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Alors là, il finit par me laminer les roustons, le gros sac à suif.

— J’aime tout mieux que la tranquillité, riposté-je.

Son sourire ferait dégobiller un crocodile.

— Tout est un bien grand mot, malgré sa brièveté, finit par m’assurer le sinistre personnage. Si nous étions à Hunhanfânh, la capitale de ma principauté, nos pourparlers iraient bon train.

Dois-je conclure de sa menace que mon hôte, le Maharajah Mâbitâhungoû, est étranger aux manœuvres de son collègue ?

Le topo est le suivant, mes fieux. Quatre monarques hindous sont réunis au palais de Khunsanghimpur : deux princesses et deux maharajahs.

L’un des souverains (le prince dont la ville est Hunhanfânh) me réclame le produit de feu Monbraque en assortissant sa requête de menaces non voilées. La princesse Çavajéjoui (également non voilée) me vampe. L’autre, épouse Bérurier. Et le quatrième, le maître du Palais, joue les Ponce-Pilote en ayant l’air de se ficher de tout. Vous trouvez ce mic-mac viable, vous ?

Eh ben not me, mes loutes.

Non, mais… Où ça va, ça ?

Hein ? Où ça va ?

Vous apercevriez Béru, fût-ce à travers un trou de serrure, les bras vous en bançonneraient, le souffle vous en couperet, le tube machin vous en obstruerait et tout à lavement.

Le Gros, dans sa redingote mauve brodée d’argent, avec son voile d’or noué à la ceinture, son pyjama de soie blanche, très bouffant du haut et très serré du bas, avec son turban surmonté d’une aigrette en poilduc de vierge mort-née… Le Gros, avec son sabre enrichi de pierreries à la ceinture, avec son décuple rang de perles autour du cou, avec ses babouches aux pointes relevées (une fois n’est pas cothurne), le Gros paraît surgir d’une ancienne production de la Paramount.

Il est éclaboussant. Triomphant. Sûr de soi.

Beau, peut-être ! Anachronique aussi, je pense. Rare, en tout cas !

Il se cambre dans l’ouverture de la porte, une main à la hanche (très Louis XV), une autre à sa braguette (très Napoléon). Il a une jambe en avant (façon mannequin) et, de ce simple fait, une autre en arrière…

— Gode morninge, mes princes et chers amis, lâche-t-il, dans les tons flûtés, comment est-ce vous trouvez l’heureux fiancé ? C’est du Jules ou pas ?

Il me cligne tout spécialement de l’œil.

— Hé, dis, Gars, m’interpelle le futur beau-frère du Maharajah de Mâbitâhungoû (c’est vrai : j’oublie toujours la particule) j’en sais une qu’aurait une drôle de sacrée commotion si elle me verrait, non ?

— Certes, admets-je. Les épouses sont toujours quelque peu surprises d’apprendre que leur conjoint s’est remarié sans avoir pris la peine de divorcer. Toutes ont un petit côté conformiste assez déroutant.

Mais ce sarcasme ne ternit pas le rayonnement du vertigineux fiancé.

— Vouèle, vouèle, dit-il. Ma future est parée pour la fiesta ?

— Venez ! ordonne Mâbitâhungoû.

On le suit…

Je ne vous décris pas les méandres du palais, ce serait tirer à la ligne.

Donc, pas mon genre.

Toujours est-il qu’après avoir méandré dans cette féerie, nous parvenons dans les appartements de la princesse Vadérhétroçatânas (que vous voudrez bien me permettre d’appeler tout simplement Vadé, à l’instar de Béru, ce diminutif étant d’un maniement plus aisé, merci). Elle est parée pour ses noces, la chérie. Robe brodée d’or et de gemmes, voile de même métal. Un énorme rubis étincelle à son nez, lui composant, nonobstant la qualité de ses reflets, un pif de clown.

De ravissantes demoiselles d’honneur lui peignent les mains et l’oignent d’huiles parfumées. Ces opérations alarment quelque peu le fiancé.

— Mande pardon, demande-t-il à son presque beau-frère. Ça consiste en quoi, ce bigntz ?

— La coutume veut qu’on teigne les mains de la future épouse avec des couleurs indélébiles.

Le Mastar bandonéone du frontal :

— Ça déteint pas, au moins ? J’ai guère envie de me repointer à Pantruche avec un scoubidou chamoiré comme un sucre d’orge.

— Rassurez-vous, le séchage est instantané.

— Bravo ! Et ce machin qu’on la barbouille ?

— Une huile purificatrice.

Nouveau sursaut de mon pote.

— Hé, pas de blague, vot’ frangine risque pas de me poivrer, j’espère ? Vous comprenez, le chiendent que c’est lorsque vous ramenez un petit bouquet garni à la baraque ? C’est propageur, ces machins-là. Au bout de quéque temps tout le quartier l’a chopé et te montre du doigt.

— C’est un symbole, répond patiemment Mâbitâhungoû.

— Re-bravo ! exclame le Rassuré. Je voudrais encore une p’tite mise au point en ce dont y concerne le caillou qu’elle porte au blair. Ça l’ennuiera pas de se le foutre ailleurs pendant que j’irai au rapport matrimonial ? C’est le genre de gadget qui te fait déjanter en plein virage lorsque tu frénétises.

Ayant obtenu tous les apaisements souhaités, nous partons pour le temple.

Dans la cour, on a dressé une échelle contre l’éléphant de Bérurier. Ce dernier est invité à prendre place dans le palanquin. La fragilité des échelons l’inquiète.

— Tout compte fait, ronchonne mon camarade, c’est plus facile de monter dans une voiture de sport. Pourquoi vous z’auriez pas un escalier roulant ? Vous mordez comme c’est pratique, avec mon sabre, mes tartines recourbées et ma brioche ? Et puis me refiler un éléphant pareil ! Dites, c’est un Boinge 747, votre bestiau ! Il est à impériale ! On pourrait pas y aller en jeep à la mairie ? Et la carlinge, elle est arrimée solide, mouais ? Que si jamais une sangle pète, je m’emplâtre comme si je tomberais d’une télécabine, merde ! Sans compter que je voudrais pas écoper de sa papatte sur mon cor au pied, au minou. Et le cornard ? Où qu’il est le cornard-conducteur ? J’aime pas grimper en chignole quand le moteur est embrayé ! J’ai pas le permis poids lourd, moi !

Suant, rouscaillant, ahanant (et vanné), A-B finit par s’installer dans le satin rutilant de la nacelle. Un boy armé d’un « chavar » (ou éventail de plumes) se met à lui chasser les mouches, fort nombreuses sous cette latitude. Et, fouette cornac, le cortège dûment constitué s’ébranle.

J’occupe un éléphant à deux places avec la princesse de mes une et mille nuits (j’espère). On sort du palais. Sous le soleil, Khunsanghimpur expose crûment sa misère. Les maisons y sont lamentables, dégradées, dégradantes. Des gens exténués, maigres à hurler, pointus de partout, à tête-en-os, couverts de pustules et de haillons, gisent devant leur porte comme des ordures à ramasser. Les enfants au ventre énorme nous regardent sans nous voir, semble-t-il. Le bide ? Rien de plus révélateur. Seuls les très riches et les très pauvres ont du burlingue ici, c’est dire qu’à peu près tout le monde s’offre un durillon de comptoir. Mais il n’est pas taillé dans la même viandasse !

Des gardes, style lanciers, marchent en avant, pour si des fois un loqueteux souillerait le chemin…

Nos gros autobus tanguent et roulent lentement. On va d’une allure puissante et majestueuse. Dans un tintement de grelots et un nasillement de flûte.

— Comment trouvez-vous le spectacle ? me demande Çavajéjoui en coulant une main serpentine dans la poche de mon pantalon.

— Hollywoodien, ma chérie. À tout moment j’ai l’impression qu’un metteur en scène va crier « Coupez ! ».

— Nous restons très attachés à nos traditions, malgré le progrès, assure-t-elle.

— Je vois. L’ennui c’est que, la caste supérieure mise à part, seuls les pantalons bouffent, chez vous !