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— Je m’en doutais, soupire la jeune princesse quand, enfin, elle a la possibilité d’articuler.

— De quoi vous doutiez-vous, Majesté ?

— Je savais que ça serait aussi merveilleux. J’ai lu cela dans vos yeux.

— Votre Majesté me comble.

— Non, je vous rends l’hommage qui vous est dû. Et puis ne me dites pas Majesté, je vous prie… À Washington les copines m’appelaient Çava.

— Ça va, Çava, et ça va ça vient ! plaisanté-je en lui refilant un petit rabe de tendresse que j’avais oublié dans le tiroir de ma commode (celle sur laquelle je célèbre son culte).

— Je ne pouvais pas dormir, murmure-t-elle en matière d’excuse.

— Je serais très honoré si vous le pouviez à présent.

— J’ai failli venir plus tôt…

— Il fallait.

— J’ai vu entrer Tanhnahunecomça dans votre chambre.

— C’est vrai, le Maharajah a bien voulu m’honorer de sa visite.

— Que voulait-il ?

— À vrai dire je l’ignore. Je crois qu’il se méprend sur notre compte. Il pense que nous sommes venus à Khunsanghimpur pour traiter je ne sais quelle affaire avec une secte d’intouchables.

— Et ce n’est pas le cas ?

Un pincement au guignol ! Je remets mes illuses dans le havresac de mon slip. Croyez-moi ou allez croire votre député, mais cette coquine n’est pas seulement venue ici for the rada. Son intention est de me faire parler. De me réduire à merci, peut-être ?

Je me rends compte d’un truc important, c’est qu’en radinant au palais, nous sommes venus nous jeter dans la gueule des loups. Il y avait réunion au sommet des princes du Bandzob, les petits ! Certifié ! Et je suis prêt à vous parier un clystère d’occasion contre un clitoris neuf que la venue du pseudo Monbraque dans la région est l’objet de cette réunion.

Et puis je vais vous bonnir encore quelque chose, pendant que jiu-jitsu. Mon lutin privatif m’assure que ce sont eux qui ont chargé les tueurs du train de carboniser Monbraque et le père Danhladesh. Mais qu’a-t-il donc à vendre, ce Monbraque, qui mette une partie de l’Inde en transes ? Hein ? Le produit ! Le produit ! Ils n’ont que ce mot-là aux lèvres…

— Bien sûr que non, ma Çava, réponds-je (à retardement). Le Maharajah Tanhnahunecomça me propose une fortune insondable contre un produit dont j’ignore tout. Peu banal, non ? Vous savez, vous, de quelle denrée il est question ?

— Sûrement pas. Tanhnahunecomça est un gros porc qui ne me tient pas au courant de ses affaires, heureusement.

Petite menteuse, songé-je.

Elle se retire dans ses appartements sans insister.

L’ai-je convaincue ?

Nous verrons.

J’exhale un gros, un grand, un immense soupir. Cette fois j’ai absolument besoin de roupiller. La séance à laquelle je viens de participer n’a pas colmaté mes brèches, vous vous en doutez ? Pour la troisième fois, je me rendors.

Pas pour longtemps, mes bougres.

— Pas pour longtemps !

Me fait songer — sais-je trop pourquoi ? — à ces boîtes de nuit avec spectacle où, en écoutant égosiller une pimbêche sans passé ni avenir, tu manges un avocat blet, une côte de bœuf plus raide que celle de Dourdan et une omelette norvégienne où la Norvège a fondu, le tout arrosé de champagne aussi tiède qu’inconnu au bataillon des grandes marques.

Comme le troisième visiteur tient un flambeau à cinq branches, il a la vitrine bellement illuminée. Je vous préviens immédiatement qu’il s’agit d’Alexandre-Benoît Bérurier.

Dans un appareil très extrêmement sommaire, puisqu’aussi bien il se compose d’une simple veste de pyjama, beaucoup trop étroite pour la carrure du Gravos, compte tenu de ses suppléments de graisse caoutchouteux (si solidement arrimés qu’il n’a pas pu s’en dépêtrer).

Malgré son chandelier, le Mastar accomplit une trajectoire incertaine qui l’amène à renverser plusieurs tables nanties de Tanagras. Fracas… Je vous le dis : un mauvais numéro de loufoquerie pour cabaret en déficit.

Il louvoie jusqu’à ma couche surmenée, s’arrête à mon pied de lit comme devant un catafalque, se penche un peu, lâche un pet aux échos vigoureux et demande :

— Tu roupilles, Mec ?

— Qui donc le pourrait, hormis un sourd classé monument historique, avec la bacchanale que tu interprètes !

Ma protestation ne le rebuffe pas. Il change son flambeau de paluche, manière de se libérer la dextre, et se met à se gratter les miches à grandes onglées fourrageuses.

— M’en arrive une, dit-il. M’en arrive une…

Là-dessus, il trouve une rime fort riche à son incongruité précédente.

— Moi aussi, m’en est arrivée une, mais elle est repartie ! murmuré-je.

Comme la plupart des gens, il est trop soucieux de ses proches aventures pour s’occuper de celles des autres.

— Figure-toi que je dormais comme la Loire, la Saône-et-Loire, l’Eure-et-Loir, la Haute-Loire, le Loir-et-Cher, l’Indre-et-Loire, le Maine-et-Loire, la Loire-Atlantique et le Loiret quand j’ai z’eu une visite noctambule, imagine. Et je te donne en mille morceaux qui c’était ?

— Le Maharajah Tanhnahunecomça, chantonné-je, sûr de mon effet. Ce vilain suiffeux est venu te proposer une fortune en échange du fameux produit que Monbraque devait livrer à Danhladesh.

Ses loupiotes fumeuses tremblent dans sa grosse plantipoigne.

— Caisse sec sept histoires ? sourcille mon cher et éminent druide, l’homme qui cueille le cervelas truffé avec une faucille d’or et un escabeau.

La curiosité me point.

— Et quoi, m’écrié-je, ce ne serait pas cela ta visite ?

— Conne hennie, répond ce bon à grammairien (désireux d’employer la forme atone de non « que nenni » en situation). Tu te fourres le doigt dans le z’œil, mon zami. C’est l’aut’ maharajah qui s’est pointé. Et si tu devines les raisons de sa visite, je t’échange un château aux Baléares contre un deux pièces place Balard.

— Il voulait le produit, revienjamémoutonné-je.

Bérurier pose son chandelier sur le tapis, éteint l’une des bougies d’un nouveau vent plus mistralien que les précédents, et grogne :

— Tu me les tartines à la margarine avec ton produit. Y s’fout bien de ça. Mâbitâhungoû ! Il est devenu me demander…

Son rire explose. Vaste, monastique…

— Il est venu me demander… hi hi hi…

Il s’étouffe. Crache. Vente !

— ……, fais-je.

— Devine ! s’étouffe Bérurier, qui ne veut pas que je languauchate trop vite.

— Parle, sphinx, je suis trop las pour assurer une nouvelle dépense d’énergie.

— Il est venu me demander ma main, lâche Bibendum, en même temps qu’une autre salve d’enthousiasme.

— Il est pédoque ?

— J’sais pas. Mais il ne la veut pas pour lui. C’est pour sa frangine, la petite moustachue. Elle a le coup de buis pour moi. Une secousse vertigineuse, Mec. La grande locomotion, quoi ! Brèfle, elle me veut. Assure que j’sus le fils du dieu Babar…

— Ganesh ?