— La moitié de la population en fait partie. Vous savez : il le faut. L’Inde est acculée au progrès. Nous vivons une époque qui ne pardonne pas.

— Et beaucoup de gens sont au courant de… heu… l’expérience ?

— Non. Avant d’ébruiter la chose, nous voulons nous en convaincre.

Il ajoute vivement et sur un ton d’excuse :

— Remarquez que, personnellement je suis convaincu. Mais les autres dirigeants de ma section ont besoin de preuves tangibles. Comment se propageraient les miracles s’ils s’opéraient sans témoins ?

— Et, une fois qu’ils auront admis le… la chose ?

— Alors ce ne sera plus qu’une question de propagande, s’enflamme Danhladesh. Nous répandrons la nouvelle, ferons des adeptes et peu à peu, l’émulation opérera.

Nous sommes interrompus par le Mammouth.

— Non, mais y en a qui s’gênent pas ! tonitrue mon collaborateur.

Il me montre un vieil Hindou, style fakir, lequel est occupé à déféquer sur le marchepied de notre wagon.

— Tu te rends compte qu’on roule en feurste et qu’a pas de chichemanes ?

Il se tait, médusé. Ce qui suit appartient à la magie. Figurez-vous que le fakir s’est relevé et a regagné la plate-forme du wagon sans s’être reculotté. Il prend une grosse bande de gaze dans un cabas et se fourre une extrémité d’icelle dans la bouche. Il a un léger mouvement de mastication. La bande se déroule lentement. L’homme déglutit à tout bout de champ.

— Tu crois qu’y la bouffe ? chuchote le Grrrrros, intimidé.

— Oui.

— Sans boire ?

La bande continue de se dévider. Bientôt, elle a presque totalement disparu, exception faite d’une vingtaine de centimètres qui pendent de la bouche du bonhomme.

Nous deux mis à part, personne ne lui prête attention.

Chacun continue de dormir ou de rêvasser dans les cahots du train.

— Non, mais mate ! mate ! exhorte Bérurier.

Le spectacle en mérite effectivement la peine. Le fakir (ou estimé tel par les néophytes que nous sommes) s’introduit deux doigts dans le rectum comme pour se saisir de quelque chose. Genre, le monsieur distrait qui se serait endormi avec son thermomètre dans le baigneur. Il doigtonne un brin et ramène, vous devinez quoi ? Oui : le bout de la bande de gaze !

— Faut le faire, non, bée Béru. Quand j’étais mouflard j’ai vu des avaleurs de sabre, mais un comme cézigue !

À présent, le déféqueur tient les deux extrémités de la bande dans chacune de ses mains et imprime à la bandelette un mouvement de va-et-vient, comme vous pratiquez pour vous frotter la chute de reins avec une serviette-éponge.

— Tu parles d’une manière de se torchonner le fignedé après usage, mon pote ! rigole Fleur d’innocence. Tu me vois pratiquer de la sorte av’c un rouleau de faf à train ? Dis donc : à la régalade !

Ayant achevé sa besogne, l’Hindou retire sa bande par le bas et entreprend de l’enrouler afin qu’elle soit disponible pour une prochaine séance.

Le Gravos lui touche le bras.

— Scouse-me, Sœur, aborde-t-il. Volume to montre me the combinaison, plize ? Hantise fort to épatate my bonne femme. Douille houx to pige bonne femme ? Nana ! Gerce ! Fumelle, what !

D’autor, il cramponne la bande de gaze du vioque et commence de se l’enfourner dans le clapoir.

— Et afteur, Mec ? questionne-t-il, la bouche pleine. Et afteur ? Préconise-moi, y a un truc, naturliche ! Montre-me it ! Montre-me it et je t’aboule un bifton de 10 roupettes !

Hivy Danhladesh dit quelque chose au fakir lequel se met à donner un cours d’avaleur à notre cher Mastar.

Les explications se font par gestes.

— Ah ! Aaaaah ! râle soudain l’Hénorme. Him semb’ que ça vient.

À cet instant, tout le convoi fait un boucan noir, comme si on attachait la tour Eiffel à la queue d’un chien.

On est jetés pêle-mêle ! Enchevêtrés ! J’ai ma tête sous le sari d’une dame ! On se débat ! Les roues continuent de ferrailler sur le rail brûlant. Les heurtoirs se tamponnent. Les wagons se marchent sur les pieds. C’est la cohue, le dessin Duboutien. Ça gueulotte un brin : des mômes tombés des blagues à tabac maternelles…

On s’ébroue, se récupère, se rattife tant bien que mal.

Et puis on s’informe à travers les confusions, les contusions.

Renseignement pris, il s’agit d’un troupeau de vaches sacrées qui est couché en travers de la voie. Hivy Danhladesh nous explique qu’on ne peut le chasser, il faut attendre que les bêtes se déplacent d’elles-mêmes avant de continuer.

— J’en avais entendu causer, articule Béru, coupé dans sa leçon de gaze, mais je croyais qu’c’était des bobards à la Jules Baliverne, genre Les cinq sous pour l’avoir raide !