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— Hello ! les gamins ! américanise-t-il en s’avançant, la main tendue dans des gants de pécari frileux.

— C’est à toi, « ça » ? demandé-je en désignant le véhicule étrange.

— Parfaitement, et j’en suis fier, répond péremptoirement le fossile.

— En somme, c’est une automobile ? demande Bérurier, non sans quelque perfidie dans l’intonation.

— Qu’entend-il par là ? sourcille la Vieillasse.

— Simplement, traduis-je, il voudrait savoir si cette chose progresse de soi-même à l’aide d’un moteur, ce dont on serait en droit de douter, compte tenu de son aspect insolite.

Le Flétri écrase une chiassure de z’œil avec la pointe pataude de son index ganté.

— Mes chers amis, dit-il, je viens de me payer une folie. Ce sont mes étrennes. Il s’agit là d’un prototype réalisé à ma seule intention et que la foule m’envie, si je m’en réfère aux exclamations saluant mon passage. Je commençais à en avoir ma claque de ces voitures faramineuses dont se régalent les espions de cinématographe. Je me suis dit : « Et pourquoi ne mettrions-nous pas ces voitures gadgets en pratique ? Pourquoi la réalité ne dépasserait-elle point la fiction ? »

— Elle la dépasse, assuré-je en faisant le tour de l’engin. Tu ne peux pas savoir, Pinuche, à quel point elle la dépasse. Elle fait même mieux que la dépasser : elle lui prend un tour ! Tu nous fais visiter ta Foire du Trône ambulante, ou bien devrons-nous nous contenter de la brochure ?

La joie rayonnante de César le met à l’abri des sarcasmes les plus chagrins.

— Vous n’allez pas en revenir, assure le cher homme. Avant tout, laissez-moi vous apprendre que le moteur d’origine a été remplacé par celui d’une Salmson de compétition acheté à la casse. Cette chétive 2 CV grimpe à 250 km/h, c’est dantesque, non ?

— Aftère ? coupe Gradube, nullement impressionné.

— Elle est munie d’un châssis spécial, provenant d’une Bentley incendiée par des grévistes. En outre, elle a des pare-chocs récupérés par la S.N.C.F. lui permettant d’essuyer les chocs les plus rudes sans subir de dommage. Les vitres sont en verre spécial qui met les passagers à l’abri des balles. En cas d’urgence, les sièges sont, non pas éjectables, mais basculables, ce qui vous permet de passer directement de l’auto au fossé. À l’arrière, il y a un réservoir à clous de tapissier, afin de se prémunir contre les autos suiveuses. À citer également deux projecteurs à l’arrière et à l’avant pour les poursuites nocturnes.

Il se tait et caresse amoureusement la carrosserie cardinalice du véhicule hors série, comme on flatte la croupe de son cheval après une longue chevauchée.

— Eh ben, dis donc, p’tit homme, soupire Bérurier, t’es devenu not’ J’abonde, comme qui dirait. Qu’est-ce y t’a bricolé ce bolide ?

— Un neveu de ma femme qui vient d’acheter un petit atelier à Levallois et que l’automobile passionne.

— Belle réussite, conviens-je en prenant place à bord de son vaisseau spécial, si t’en as pas l’usage dans la rousse, je suis sûr que tu pourras te reconvertir chez Barnum. En attendant, drive-nous à la patinoire, je ne veux pas rater la fin du match de hockey France-Inde.

L’Écharde se place à son siège sans tergiverser.

— Je croyais que les Hindous ne pratiquaient que le hockey sur gazon ? objecte-t-il.

— Les temps ont changé, Pinuche : ils n’ont plus de gazon, les vaches sacrées l’ont tout bouffé.

Le Limoneux opère un démarrage impressionnant. Nous avons brusquement le support-à-sac tyrolien plaqué au dossier du siège.

— Hé ! Vas-y mou, César ! rouscaille Béru. Tu te crois à la Nasa, mon pote !

Le Mélodieux n’a cure de la protestation. Fier de son prototype, il appuie sur le champignon, ravi des regards éberlués qui convergent sur nous.

Et c’est ainsi, mes amis, que nous fonçons, à bord de cet engin apocalyptique, vers la plus follingue des aventures.

CHIPE RAT DEUX

Contrairement à mon estimation, le match France-Inde n’est pas commencé lorsque nous déboulons à la patinoire. Il reste des places vacantes : plusieurs côtés de la patinoire ! Ce rude sport n’est pas encore très apprécié en France et, en outre, le froid très vif de cet après-midi incite davantage à se rendre au cinéma ou au claque.

Une rencontre préliminaire s’achève, qui vient d’opposer l’Athlétic Parisien des Universitaires et Travailleurs (l’A.P.U.T) au Marseille Athlétic Club (le M.A.C.). L’A.P.U.T. s’est imposé grâce à de très nombreuses passes. Les hommes du M.A.C., pour leur part sont des garçons bouillants qui se mettent facilement en crosse et se retrouvent trop souvent en prison. L’A.P.U.T. n’a pas peur des allées et venues. Cette équipe a le sens du patin et joue volontiers la touche, alors que le M.A.C., lui, cherche à imposer sa loi par le milieu. À l’issue de cet affrontement où la prestation de chaque équipe fut remarquable, on enregistra quelques heurts entre l’A.PU.T. et le M.A.C., pourtant l’esprit sportif retrouvant son élégance naturelle, la glace fut vite rompue et tout redevint O.K… Mais qu’est-ce que je fais, moi ! Voilà-t-il pas que j’écris le compte rendu pour l’Équipe ! C’est fou ce que je peux être distrait !

Nous nous installons en bonne position. Bientôt les équipes internationales font leur entrée. L’équipe de France est en scaphandre tricolore avec un pingouin (dans l’attitude du coq gaulois) sur la poitrine. L’équipe de l’Inde, en Michelin gonflé à 2,5 vert, blanc et orange, avec le petit zinzin bleu de son drapeau dans le blanc. Aussitôt le pick-up de la Garde Républicaine interprète les hymnes nationaux. Les paroles de la Marseillaise ont été quelque peu modifiées pour la circonstance, au lieu de « Marchons, marchon on ons » on a mis « glissons, glisson on ons ». Mais l’interprétation étant purement musicale, cette substitution passe pratiquement inaperçue. L’hymne hindou, enfin ! Le refrain est sur toutes les lèvres « Foutons-nous du Gandhiraton, etc., etc. »

Les joueurs se tiennent au garde-à-vous et présentent les armes à l’aide de leurs crosses. Ils sont terrifiants dans leurs beaux costumes martiens. Les gardiens de but, surtout, à cause de leurs masques. Celui du goal français représente la reine d’Angleterre, ce qui, à mon sens, constitue une faute psychologique grave, ce masque ne pouvant qu’exciter la furia hindou. Quant à l’homme qui m’intéresse, Flahagran-Dehli, le gardien de but de l’équipe adverse, il s’est fait la tête de Debré afin de couper les jambes aux avants trop pressants en les faisant rigoler comme un pensionnat de bossus.

Les deux arbitres sont suisses, l’un s’appelle Constantin Vacheron, et l’autre Philippe Pateck, ce qui ne les empêche pas de bien s’entendre et d’avoir la même heure à leurs Piaget.

Le palet (de glace) est lâché !

C’est le rush !

Que dis-je : la ruée !

Duel de crosse. Valse des patineurs. Chocs ! La glace crisse sous les fers. Il y a un tumulte de combinaisons multicolores.

Le petit disque noir valdingue dans la cage française, comme une rondelle de caoutchouc arrachée au pilon d’un unijambiste (14–18).

But !

Les quatorze spectateurs applaudissent, sauf un qui est français (il fait partie de la commission de sécurité et son travail L’OBLIGE à assister au match). V’là l’Inde qui mène déjà un à zéro après dix-huit secondes de jeu ! Ça promet. Heureusement, le concierge de la patinoire (il vend des esquimaux pendant les tiers-temps) a la bonne idée de brancher un disque où douze mille personnes hurlent « Allez, France ! »