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Reste la quatrième personne.

Ah, celle-là… Si je m’écoutais, j’irais également élégamment me la décrire en aparté, seulement vous gueuleriez à l’arnaque ! Comme quoi je me complais dans les cachotteries, deviens intimiste, onaniste de style et tout.

Cette quatrième personne, je te vais vous la résumer au moyen d’une métaphore hardie : elle est haute comme trois pommes.

Amusant, non, la comparaison ? Vous imaginez trois pommes l’une sur l’autre ? Trois grosses pommes. Des reinettes du Mans, tiens, par exemple… Enfilées comme des reinettes sur une tige à brochette. Franchement, je suis content d’avoir trouvé ça. Peu banal ! Haute comme trois pommes ! Je vous demande un peu où je vais chercher ces images. Haute comme trois pommes ! Vous devriez vous en servir dans vos compofrancs, les gars. Ça plaira à votre grincheux ! Vous allongera un A ou un B, l’abbé ! Ce que je trouve glandu ce nouveau système d’appréciation, soit dit en passant !… Alphabêta ! Si j’étais encore sous férule, serais voué au pauvre C, mécolle, recta. Y aurait pas à afficher « photo » avant de connaître le grand « c » de la classe. Donc, la dame est haute comme trois belles pommes. Aussi ronde, aussi luisante, aussi dodue. Caste supérieure ! Nourrie surchoix ! Elle a des calories plein sa giberne, son bustier et sa culotte ! Bajoues de luxe ! Barbe frisottée. Un diadème au front, tarabiscoté, scintillant, d’une valeur inestimable. Mieux vaut tiare que jamais ! Une robe tissée de fils d’or. Mais qui la fagote. Elle louche au point qu’on a dû se gourer d’yeux sur sa chaîne de montage. Placer le gauche à droite et lissez-moi-ça ! Bec de lièvre ! Mignon rabbit ! D’ailleurs son nez est toujours en mouvement. Et puis aussi : pas de menton. Sa mâchoire inférieure ressemble à celle des marionnettes de ventriloque. Vous voyez le tableautin, mes chéries ? Banco, j’enchaîne !

On s’avance vers l’honorable société. Pèherlashès s’incline devant le jeune seigneur, la main sur la poitrine, comme vous le voyez faire dans les vieux ringards hollywoodiens qu’on vous refile à la téloche les soirs d’élection. Il dit j’sais pas quoi nous concernant dans je ne sais quelle langue qui ne nous concerne pas.

Le Maharajah Mâbitâhungoû opine (de lama) et nous regarde. Il a je ne sais quoi de romantique, cézigue. Un Werther hindou. Ce qui le particularise, comme on dit dans la publicité automobile, ce sont ses yeux immenses. L’iris semble occuper la totalité du globe oculaire, il est d’un brun très foncé. Mais pourquoi je vous raconte ça, moi ! On n’est pas dans un bouquin cher ! V’là que je vous interprète ce Santantonio comme un concerto à Pleyel !

La Maharajah nous demande, d’une voix doucereuse :

— English ?

— No, French, your Majesty !

Il a un petit mouvement très vif, comme s’il était surpris.

— Vraiment ! dit-il dans un français qu’on peut d’ores et déjà estimer irréprochable (mais faut attendre la suite tout de même avant que d’être sûr).

— Si je comprends bien, Sa Mahrajé spique franchouille parfaitemently ? gazouille Béru.

En toute modestie, je dois dire qu’il monopolise l’attention, Pépère. Son obésité fascine. Une dame qui le bouffe (à sa santé, y en a pour une noce) du regard, c’est la bigleuse-à-bec-de-lièvre-haute-comme-trois-pommes.

Ses yeux ont beau former les faisceaux, on y lit la convoitise la plus vorace.

— J’ai fait mes humanités à Nanterre, répond le Maharajah. Qui êtes-vous et que faites-vous à Khunsanghimpur, messieurs ?

— Tourisme, répond laconiquement le Gros. On nous avait annoncé un hôtel cinq étoiles, mais y a gourance.

— Si bien que seuls, et sans abri, nous avons eu l’audace de venir demander asile en ce merveilleux palais, conclus-je.

— Asile et frichtis, ajoute Bérurier sur l’air des Allobroges.

— C’est une grande joie pour moi que d’accueillir des Français, assure le palaisain.

Nous nous nommons. Il nous serre la main. Présentation des autres personnages, la princesse Çavajéjoui, le Maharajah de Tanhnahunecomça, la mocheté vouée au nanisme.

— Ma sœur, la princesse Vadérhétroçatânas, conclut-il, brièvement.

Cette dernière émet un borborygme inquiétant. Je pige alors que si elle n’est pas à proprement parler « simple » d’esprit, elle n’est en tout cas pas « compliquée » du bulbe.

Elle brandit un index bagué en direction de Béru et crie, comme le firent les voyageurs du train :

— Ganesh ! Ganesh !

Puis, se mettant à genoux, elle touche les pieds du Gravos.

— Laissez donc, chère Maâme, la valetaille s’en chargera, proteste l’Aimable. Ou même moi, j’ai l’habitude en voyage : un petit coup de chiftir avec le couvre-lit ou les rideaux de ma chambre et je leur redonne l’éclat du neuf.

Elle répète, enamourée :

— Ganesh ! Ganesh !

— Ma sœur vous prend pour le dieu Ganesh, dit Mâbitâhungoû.

Et il se met à enguirlander sa frangine dans la langue de leurs ancêtres paternaux, Vadérhétroçatânas fait des signes de protestation, mais se rassied sans pour autant lâcher le Dodu des yeux.

— Madame a le caramel qui coule un brin, n’est-ce pas ? demande Alexandre-Benoît. C’est d’naissance ou si on lui aurait coincé la cervelle dans la portière du carrosse ? Dommage, certes elle a un pot d’échappement à traîne et des lotos pareils à un claclac au repos, mais nez en moins elle reste comestible vu ses rondeurs et sa bouche équipée d’une rampe de lancement. Elle est manda ? Non ? Peut-être même pas déberlinguée si ça se trouve ? La belle affure, quoi ! Veillez à ce qu’un petit arnaqueur lui saute pas à pieds joints dans l’intimité pour son artiche. Vous pensez : un coureur de dot qui se pointe et découvre le palais avec ses indépendances, les estatues, les tableaux de peinture, les tapis Bouchara et toutim, comment il s’affûte la rapière, le bougre, pour donner l’assaut à mamzelle vot’ frelotte. Et c’petit bout de zan, là, malgré tous ses éléphants blancs, il est sans défense ! C’est crédule, ça, mignon ! Te vous enverrait ses cinquante pions à la mère Soleil pour se voir répondre que le Sagittaire lui traverse le Verseau dans son théorème astragal. Lui laissez pas trop d’argent de poche, à cette mignonne, qu’autrement sinon elle se le laisserait goinfrer dans la main.

Le Maharajah paraît s’amuser de la faconde du Gros. Son confrère ès-raja, pour sa part, fait la tête. Je devine qu’on l’importune grandement. S’il était le maître des lieux, lui il nous enverrait chez Chiche ! Par contre, en ce qui concerne la belle princesse motocycliste, elle me témoigne un intérêt au moins égal à celui que la crétine porte au Gros.

Et c’est réciproque, croyez-moi !

Elle ne parle qu’anglais, mais ça me suffit.

J’apprends qu’elle est princesse dans la région. Son palais se trouve à l’autre bout du Bandzob. Elle vit seule et gère ses biens de façon moderne, car elle a fait ses études aux États-Unis d’Amérique. Elle est passionnée de moto et ne se déplace que sur un bolide grondant…

Moto… Bolide… Ma pensée pique sur la France. Je me mets à songer au fils Merdre. Je revois sa Honda convulsée sur le bord de la route menant aux laboratoires familiaux. Tiens, voilà le premier point commun entre l’affaire de Paris et l’affaire de l’Inde. Mais s’agit-il d’un point commun ? On cause… L’atmosphère tourne aimable. Béru fait marrer le gars Mâbitâhungoû en baratinant son petit monstre de frangine. Une forte collation nous est servie. Pas idiote : caviar, dinde au chutney, apple pie, le tout arrosé d’un délicat champagne.