Oui, d’accord, j’arrête, craignez pas !
Et je reviens en même temps que Pèherlashès à nos moutons hindous.
— Mon maître consent à vous voir, dit-il.
On débarrasse un vieux carton à chaussures des non moins vieilles cartes postales qu’il contenait et on lui emboîte le pas. Un pas comme çui du garde-chef, vaut mieux l’emboîter pendant qu’on le tient ; et bien refermer le couvercle !
Parce que, croyez-moi, filles d’Ève et fils d’hyènes, mais le palais d’Emil et Hunenuit, c’est de la gnognotte en branche comparé à celui du Maharajah Mâbitâhungoû.
Je défie quiconque, voire même son frère aîné, sans un plan de pouvoir se repérer en ces lieux.
Une enculade de pièces et de pièces, mes gueux, marbre et tapis, étoffes rarissimes, statues de l’époque Gupta représentant des grosses gonzesses avec d’énormes mains, d’énormes nichemards et des fouinozoffs béants, car on montre toujours ces personnes les jambes copieusement écartées. Y a aussi des bas-reliefs de l’école Mathurâ et quelques bibelots de vingt mètres de haut, chefs-d’œuvre de l’art Julieht-gréco-bouddhique.
Pour vous faire vivre ces splendeurs, me faudrait une caméra et de la péloche couleur. Juste à l’aide d’une machine à écrire, tu peux pas. Même qu’elle soit I.B.M. à boule[19] !
Je comprends pas qu’on n’ait pas encore inventé la machine à écrire-caméra alors qu’ils sont déjà à la caméra-stylo ! Ils sont en retard sur mon époque ! Tant pis, je reviendrai plus tard ! Ferai au moins une apparition… Pas à Lourdes : j’ai horreur des grottes. Je réapparaîtrai dans un coin chauffé et vivant : à la Samaritaine, par exemple, ou au salon de l’équipement de burlingue. Vous me reconnaîtrez à mes stigmates : une pré-cirrhose, ou une surtrophie des burnes ! Quéque chose de ce tonneau, quoi. Ce n’sera pas la peine de célébrer mon culte sur la commode de l’autel de passe-passe. Je viendrai pas faire de miracle : juste en visiteur. Vérifier les progrès de la technique. M’assurer que tout ce que j’aurai envisagé au cours de ma belle existence s’est bien accompli, tel que je prévoyais. Sans déranger personne, jamais. J’suis un discret naturel. J’ai le respect de ce que, dans les actes notariés, on appelle encore connement « la quiétude bourgeoise ».
Une féerie, disais-je.
Et je disais juste (comme toujours).
Plus nous nous déplaçons dans cette fastueuse demeure, plus notre émerveillement croît.
Il croasse, même.
Par nos bouches médusées.
Franchement, ça méritait le voyage. Écoutez, si un jour, vous allez dans l’Inde avec LE club, faites un détour par Khunsanghimpur, juste à cause de son palais.
— Pas laid, le palais, hé ? trouve-le-moyen-de-gouailler Béru.
« Tu peux feuilleter la collection de Maisons z’et Jardins, tu trouveras rien de pareillement semblable !
La grande salle d’apparat, enfin !
Elle est trop somptueuse, je vous la décris pas. Ça me rapporterait quoi, dans le fond ? Une satisfaction d’auteur ? D’accord. Oui, c’est vrai ? J’sus encore sensible à ça. Ma confiance professionnelle, toujours. En ce cas, pas la peine de vous en faire part… Je vais aller me la décrire pour moi tout seul, avec ses immenses flambeaux enrichis de pierreries, ses pierreries enrichies de super-pierreries, ses ors, ses argents, ses lumières, ses pourpres, ses soies, ses soieries, ses statues, ses damasquineries, ses machins, ses tableaux hindous, ses huiles parfumées, ses pétaux de rose qui jonchent, ses peaux de panthères noires, ses bouddhas boudeurs, ses bronzes bronzés, ses incrustations de chtroupf, ses clapuzingues, ses bodygraphs géants, ses inhalateurs à acétylène, ses couillardeurs mort-nés, ses défenses d’alphabet morse, ses clous de girofle à tête de nœud, ses brocards de daim, ses zarines, ses notaphes, ses pulcres, ses moussons à ressort, ses zamouvretouâ, ses organdis, ses ponts d’Ychéry, ses typaplubocomçà, ses mouilleurs de cultes, ses bouilleurs de culs, ses cuiseurs de cru, ses colonnes astapésûr, ses poils d’oc, ses sulfamidés en pot, ses vases kulère, ses stucs en stock, ses urnes creuses, ses pénis jaïns protubérés, et le reste !
Ah oui que je coure me le décrire. Attendez-moi là ! Je vais vous raconter une histoire pas très drôle pour vous faire prendre patience. Le temps que vous la compreniez et en rigoliez, j’aurais terminé.
C’est l’histoire d’un ver luisant qui descend d’un mégot avec sa braguette en flammes et qui dit :
— Celle-là, vous parlez d’une rapide.
Bon, prenez mon temps, je vais prendre le vôtre.
…
…
… courte absence de l’auteur…
Voilà !
Ouf !
Ce que c’est bon de se décrire la salle d’apparat du maharajah Mâbitâhungoû. Un vrai panard ! Je m’en suis servi quatre pleines pages sur grandes feuilles format 21 x 29,5 (c’est le format suisse, j’use que de ça biscotte on change moins souvent le papelard. Le format français c’est 21 x 27, tu perds 4 lignes à la feuille. À la fin de l’année t’as drôlement économisé sur le carbone. Moi, c’est mon bénéfice. Avant je m’en tirais pas. J’sus venu en Helvétie juste pour ça : économiser sur le papier carbone. Ça fait pour mon fromage. Je vis chichement. Je suis un frugal, oui : quatre pleines pages de description, non interlignées, les gars ! Ah, ça soulage, parole ! Cré bon gu ! Une description pareille, tu te sens mieux après. Détendu, reposé, disponible. Je me serais vidé la vessie, je n’aurais pas plus de bien aise… Un bain avec plein de sels moussants ! Le pied, je vous répète. Flac ! Ça te part de Pépinière et ça gicle jusqu’au mur d’en face ! Et tout y est, parole ! Un vrai documentaire ! La statue d’éléphant, grandeur nature, en or massif, sur sa console de marbre. Les fauteuils en argent chromé, incrusté d’émeraudes rouges comme des rubis. L’accumulance de coussins brochés… Tout, quoi ! Et puis, je cause aussi des personnages. Ils sont quatre. Je vais tout de même vous les relater, vu qu’ensuite vous ne comprendriez pas.
Y a deux hommes, deux dames.
À tout seigneur tout honneur, je commence par le maître de maison.
Le maharajah Mâbitâhungoû ne correspond pas du tout à ce qu’on peut attendre d’un pot en tas hindou. C’est un petit jeune homme frêle et poitrinaire d’aspect, avec la peau grise, les joues creuses, le dos voûté, le regard grand comme des soucoupes remplies de café noir et des joues charnues, décolorées, écœurantes. Son visiteur, le Maharajah Tanhnahunecomça, au contraire, est un gros mec, court et dégoulinant de sueur et de pierreries. Sa moustache traverse toute sa face lombaire d’une oreille à l’autre. Ses sourcils également, si bien que ses yeux ressemblent à deux notes de musique entre deux lignes de la portée. Il a tellement de bagues aux mains (une dizaine par doigt environ) qu’il lui est impossible de : manger des écrevisses, bâiller, jouer du piano, faire un toucher rectal, disputer un tournoi de tennis, assurer la circulation au carrefour Richelieu-Drouot, attraper des morpions[20], rouler une cigarette, apprendre le métier de potier non plus que celui de masseur, traverser Central Park à partir de 10 heures du soir, user d’un urinoir, compter des lentilles, pratiquer la boxe, enfiler une bague de plus à l’un de ses doigts, dactylographier, fréquenter le bowling, déguster un artichaut, se shampouiner les tifs, marcher sur les mains, apposer ses empreintes digitales, rédiger sa feuille de déclaration d’impôt, tourner les pages du présent ouvrage. Bref, c’est de l’infirmité scintillante.
La princesse Çavajéjoui, elle aussi (ou elle non plus) ne correspond pas à l’idée qu’un commis charcutier de La Varenne-Saint-Hilaire peut se faire d’une princesse hindoue. Elle est jeune, belle, bien faite, vêtue d’une combinaison de motocycliste en cuir synthétique rehaussé de diamants. Ses longs cheveux noirs sont noués en queue de cheval. Elle fume une Gauloise[21].
19
C’en fait au moins dix que je leur achète, mais croyez pas qu’ils me feraient un rabais, les vaches !
20
Les attraper avec les doigts, s’entend, car il est aisé de les attraper à la manière du castor.