— Oui. Un fakir y aurait prédictionné jadis qu’elle épouserait un messager de cette Ganache en question, qu’elle le reconnaîtrait à son bon point et au fait qu’île sage irait d’un étranger qui n’serait pas d’ici. Conclusion : bibi is the bioutifoule ténébreux espéré, elle en démord pas. Donc, la noce en quatrième vitesse, tout comme si Mam’zelle serait en cloque de dix mois et demi.
— Tu ne lui as pas objecté que tu étais marié ?
— Nature-liche, mais il m’a rétroqué que ça n’avait aucune importance, vu qu’ici, seules les épousailles induses sont valables. De ce fait j’ai dit banco.
Un temps que mon effarement met à profit pour s’échapper de moi en onomatopées agonisantes.
Et le Terrific d’ajouter :
— On se marie demain !
— Hein ?
— Matin !
— Mais t’es dingue à outrance, déplafonné entièrement. T’as la cervelle à ciel ouvert ! Tu patines du bulbe, Gros ! Tes cellules ressemblent à du tapioca bouilli. Tu…
Il me cligne de l’œil.
— Je vois pas pourquoi j’aurais pas une p’tite femme de dépannage pour mes séjours en Inde, mon pote ! Une espèce de résidence secondaire dans le matrimonial, quoi ! Où qu’est le tort à quiconque, là-dedans ? D’autant que je serais prince par alliance. Consort peut-être sans doute, façon Philippe Dédain-Bourre, mais même si je dois marcher en arrière avec les paluches dans le dos, reconnais que c’est pas dégueulasse. Des beaux-frères Maharajah, qu’ont des palais de marbre rose, t’en trouves pas tous les matins en éclusant ton premier calva-dégustation au tabac du coin ! Tu voudrais que je ratasse ça ? Ah, évidemment, c’eût porté un préjudiciable à ma Berthe, j’eusse eu été obligé de divorcer dans le pré à l’able, m’eusse falloir la mettre au courant, parole d’homme, ce n’aurait pas été question de la chose. Mais là, hein ? Là… Comment tu voudras qu’elle suce ? On n’est pas encore abonné à Inde-Soir, chez nous. Et c’est pas chez son dentiste qu’elle risque de dégauchir Bombay-Match ou le Courrier du Bandzob ! Je joue sur le velours. Et puis soye dit entre toi et nous, y a un autre rase-pet du problème dont je ne voudrais pas qu’il t’échappasse…
— Qui est ?
— La dot !
— Pardon ?
— Mâbitâhungoû m’a narré et nomenclaté les biens de ma future. Escuse du peu : un palais de campagne, un coffre plein de diams que le plus mignard est aussi copieux que ma burne droite (la conséquence du lot). Plus une douzaine d’éléphants en si parfait état qu’une demi-douzaine est seulement pas finie de roder, tellement ils ont peu servi. Selon mon beauf, t’as rien à y faire dessus avant une cinquantaine d’années ! T’imagines, le gars Alexandroche-Bénuche en baldaquin dans la forêt, pendant ses vacances, à tirer sa flemme dans de la soie pendant qu’un petit bougre drive le Jumbo grand sport ? Oh, dis, espère… À côté de cette bande de moudus qui bêchent au volant de leurs chiottes dans la tohu-bohu des dimanches soirs ! Le prince Béru, lui, y circule en éléphant surchoix, à injection directe, tu mates le tableau, Mec ? Et les ragoûtes, au palais de chez mézigue ! Avec ma gentille moustachue dont je lui aurai appris à mijoter l’andouillette au vin blanc ! Écoute bien ce que je te vas annoncer, San-A. : la vie est courte et faut en tirer une quinte d’essence chaque fois que l’occase se présente. Alors la clause est tant tendue : demain, y a noce au village. Et, surtout pas d’inquiétude : le jeune époux fera honneur à ses devoirs de vacances. Elle est p’t’être pas sublime, la môme Vadé, mais je lui en donnerai pour son coup de foudre.
Là-dessus, il se retire dans ses appartements !
Avec une dignité déjà princière !
PHARE TIC CINQ
Je me suis examiné dans une glace afin de me renseigner : pas jojo, le gars, ce matin. J’ai tellement de valoches sous les yeux, du fait de cette nuit singulière, que ma bouille ressemble à la vitrine d’Innovation.
Une certaine mélancolie organique me désabuse jusqu’aux moelles les plus épinières.
Je passe d’un pas caoutchouteux dans l’appartement du Gros : il est vide.
L’annonce de son bigamage me revient alors en mémoire. Canular hindou ? Ruse de gens qui, plus que du bien, nous veulent une fumelardise de produit dont j’aimerais bien connaître le nom ? Ou, tout bonnement, caprice d’un des derniers potentats de la planète ? Mystère (dirait M. Dassault).
Un certain brouhaha emplit le palais.
Joyeux.
Mon oreille aussi avertie que le type qu’en vaut deux me révèle qu’il y a de la liesse dans l’air.
Je m’approche d’une fenêtre donnant sur la cour du palais, et j’y découvre un spectacle d’un folklore sûr joint à une extrême rareté. Une nuée de serviteurs, imaginez-le-vous, sont en train de « préparer » six beaux éléphants adultes. Les plus gros qu’il m’ait été prêté de voir jusqu’à tout de suite.
Ces bébêtes, madoué ! Des monstres ! Descendants directs des bons vieux mammouths de nos anciennes campagnes ! On leur peint des arabesques sur le derme (et même sur le pachyderme). On les affuble de tentures en soie pur cocon. Leur arrime des palanquins d’argent sur le dos. Leur attache des grelots aux panards. Un pataucure chinois leur fait les ongles (il parle l’ongulé couramment), tandis qu’un laid-triste lettriste écrit en caractères d’imprimerie sur chaque patte des animaux (lesquelles pattes ont des dimensions de colonne Morris) : Défense d’afficher, emplacement réservé.
« Seigneur ! me dis-je, toute modestie mise à part, cette histoire de mariage est donc vraie ! »
Et de me précipiter dans les salons.
La belle Çavajéjoui est là, en compagnie de ses amis maharajah. Tous trois portent des tenues de rêve (voir descriptif sur le catalogue de la Redoute). Leurs robes et pyjamas sont tuniques au monde. La belle princesse me brandit une expression enamourée qui me courjute le kangourou, mais j’efforce de réagir : les plus belles lèvres cachent des dents !
Elle s’approche en trémoussant du valseur.
— Vous connaissez la nouvelle ? me demande-t-elle.
— Si c’est au mariage de mon ami que vous faites allusion, il m’a prévenu, en effet. À propos, où est-il ?
— On l’habille, répond Mâbitâhungoû.
— Bigre, souris-je, les choses ne traînent pas, chez vous, mon seigneur !
— La vie est brève, rétorque l’aimable jeune homme en tripotant son collier d’ambre, et ma sœur est pressée. La virginité, chez une femme, atteint à un certain moment un point critique. M. Monbraque a joué le rôle d’un détonateur. Elle est folle de lui.
— Vous n’ignorez pas qu’il doit rentrer en France où ses activités l’appellent ?
— M. Monbraque est libre, répond le maharajah[25].
Pourquoi crois-je percevoir de l’ironie dans sa voix ?
Parce qu’il en a un plein bidon, vous croyez ? Possible.
Mon intérêt se porte alors sur le gros Tanhnahunecomça qui ne cesse de me fixer comme Pygmalion devait fixer Galatée (à l’époque où elle était statue, parce que, faites confiance, à partir du moment où elle s’est animée, il a dû vite en avoir classe !).
Il s’arrange pour m’aborder à son tour.
— Alors, me demande-t-il : « on » a réfléchi ?
— À perte de vue, Majesté.
— Conclusion ?
— Il n’y a pas de conclusion puisque j’ignore la solution de votre problème, à mon vif regret d’ailleurs.
Son regard flamboie.
— Puis-je vous suggérer que vous avez tort ? Votre tranquillité risque d’en pâtir.
25
Maharajah peut également s’orthographier « maharadjah ». Mais je préfère conserver le « d » pour mon usage intime.