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Un choc vibrant.

Dans le nœud ! Tous mes compliments, San-Antonio ! Tu restes égal à toi-même.

Et tu es le seul !

Je vise la corde sectionnée que le poids de la passerelle détortille. Les brins qui ont permis de la tresser se désunissant comme des poils de frifri sous la douche. Et puis, c’est le Vrrrranzzzzschplock !

Le pont végétal (on trouve très peu de pont animal aux Indes) lâche la rive d’en face et se met à pendre comme voici quinze ans la zézette au père Pouhâh !

— À présent, cachons-nous ! dis-je.

Le vieil insectiphage soupire :

— Vous êtes plus rusé que le renard, plus puissant que le tigre, plus souple que le crotale, plus adroit que le singe, mon fils.

— Je sais, fais-je en le ramassant : je suis le zoo de Vincennes à moi tout seul.

— Dissimulons-nous dans les broussailles, fait encore le bon fakir.

Il est ravi de voir que tous mes mouvements cèdent à mon devoir.

À peine sommes-nous planqués qu’une troupe armée se pointe en vociférant, ce qui est l’une des principales caractéristiques de la troupe lâchée sur les traces de fugitifs. Rien de plus bruyant qu’une battue ou une chasse à courre.

On les aperçoit qui déferlent, entre les feuillages. Ils suivent le sentier jusqu’au pont, découvrent que celui-ci breloque comme un porte-clés à son tableau de bord, ses amarres étant sectionnées en face, poussent des cris de désappointement et refluent plus vite et plus bruyamment qu’ils ne sont arrivés.

Bientôt le silence revient.

Nous sommes seuls.

Des busards aux ailes sombres volplanent au-dessus de nos têtes, silencieusement. Des parfums opiacés agressent nos narines.

Le père Trikviitt rampe jusqu’à un buisson de cactus fortement épineux. Il s’étend dessus voluptueusement, pousse un grand soupir pâmé et soupire.

— Voilà quinze ans que j’attends le grand repos. À présent, je puis mourir. Merci, mon fils.

— Hé, pépé, partez pas ! m’égosillé-je.

— Le temps est venu pour moi de quitter ce monde, mon fils. Je savais que je ne mourrais pas dans la prison de Mâbitâhungoû, Vichnou m’en avait averti, ce qui m’a permis de tenir. Maintenant ma révolution doit s’accomplir. Vichnou ne trompe jamais ! Vos dieux à vous autres, Occidentaux, sèment des paraboles mais ne bâtissent pas. Ils parlent de choses générales, et, quand ils ont beaucoup parlé, ils saisissent leurs auréoles et font la quête. Vichnou dit ce qu’il convient de faire, au moment où il faut le faire. Ainsi, tout à l’heure, lorsque vous avez échappé au pied de l’éléphant, vous n’avez fait qu’obéir à l’ordre de Vichnou. C’est lui qui vous a inspiré la ruse du pont. Lui qui vous mènera au succès. Lui, toujours, qui me pousse à vous déclarer ceci : « Retournez aux abords du palais, en suivant la face sud. Lorsque vous vous trouverez à la hauteur d’un sycomore géant dont le front domine toute la forêt, adossez-vous au tronc de l’arbre, là où la foudre en sa fureur inscrivit un profond sillon, comptez trente-trois pas en allant droit devant vous. Vous parviendrez jusqu’à un amoncellement de rochers. Cherchez, vous trouverez une fissure assez large pour permettre à un homme de votre corpulence de s’y glisser. Vous serez dès lors dans la grotte d’Anshokolâ. Personne n’aura l’idée d’aller vous y chercher. En ce lieu, vous aurez l’opportunité de méditer et de prendre les dispositions capables d’assurer votre salut. Merci, mon fils.

« Que Vichnou, Ganesh, Parvati et Krishna vous protègent. Maintenant retenez bien ces paroles du grand jaïn Pièhredâak dont je ne partage pas la religion, mais dont j’admire la sagesse : « La vie n’est la vie que parce qu’elle est la vie. » Grâce à votre grand courage, je meurs heureux. Adieu !

Ainsi parla le fakir Trikviitt, martyr de Khunsanghimpur.

Puis il ferma ses pauvres yeux épuisés.

Exhala un dernier soupir qui ne valait d’ailleurs plus grand-chose et entra calmement dans l’éternité. Pour ma part je me contentai de suivre ses recommandations et d’entrer dans la grotte.

PRIE CHAT SEPT

D’aucons[33] s’étonneront de ma réaction.

Et pourtant elle est telle que je te vas avoir le plaisir de vous la faire part.

Bon, la grotte d’Anshokolâ…

La dénicher est un plaisir lorsqu’on se conforme aux instructions ultimes de ce cher vieux fakir, mis sur ma route par les soins diligents de Vichnou. En v’là un (pas Vichnou, le fakir) qui avait une drôle de sacrée mémoire. Se rappeler les détails de la topographie à ce point tient du prodige. Vous allez me dire que, quinze années durant, il n’a rien eu d’autre à fiche que de se souvenir, mais y a tout de même là une certaine performance, gloire posthume à Trikviitt ! Merci pour lui.

Bon, je reprends…

La grotte d’Anshokolâ…

L’entrée en est étroite, mais une fois à l’intérieur on y est à l’aise.

C’est la salle Pleyel, en un tout petit petit peu plus grand. Il y fait sombre comme dans le cœur d’un blanc ou le cul d’un nègre. Une source récite une aimable litanie avant que d’aller se perdre dans les entrailles de la terre. Je m’y désaltère. L’eau est exquise. Il n’y manque qu’une mesure de Ricard pour qu’elle soit vraiment parfaite[34]. Dans le fond s’élève une montagne de noisettes amoncelées là par les prévoyants écureuils de la forêt à laquelle la grotte sert de silo. J’en croque quelques-unes. Ensuite de quoi je m’endors.

Oui : je dors.

Malgré l’angoisse de l’heure.

Malgré mon Béru abandonné entre les mains cruelles de nos tourmenteurs.

Je dors afin de récupérer mes forces.

Je dors pour user le temps pendant que les gardes poursuivent leur charge sauvage.

Et puis surtout, oui, vraiment surtout : je dors parce que j’ai sommeil.

Longtemps…

Beaucoup…

Passionnément.

À la folie.

PLUS DU TOUT !

Plus du tout car un bruit me réveille.

Celui d’une pierre qui n’amasse pas mousse (puisqu’elle roule). L’homme san-antonien, vous connaissez ? En selle tout de suite ! Hop ! hop ! Paré pour les dures réalités du moment à l’instant même qu’il a repris conscience. Je sais qu’il y a quelqu’un dehors !

Quelqu’un qui cherche l’entrée de la grotte, donc qui en connaît l’existence.

Les alarmes me viennent à l’œil. Holà, messire ! Holà ! les gens ! Qui passe ici cithare ? Car il fait nuit. La clarté diffuse qui, à mon arrivée, se faufilait dans la grotte n’est plus. L’opacité crée cécité. J’ai dû pioncer un fameux bout de temps. Ma fatigue envolée, d’ailleurs, me le confirme.

Je me ramasse sur moi-même dans la position du guépard affamé devant un gigot de mouton sur pied.

La lumière ronde d’une lampe de poche coule son halo jaune pâle dans le noir confiné de la grotte.

Les arrivants ne sont qu’un, semble-t-il, à moins qu’ils ne soient disposés en file hindoue. Pourtant, le pas qui accompagne la lumière paraît unique.

Le survenant parcourt quelques mètres à l’intérieur de la grotte. Il s’immobilise. J’entends le bruit un peu haletant de sa respiration réverbéré par la caverne. Puis le faisceau lumineux décrit un arc de cercle bondissant.

— Vous êtes là ? demande enfin une voix.

En français dans le texte, les gars !

Je me retiens de réagir. Peut-être est-ce une ruse de Mâbitâhungoû ? D’autant que la voix m’a paru féminine.

— Si vous êtes là, montrez-vous, ne craignez rien, je viens pour vous aider…

Je réprime un nouvel élan.

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33

Je préfère d’aucons à d’aucuns lorsqu’il s’agit de vous z’autres.

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34

Je rappelle à mes lecteurs que la publicité à bord de mes ouvrages est entièrement désintéressée. Je suis trop cher pour ne pas en faire cadeau.