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Rassuré, je prends mes coudes au corps de mes jambes à mon cou et je pique un sprint qui laisserait pantois mon ami Guy Lagorce (un fameux homme d’équipe). Elle a eu son autonomie sur au moins huit cents mètres, la moitié de bolide à Pinaud ! De quoi prendre suffisamment d’élan pour s’arracher à la traction (et à l’attraction) terrestre ! Devenir obus ! Comme disaient les velus de 14. Accomplir une œuvre dévastatrice ! Ramoner l’obstacle : en l’occurrence l’ambulance de mes messieurs !

Y a déjà plein de chignoles stoppées de part et d’autre de l’autoroute. Des curieux imprudents (pléonasme) qu’ont traversé pour aller mater le parapet brisé. Un garde-fou défoncé, c’est magique. Je vous mets au défi d’y résister. Faut qu’on s’en approche. Irrésistible. Un truc protecteur sous-entend le danger. Quand il n’a pas protégé, on a besoin du résultat. On veut voir ! Je découde du corps pour en jouer (des coudes). Me parvenir au premier rang, first place en bordure de l’abîme ! Vue imprenable ! Poussez pas ! Madoué, ce spectacle ! Vingt-trente mètres plus bas, là que le remblai ne remblaie plus ! Sur un terre-plein, feu de joie ! La Rôtisserie de la Reine Pétoche ! Ce brûlot ! « Volga en flammes » !

The last days of Pompéi ! L’incendie de Chicago ! Çui des Nouvelles galeries ! De l’Opéra de Pantruche ! Moscou abandonné par l’Empereur ! Ça crépite ! Ça pétille ! Fuse, gronde, éclate, gicle, explose, pétouille, se convulse, tortionne, crame ! Ça chauffe ! Le foyer rend comme translucide ce qui se trouve en son sein. On voit des mecs se tortiller au ralenti ! Des hommes en feu et qui se biscornent. Qui se foutent en cloque ! Qu’ont des gestes d’algues. Dont les cris brûlent avant que d’être exhalés. Des hommes dont la matière est combustible. Des hommes qui nous meurent devant sans qu’on puisse rien tenter. Vision atroce. Démence… Des dames évanouissent. Des hommes claquent des dents. On se sent périssables. À bout d’horreur. Crayeux de partout.

Le Gravos, essoufflé, me rejoint. Il mate. Rejette son bada en arrière, comme chaque fois dans les cas d’exception. Et puis il murmure ces mots que je vous laisse méditer à loisir :

— Mince, quand tu vois ça, tu réalises que Jehanne d’Arc, ça a pas dû avoir été de la tarte !

Deux plombes plus tard, dans un troquet, près de la glorieuse maison Bourreman and Cul…

Trois hommes à mine basse, avec l’oreille et la queue basses, parlent à voix basse.

Ils ont nom Bérurier, Pinaud, San-Antonio.

Une pesanteur étrange les accable. Ils n’osent se regarder. Ils fixent leurs verres. Les vident. L’évite. Lévite. L’évide.

J’efforce de penser à autre chose. Le meilleur remède que je connaisse consiste à prendre un proverbe et à le retravailler. C’est l’aspect manuel de la pensée. Tu prends des mots et tu retrousses tes manches. Après quoi tu pétris. Bientôt ton attention se fixe sur ta besogne. Le seul gars au monde qui soit vraiment distrait de sa mort, c’est le manuel. Le soudeur à l’arc, derrière ses lunettes fumées et son bec bleuté, tu crois qu’il a des redoutances métaphysiques ? Et le nabus, dans son champ, sur son tracteur trépidant, il est tourmenté par le devenir de l’espèce ? Mon zobinoche, oui ! Ils ont des racines, ceux-là. Des vraies, avec radicelles, ramifications et toutim. Sont bien plantés dans leur planète. Amarrés solide. Ancrés, quoi !

« Petit à petit, l’oiseau fait son nid. »

Félicie dixit. Je me récite la chose, m’en berce la bouche. M’en emmitoufle la coiffe.

Et puis je chamboule. Je garde petit, le point de départ. C’est la ficelle du ballon rouge. À partir de là, va falloir gambader. Petit à petit… Bon : petit appentis… C’est marrant, ça : petit appentis… Et puis non, pas assez satisfaisant sur le plan phonétique. Je préfère « petit appétit ». Ça coule mieux. Tu le dis très vite, nobody s’apercevrait de la substitution. « Petit appétit, l’oiseau fait son nid ». C’est ça, le jeu : prononcer autre chose sans que la phrase perde sa signification initiale. Parfait, je continue, si ça vous fait tarter, descendez m’attendre au paragraphe d’en dessous.

« Petit appétit, l’oiseau fait son nid ». Ça me vient en bloc. Tout le reste, à l’arrachée, dans un orgasme superbe de la pensée. Une éjaculation verbale qui te crache au plafond ! « Petit appétit, lois aux fesses, on nie ». Moi ça me fait poiler, pas vous ? Je suis graphique, non ? Sans le langage écrit, plus de San-A. Il irait contrepéter dans les chiottes, le malheureux.

— Petit appétit, lois aux fesses, on nie ! déclaré-je à mes deux navrants.

— Ça, c’est bien vrai, admet Bérurier. C’est ce que mon Vieux me serinait toujours. Chaque fois que quéqu’un m’aboulait une piécette de mornifle, il voulait que j’allasse la verser sur mon livret de caisse d’épargne, comme quoi ça rapportait des intérêts. Moi, mine de rien, je péculais en douce. Et quand j’avais réuni la somme nécessaire, j’allais me faire apprécier la tige au claque du canton par des dames qui savaient te tutoyer la membrane sans que t’en ressentes la moindre gêne. Mon éducation sexuelle, ça valait mieux qu’un petit bouquet en pleine dévalorisation sur un livret, non ? À ma majorité, j’eusse eu l’air fin de ramasser les quelques pions en débâcle amassés à la grigou. Valait mieux qu’ils fussent partis en fumée, non ? Tout pour la pipe ! Vive les calumettes suédoises !

Là-dessus, fortifié par ses souvenirs, il prend sur lui de faire renouveler les consommations d’usage.

— Pousse pas cette frite, Pinuche, dit-il à la Vieillasse. Y trouvera bien une autre moitié de guimbarde à greffer sur ton reste de libellule, ton neveu mécano. Seulement, c’te fois, dis-y qu’il fasse pas ses soudures au coton à repriser…

La Relique torchonne ses yeux chassieux d’un revers de manche.

— Ce qui s’est passé, je ne l’oublierai jamais, dit-il. Ces malheureux…

— Bast, autant que ça soye des malfrats qui passent au grille-roume, réconforte le Dodu. Chaque dimanche, t’as d’honnêtes familles laborieuses qui crament dans leur 4L en revenant de leur steakfrite’ party. Le seul emmerdouillage, dans tout ça, c’est qu’on a plus de piste et que la camelote est flambée ! Là, oui, je déplore…

— Et moi donc, renchéris-je. On démarrait sur un gros trafic, et puis ça tourne court… Car ce n’était sûrement que la ramification d’une importante filière.

Pinaud boit une gorgée de…[1], clappe de la pattemouille avec satisfaction[2] et balbutie.

— Oui, en somme, bon, selon toi, San-A, ces ambulanciers étaient en réalité des trafiquants ?

— Ça ne fait pas de doute. Où diantre emmenaient-ils le pseudo-blessé ?

— Évidemment, car enfin, bon, oui, somme toute, il s’agissait d’un pseudo-blessé ?

— Tout était prévu à l’avance, mon vieux Détritus…

— Ça me paraît plutôt assez évident, glapule Pépère. Mais alors, pratiquement, en fait, le joueur qui a assommé Flahagran-Dehli était un complice, s’il ne l’a pas vraiment assommé ?

Sa remarque fait dans mon esprit un bruit de casserole dévalant un escalier.

Gling ting boum bing pim poum tchofff fling…, etc. L’onomatopée est un style en voie de développement. Que chacun s’y essaie sans plus attendre. Les premiers placés seront les premiers servis. Continuez sur ma lancée à exprimer une casserole cascadant sur des marches. Ensuite vous bruiterez la voiture d’enfant du Cuirassé Potemkine dégringolant l’escadrin d’Odessa. Grâce à votre cher San-A, vous deviendrez les Victor Hugo de l’onomatopée. Bravo ! Et merci, San-Antonio !

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1

Emplacement à louer. Les maisons d’apéritifs peuvent faire des offres à mon éditeur, seul habilité à traiter.

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2

Bien entendu, lorsque j’ajoute que « c’est bu avec satisfaction », il y a une majoration des tarifs et la T.V.A. est à la charge de l’annonceur.