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Il se tait, la pommette enflammée, la prunelle convoiteuse, de la bave aux babines.

— Dedieu ! exclame-t-il, ben le v’là not’ casse-graine. Un morcif dans le filet, même quand c’est taillé dans de la bestiole coriace, c’est pas négligeable !

Il fouille sa valoche à la recherche d’un couteau.

J’interviens : En pure perte. Il a faim, comprenez-vous ? FAIM ! C’est pire que la mousson, un Béru affamé. Plus terrible qu’un raz de marée, plus irrésistible qu’un cyclone.

Le v’là qui saute du dur.

— Où va-t-il ? demande Hivy Danhladesh, alarmé.

— Il veut tuer une vache !

— Quouâaaa ! ! ! ! ! !

Le petit vioque galope sur le ballast à la poursuite du Gros. Puis il s’immobilise et lance un cri strident.

— Regardez ! hurle-t-il.

Les Hindous sont penchés à l’extérieur et matent également.

Ce qu’ils fixent, de leurs pauvres yeux abasourdis ? Je vais vous le dire, bien que vous ne me le demandiez pas, ou peut-être à cause de cela car j’ai horreur des mendigots[12].

Ils regardent l’énorme couteau planté dans le large dos d’Alexandre-Benoît Bérurier.

Mais le plus stupéfiant, le côté hallucinant de la chose, c’est que Béru continue de marcher vers la tête du train comme si de rien n’était !

ARCHI PET DEUX

Il ne sert à rien de faire un pet dans l’eau pour en dissimuler l’odeur, tous les physiciens con-pétants vous le diront, avec preuve à l’appui. Je vous note ceci-cela au passage, à cause de ma tête de chapitre qui sonne tout bizarre au milieu d’un ouvrage de cette qualité. Vous savez combien j’estime fastidieux le découpage d’un livre en chapitres, c’est pourquoi — mes féaux le savent — je tâche à égayer cette nécessité en jouant avec ce mot « chapitre », pourtant tout bête et rabougri (tellement rabougri que j’ai bien envie d’y foutre un « s » manière que ça fasse plus… gris encore). Cette fois, j’en ai dégagé les ânes à grammes. Et puis voilà que la fantaisie des assemblages me donne le machin ci-dessus. Rigolo, non ! D’aucuns me prêteront encore des instincts scatologiques. Diront bien bas que je me complais dans les lieux d’aisances et je sais pas quoi encore ! C’est vrai dans la mesure où je les fréquente quelque peu : loi fait nécessité ! Pourtant, la main sur l’anus je peux vous jurer une chose, gentlemen et women : je ne pète jamais en société, et en privé le moins possible. Cela dit, je reconnais le pet comme mode d’expression. J’affirme qu’il contient des vertus comiques certaines et ne lui conteste pas son droit de cité. Le pet me séduit par le fait qu’il représente l’énormité. Une énormité qui nous menace tous et nous terrasse plusieurs fois au cours de notre propre vie organique. Il est des pets auxquels on aspire (si je puis dire), des pets qui font rêver. Tenez : imaginez un pet de Sa Majesté la reine d’Angleterre pendant un discours au Parlement, et vous comprendrez ce que j’entends par là. Folie ? Non, ÇA PEUT SE PRODUIRE. Ah ! fasse le ciel que la chose arrive avant la fin de la monarchie, car ce serait LE pet du siècle. Aucun autre ne saurait le remplacer. Un pet de M. Kossyguine ? Cela va de soi. De Nixon ? On croit toujours l’entendre ! De Franco ? Il ne fait que ça ! De Liz Taylor ? J’entends les siens depuis chez moi ! Inutile de se foutre la calbasse en torche. Le seul pet vraiment IMPORTANT ne saurait souffler que de London et ce serait un pet royal !

Bien, c’est tout pour la question, y aurait encore à dire. Seulement c’est vous qui trouveriez à redire. Pour un de vous qu’aime que je digresse, y a une meute qui beugle « la suite ! » sur l’air des lampions. Alors, Béru…

Béru et son poignard fiché dans le milieu du dos comme un portemanteau à une patère (noster, austère, ou noire).

Béru qui déambule d’un pas lourd en bordure du ballast.

J’ai dit un poignard ? Vrai, vous êtes certains, montrez ! C’est vrai. Alors je m’en dédis, je mendie votre absolution. Un poignard, c’est pas très grand, c’est raisonnablement meurtrier. Tandis que le machin que le gros se trimbale a des dimensions d’enseigne. En réalité, je peux bien vous le confier, puisque vous le répéterez à tout le monde, il s’agit d’une arme typiquement hindoue : le kûrdanhkomak. La lame mesure 31 centimètres de long. Elle est effilée comme un steak de cantine et recourbée dangereusement, en forme de boomerang, si bien que le lanceur inexpérimenté a la gorge tranchée lorsqu’il rate sa cible. Dangereux, hein. Vous oseriez pas étudier le lancement du kûrdanhkomak, vous autres ! Moi non plus d’ailleurs. Faut être asiatique pour s’y risquer. Hindouiste ou bouddhiste.

Les gens se mettent à dévaler du dur en trépignant et gesticulant. Leur ram dam[13] attire l’attention du Mastar.

Qui se retourne.

La foule, en le voyant si vivant, si gras, si sanguin, si congestionné, tombe à terre et se prosterne.

— Caisse y leur prend ? me lance Béru.

Sans mot dire je m’approche de lui.

Je biche le manche du coutelas et je tire.

Vous qu’êtes cons mais pas bouddhistes, vous avez parfaitement réalisé que le sortilège est uniquement dû au rembourrage de caoutchouc dont le Gros est affublé, n’est-ce pas ? Fort heureusement, si la lame du kûrdanhkomak mesure 31 centimètres, l’épaisseur du rembourrage est de 32, si bien que mon valeureux complice n’a rien ressenti.

Ayant arraché la lame, je la montre au peuple recueilli. Constatant qu’aucune particule de sang ne perle sur le fil de la dangereuse rapière, les voyageurs poussent un cri d’extase.

Ils étaient en transit ?

Les voici en transes !

Un vieillard couleur d’acajou, avec un gros anneau d’argent passé sous le nez, désigne Béru d’un doigt tremblant d’émotion et clame :

— Ganesh !

Toute la populace reprend en chœur :

— Ganesh ! Ganesh !

— Pourquoi y me traitent de ganache ? rouscaille l’Abomination ambulante. C’est mon bon point qui les défrise ?

— Au contraire, Gros : ils te prennent pour un dieu, le dieu Ganesh, celui de l’abondance, le plus sympa. Il a un corps d’obèse…

— Il est espagnol ?

— Je te dis pas un Cordobes, mais un corps d’obèse. Et une tête d’éléphant.

— D’éléphant ? s’assombrit mon pote.

— Oui, la sienne ayant été tranchée par son père, d’après la légende.

— J’sus Babar, en somme ?

— Comme qui dirait.

Je lui montre le couteau.

— Toujours est-il qu’il se trouve dans le train quelqu’un qui n’aime pas les pachydermes. T’avais ça dans le dos, Mec !

Du coup, sa physionomie s’éteint.

— Me semblait bien avoir senti un gnon, mais j’y ai pas pris garde. J’aime pas qu’on m’en veule, San-A. Les gus qui m’en veulent, je les mets au pas de l’oie en deux temps trois mouvements.

Il m’empare le couteau, le brandit tel un sceptre et demande :

— Qui qui s’est permis de planter l’homme ?

— Ganesh, Ganesh ! répond la multitude.

— Ganache mon cul ! leur répond Béru. Que çui qui m’a chahuté le dossard se dénonce, autrement sinon je massacre toutes les vaches sacrées !

Comme personne ne bronche, il me dit :

— Traduis-y, Gars ! Je les soupçonne de pas seulement comprendre not’ langue.

— Traduire ! Mais je ne parle ni l’Hindi, ni l’Urdu, pas davantage le Télougou, l’Assamais, le Bengali, le Goudjrati, le Dogri, le Malayalam, le Tamoul, le Marathi, le Kannada, ou l’Oriya !

— Alors demande au père Tatezy de nous servir d’interprètre.

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12

C’est faux ; je leur fais l’aumône.

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13

Mot hindou signifiant brouhaha.