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En un chmolding, j’ai le temps d’enregistrer l’élan de Béru vers moi. Le coup de manche de lance qu’il dérouille de la part d’un lancier de feu de Bengale derrière la vitrine. Déjà je me suis emparé du poignard d’argent ciselé fiché dans la ceinture du cornac estourbi (or not to be). Re-déjà, j’ai bondi sur le vieux Trikviitt, fakir mis à la retraite anticipée. L’ai pris d’un seul bras (pas duraille ; s’il pèse quinze kilos après la mousson, c’est le bout du monde !). Je lui place un couteau sous la gorge.

« Ça y est, San-Antonio a perdu la raison ! » vous exclamerez-vous intérieurement, au risque de fêler vos cordes mentales.

Que tchi, mes bougres !

Santonio sait toujours ce qu’il fait, pourquoi il le fait. Je me plante au milieu de l’arène. Théâtral !

Ce que je dois être superbe et généreux, ainsi. Cette posture de gonze-qui-t’adort, mes jolies crevettes ! Marco Polo au Châtelet ! Lodi au pont Bonaparte ! Le Cid dans la chambre à coucher de Chimène après lui avoir arraché ses crêpes de deuil à la Chandeleur.

— Faites un geste, un seul ! Et je l’égorge. Sous vos yeux ! Vous entendez ? Un fakir ! Vous mourrez tous de mort violente ! Et vous serez plus maudits que Philippe Le Bel (l’inventeur du fusil de guerre) !

Je ne vous garantis pas avoir dit exactement ces mots, mais enfin v’là le sens général de mes paroles.

— Arrêtez-le ! ordonne Mâbitâhungoû, lequel s’est dégagé de certains préjugés qui lui revenaient plus cher que la cuisine au beurre.

Les gardes flottent.

— Emparez-vous de lui, et vite ! glapit le maharajah.

Il y a un certain mouvement, mais prudent. Alors quelque chose retentit dans l’arène (la fosse, la geôle, enfin le machin où qu’on se trouve). Heureusement que l’acoustique est ce que je vous en ai dit sinon le quelque chose serait inaudible tant il est faible. Il s’agit de la voix de Trikviitt.

Le vieux vieillard (il est des pléonasmes opportuns, voire nécessaires) s’excrime en sanscrime. Il use ses dernières ombres de forces à bonnir une sorte de lamentation.

En l’entendant, les gardes glaglatent et il se met à pleuvoir des hallebardes.

Moment fragile, à ne pas rater !

De la barbe à papa d’instant.

De la poussière de temps en suspension.

Je bouge Béru de la pointe du soulier. Il a été sérieusement sonné. J’hésite. Mon cœur bat, vous savez quoi ? Qu’est-ce qui a répondu la chamade, dans le fond ? Il a gagné deux kilos de sucre, bravo ! (On l’applaudit !) Oui, mes très vous, mon cœur bat en effet la chamade, comme dirait Françoise (pas la mienne, celle de Flammarion). Voici pourquoi.

Les deux vilains maharajahs ne sont superstitieux que par sujets interposés. Ils respectent la tradition pour ne pas indisposer le peuple, mais le sang d’un fakir, ah, là là, vous pensez s’ils s’en caressent l’aigrette !

Voyant l’inertie de leurs lanciers à la gomme, ils décident d’intervenir et dégainent leurs grands sabres du dimanche.

À pas lents, ils s’avancent.

Que dois-je faire ?

Profiter de l’inertie des gardes immobiles pour battre en retraite avec mon fakir, ou bien renoncer à tout pour rester en compagnie du Gros, lequel est hors d’état de me suivre ?

Cruel, mais court dilemme.

San-Antonio, vous l’aurez appris dans les manuels scolaires, et même dans l’Emmanuel Roblès, ne peut pas ne pas choisir l’action.

D’ailleurs c’est l’action qui le choisit !

En conséquence, il se met à reculer jusqu’à la porte…

S’élance dans le tunnel obscur, toujours lesté de son léger fardeau.

Tanhnahunecomça se précipite avec un cri que je qualifie sans barguigner de sauvage, sabre au clerc, comme un notaire pédé.

J’ai une esquive tournante.

Olé, toréro !

Ma main droite part en avant.

J’entends un « Ahaaaaarrrrrh » qui me fait mal aux oreilles. Le gros maharajah tombe à genoux en se pelotant l’abdomen.

Il s’est pris une sérieuse entaille dans la couenne. En séton, heureusement pour son futur. Mais enfin, c’est pas en se collant un timbre sur la plaie qu’il réparera cette boutonnière.

J’adresse une prière véhémente à Ganesh. Vaut mieux s’adresser aux dieux de la région, car ils connaissent mieux les us et coutumes.

« Seigneur Ganesh, invoqué-je, donne-moi le sens de l’orientation et permets-moi de trouver la sortie. Ça urge ! Amen ! »

Puis je décide de jouer mon va-tout.

Je fonce, le père Trikviitt ballotte sur mes épaules comme un sac de pommes de terre qui ne contiendrait qu’un peu de bois mort.

— À gauche, à gauche, la petite porte basse ! me clafouille-t-il dans la portugaise.

C’est vrai qu’il a fréquenté le palais pendant des années, le vieux bougre.

Heureusement !

Ganesh vient de m’exaucer en me procurant un cornac.

Nous ne passons pas moins de huit portes (deux basses, trois doubles, deux dérobées et une cochère) avant de nous retrouver hors du palais.

J’ignore si vous connaissez Khunsanghimpur ? Je crois utile de rappeler à ceux qui y ont tété que le palais rose se dresse sur un cobra rocheux, et qu’au pied de ce naja s’étend une forêt qui inspira Kipling quand celui-ci écrivit « Le livre de la Jungle ».

Mon vieux et vénérable guide continue de me driver avec une sûreté de carte Michelin.

— Contournez le mur d’encloque[32], vous trouverez un sentier étroit. Il faut le prendre.

Dont acte.

— Est-ce que vous apercevez un petit pont de lianes au-dessus du gouffre de Phâdhirak ?

— Je.

— Prenez-le… Une fois que nous serons parvenus de l’autre côté, tranchez les cordes qui le maintiennent ; cela retardera nos poursuivants qui seront obligés de contourner le massif de Lagranhchârtreuz pour atteindre l’autre bord.

Au lieu d’obtempérer, je dépose le bonhomme dans l’herbe galeuse.

J’écoute.

Y a remue-ménage au palais.

On entend barrir les hommes, crier les éléphants. M’est avis que mon crime de perce-majesté a dû mettre le comble à la hargne de nos ennemis.

— Pourquoi cessez-vous de fuir, mon fils ? interroge l’ascète.

— Parce que la ruse est préférable à la débandade, mon père ! réponds-je avec cette pertinence qui n’est pas la plus mince de mes nombreuses qualités (dont nous adressons la liste complète à toute personne qui en fait la demande, en échange de sa photo dédicacée).

Ayant déclaré, je m’engage seul sur le petit pont de lianes qui se balance sous mon poids.

Parvenu à son extrémité, je cramponne fortement le cordage servant de rampe, puis, d’un coup de mon poignard, je coupe l’une des ficelles maintenant la culée droite de la passerelle (les ponts et déchaussées de Khunsanghimpur la refont chaque année entre deux moussons, car au Bandzob on pratique le culage à sec). Après cette opération, évidemment bien sûr, le frêle pont est déséquilibré. Mais un gars de ma souplesse n’en a cure. Précautionneusement, je regagne la rive que je viens de quitter.

De quoi frémir, mes lurons !

Tout en bas, à deux cent quatre-vingt-trois mètres virgule trente-six, coule le Sééminal, dans une accumulance de roches haineusement dressées.

Ouf : la terre ferme !

Je reprends mon ya, l’assure bien dans ma main, ferme un œil, retiens mon souffle, élève mon âme à Dieu, attends la réponse, crois la percevoir, l’enregistre, place mon bras armé derrière ma tête, vise, concentre mes forces, bande mes muscles et lance le coutaille.

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32

Aux Indes on ne dit pas le mur d’enceinte depuis la campagne entreprise pour la régularisation des naissances.