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— Humm, auriez-vous des idées avancées ? s’inquiète la ravissantissime.

— Les idées avancées sont toujours retirées à temps, philosophé-je, comme les drapeaux, ma princesse, qui ne font pas partie des combats mais des célébrations de combats.

Tout en devisant et palanquinant de concert, on arrive au Temple d’Hassê[26].

Une nuée de ravissantes filles en saris de couleur chatoient dans la douce pénombre du sanctuaire. Leurs visages brillent comme de l’ambre poli[27]. Elles tiennent des plateaux chargés de victuailles diverses.

— Bonno, v’là qui commence au poil ! s’écrie le quasi marié en constatant la chose. Le petit casse-graine matinal : une riche idée. Et les serveuses ont tout ce qu’y faut pour te fout’ en appétit !

Mâbitâhungoû lui explique que ces mets sont des offrandes au Dieu Ganesh dont la statue gentiment grotesque se dresse, formidable, au fond du temple. Un corps d’homme obèse pourvu d’une tête d’éléphant ! Les vierges s’en approchent, se prosternent et déposent leurs plateaux. On amène les futurs époux.

En loucedé, Béru cramponne une cuisse de poulet au curry qu’il se met à dévorer à belles dents tandis que les gurus (ou prêtres) commencent la célébration du mariage. Ils placent des bâtons d’encens devant la statue. Se prosternent. Psalmodient.

Toutes les religions sont à base de prosternations et de psalmodiances, d’encens, d’offrandes, et autres conneries du genre. L’homme, faut qu’il rampe, il a ça dans les rotules. Qu’il bouffe la poussière… Fasse des pipes urbi et orbi. Il croit servir Dieu en s’humiliant, en s’écrasant, alors qu’au contraire, la seule manière de LE servir c’est de dresser la tronche, bomber le torse et foncer. Y a qu’une vertu en ce monde : la charité ! Et la charité c’est quoi ? De la colère, mes grands. Uniquement de la colère. La charité consiste à s’indigner ! La charité, c’est de l’intolérance, de la rebiffe. La charité, c’est pas de chialer sur la misère du monde : c’est de la combattre. La charité n’est pas humble, mais belliqueuse ! La charité, c’est de l’amour. En amour faut pas s’aplatir, c’est inopérant. Véry négatif. Même sodomisé, tu dois remuer pour l’agrément de la chose ! La carpette ? Jamais ! Dieu a horreur des serpillières !

— Dites, les mecs, interpelle soudain le Grasveau en se tournant vers l’assistance, c’est à ce truc que vous me comprenez ? (Il montre Ganesh.)

Un silence recueilli ne lui répond pas.

Alors il s’insurge.

— Bien ! Trop p’aimable ! Déjà Babar je trouvais un peu corsé, mais plaisant ! Non, sans charre. Vous l’avez vue, votre bestiole ! Et moi, hein ? Et moi ? Matez et comparez, quoi, merde !

Il quitte son fauteuil pour aller se placer au côté de la statue.

— Des jumeaux, p’t’être, non ?

La foule se prosterne.

— Ganesh ! Ganesh ! s’écrie-t-elle.

Un voile de tristesse passe sur le visage naguère radieux de l’imminent (et éminent) prince consort.

— Bon, j’ai pigé, c’est vindicatif chez vous, soupire le malheureux. Heureusement que j’ai faim.

Et il mange.

Beaucoup !

En force…

Nul n’ose l’interrompre. Ce n’est qu’après qu’il a nettoyé les plats d’offrande que la cérémonie peut se perpétrer (le terme n’est pas mal dans son genre, vous l’allez constater d’ici bientôt).

Les gurus apportent des parchemins raides comme des abat-jour de salon. Ils écrivent à l’aide d’une plume de Zyzigeânhmer[28] trempée dans de l’encre de Chine[29]. Bien qu’exprimant en sanscrit, ils écrivent vite, et pourtant, le sanscrit, faut se le respirer, non ? Essayez de rédiger votre déclaration d’impôts en sanscrit, et le Trésor vous en donnera de mes nouvelles !

Leur tartine achevée, ils vont déposer les parchemins au pied de Ganesh.

Chants ! Litanies (du docteur Gustin) ! Feuilles de rose ! Encens et en mil ! Vive la mariée !

Le grand prêtre (il s’est fait bonzer) s’approche de Bérurier.

Le déchausse.

Il a alors un mouvement d’épouvante et court se cogner un gorgeon de Chartreuse Verte au bonzebytère.

Pendant ce temps, la princesse Vadérhétroçatânas baise avec dévotion les pinceaux de son époux.

Attendri, Bérurier lui caresse tendrement la nuque.

— Tu vois, môme, lui gazouille-t-il, c’est à des p’tits détails de c’genre qu’on se rend compte qu’une femme vous aime.

Rassemblement des gurus.

Ces messieurs entraînent les époux aux pieds de l’hôtel (Ganesh en a deux).

Leur font signer les documents.

Puis ces bonzes-apôtres lèvent les bras au ciel en clamant comme quoi les messieurs-dames sont unis pour la vie, l’éternité, le meilleur, le pire et tout ce qui s’ensuit.

Après quoi, retour au palais. (Je gaze un peu parce que vous avez hâte de renouer avec une action dramatique.) Les époux, à présent, sont dans un carrosse halé par deux vaches à lait aussi blanches que sacrées.

Le Mastar, sans plus attendre, se met à peloter sa bergère.

— Bouge pas, p’tit loup, j’te ferai une fleurette en catastrophe avant le festin. Justement, je viens de me calorifuger les mandibules… Avec ça que le curry racontait des histoires corsées. Maintenant, j’ai du 220 voltigeurs dans la rognasse, Mémé ! Tu vas voir la façon que je te décapsulerai vite fait le trésor pour dire de se préparer une nuit de noces enchanteuse. Le Paradis, ça s’aménage, môme. Faut baliser le trajet pour faire une entrée mieux triomphante ! Une fois que j’t’aurai balayé les inconvénients, y t’restera que le nectar plus ultra. Ce soir t’auras droit à la potée rose ! Au cierge magique ! Ganache ? Tiens, fume !

Et d’échafauder des délices, chemin faisant.

Mais, hélas…

Et palissandre !

Bon, vous m’avez compris.

C’est trop beau pour ça dure. Dites, j’sus pas payé pour vous raconter le calendrier des postes ! Même nimbé de pittoresque, le descriptif, en littérature, y a rien de plus chiatique. Si je vous disais, j’ai pas moyen de relire Zola, Balzac, tous ces melons du 19e bataillon d’écrivains à pieds, tant tellement qu’ils me les concassent avec leurs grandes tartines fresqueuses. De la littérature du fiacre, tout ça, z’enfants ! À présent je roule pour vous. Ouf !

Dès qu’arrivé au palais, et tandis que Mme Bérurier Bis file en ses appartements pour s’aménager le territoire, le Maharajah Mâbitâhungoû nous convie à le suivre dans sa bibliothèque.

« Ma » princesse et l’horrible Tanhnahunecomça s’y trouvent déjà, buvant du thé à la fleur de lotus indexée.

— Asseyez-vous, mes chers amis, invite le monarque du Bandzob en nous montrant deux espèces de fauteuils déguisés en sièges.

On obéit.

Pourquoi ai-je l’impression, tout brusquement, que l’atmosphère n’est plus la même ? Il y a une certaine gravité sur ces visages. Un peu de tension dans l’air.

— C’est à quelle heure, la jaffe ? demande Alexandre-Benoît.

— Elle commencera dans trente minutes, prince, répond Mâbitâhungoû au cher Béru. Le repas durera trois jours et trois nuits, et il ne comprendra pas moins de six cents plats !

Béru rougit comme la petite Dubois quand on vient lui annoncer qu’elle a été nommée rosière.

— C’est pas Dieu possible, bafouille Son Ampleur sérénissime. Six cents plats, vous dites ?

— Pas un de moins.

— Dessert compris ?

— Non.

Le Gros se lève et va à son beau-frère.

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26

Le temple d’Hassê n’a pas la même signification que celui d’Angkor.

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27

J’ai des dons, y a pas ! Ah, quel écrivain j’aurais fait si je ne m’étais pas mis romancier !

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28

Oiseau rare, célèbre pour son plumage et ses longues pattes qu’on trouve dans la province du Kâzynodpâri (près de Calcutta).

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29

La Chine apporte une aide franche et massive à sa voisine indienne.