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CHATRE PI QUATRE

Le plus formide, malgré tout, c’est ce qui suit. Permettez que je te vous le narrasse.

Tandis qu’on barbote à vau-l’eau, la donzelle, elle, s’évacue de l’onde presto. Un saut de dauphine et elle a opéré un rétablissement (thermal). La v’là qui fonce vers un cadran fixé au mur carrelé. Nous, loqués hivernal, vous pensez qu’on ne l’a pas chouettos pour se dépatouiller de la piscine. Un pardessus en poils de chameau, ça n’a jamais constitué la tenue de bain idéale ! Mais je suis là que je vous laisse en rade (comme on dit à Brest) ; donc, la fille court à un cadran, dont elle manœuvre un levier chromé.

Aussitôt, un courant électrique passe dans l’eau de la piscine. Pas très fort, certes, mais suffisant toutefois pour nous paralyser, le Gros et moi ! Quelle vigoureuse horreur ! Déjà, quand je descends de la voiture, parfois, en compagnie d’une gerce envisonnée, je crie de surprise en morflant des décharges consécutives à l’électricité statique, alors vous jugez : du courant pur jus, en direct. Je suis envahi d’un intense frisson. Mais ce frisson est immobile, comme les sillons d’un labour. J’ai l’air d’un 33 tours, moi ! Juste ciel, ce que je détesterais passer à la chaise électrique ! Y en a qui prétendent que c’est une mort confortable, ben à la vôtre, Etienne ! À ce compte-là, j’aime mieux périr debout, style maréchal Ney !

Son Altesse Gravossissime Alexandre-Benoît Premier claque gentiment des ratiches. On dirait les échos d’une boîte de nuit espagnole.

Bien évidemment, l’Hindoue aux seins apostropheurs profite de notre bain d’E.D.F. pour s’esbigner.

Salope, va !

Elle nous a feintés avec brio. Vous ne trouvez pas ? Décidément, cette affaire n’est pas catholique. Je lutte contre le courant qui me vrille l’intérieur. M’exhorte à l’action. Domine l’espèce d’horreur chamelle dont je suis emparé[7].

Arrache-toi, San-A. Sur la droite, l’échelle près du plongeoir… Faut qu’tu t’hisses ! Dès que tu seras sorti de cette garcerie de tisane, tu retrouveras ta quiétude de jeune fille. Allez, du cran, camarade !

La vie est un laisser-aller, je me dis bien souvent. À peine né, tu t’écoules vers les caniveaux obscurs. Au début, tu rebuffes, mais à la longue, de fréquenter tant de gens qui raffolent de l’existence, tu finis par ne plus te sentir le droit de t’y attarder. Quand j’en vois qui se permettent de nonagéner, merde ! À une époque qu’un milliard de Chinois demandent leur admission au Rotary Club, faut de l’outrecuidance, non ? Sans parler de la patience…

C’est juste pour dire de faire bisquer le monde. De nos pauvres jours, la vieillesse est insolente. Drôlement gonflé, faut être, pour s’oser balader dans les rues quand tu trimbales soixante-dix carats au-dessus de zéro ! Notez, ça ne va plus durer. Que ceux qu’ont de l’aptitude se dépêchent d’être vieux, mes frères. Le temps s’annonce qu’on leur donnera la chasse, aux mirontons, pire qu’aux juifs pendant la dernière guerre. Sitôt qu’on apercevra un fossile, ce sera un cri dans le quartier « En v’là un ! ». Dès lors, que disait l’autre birbe, ce sera du massacre improvisé. Qu’ensuite on devra rentrer changer de lynche ! Bien sûr, t’auras des truqueurs : des qui feront semblant d’être jeunes. Pour les détecter, ces futés, on inventera un appareil quéconque. Ça carillonnera sitôt que t’auras franchi le cap de la cinquantaine. Petit à petit, la moyenne de mort sera abaissée. Dès le berceau, en allant te déclarer, ton dabe touchera tes coupons de vie. Quarante ans, puis trente-cinq… On continuera de réduire la durée du citoyen pour laisser la place aux arrivants. Un marché black s’organisera. Des richards achèteront du rabe d’existence aux paumés.

Vous verrez. J’ai l’air de prédire dans le désert, mais bougez pas, mes pommes. Tout ce que j’annonce se réalise, toujours, infailliblement !

Allez, brèfle, je me ramène aux cruautés de l’instant. Grelottant de mon frisson immobile, je sors de la baille. Le phénomène cesse, comme le mal de mer lorsque tu mets pied à terre.

Je cours à la manette du jus.

Terminé aussi pour Béru.

Il sort. On fait des flaques immenses. On est lourds comme un troupeau de vaches pleines.

Dans la rue ça grouille. Police Secours joue sa musiquette pour catastrophes en tout genre.

— Et alors, Pinaud ? T’as intercepté le monde ?

Il lève des bras misérables.

— Va-t’en intercepter l’eau d’un barrage rompu, San-Antonio ! Tous les habitants de l’immeuble sont sortis en même temps.

Je laisse la foule charogner du regard jusqu’à ce qu’on ait déblayé le gros voltigeur. Puis, quand les badauds sont en congé de badauderie, j’aborde une vieille bonne en costume de vieille bonne, au moment où elle va pénétrer dans l’immeuble.

— Mande pardon, gentille madame, vous habitez cette maison ?

— Hein ? Oui. Mais vous êtes tout mouillé, répond la bonne dame, ou la dame bonne au choix !

— Tiens, c’est vrai, je ne l’avais pas remarqué…

— Pourtant, il ne pleut pas, s’étonne-t-elle. Comment se fait-il que vous soyez mouillé ?

Elle a l’accent rocailleux des Pyrénées et sa barbe frise dru.

— J’ai beaucoup pleuré en mangeant de la moutarde extra-forte. Dites-moi, puisque vous demeurez ici, vous deviez connaître le monsieur qui est venu déguster le trottoir ?

— Je l’ai vu plusieurs fois, ces derniers temps, en effet, il habitait chez les Merdre. M. Merdre doit être en voyage et il avait sûrement laissé son appartement à son ami.

— Car M. Merdre a disparu ?

— Disparu, c’est vite dit, simplement on ne le voit plus, rectifie-t-elle.

— Il y a également une dame, chez lui. Genre hindoue, non ?

— Oui, je crois. Mais ça, c’est plus récent.

— Qui assurait le ménage dans l’appartement ?

— Son personnel, un couple d’italiens.

— Où est-il, ce couple d’italiens ?

— En Italie. C’est leurs vacances…

Marrant, ça ! Des vacances d’hiver, voilà qui n’est pas très fréquent pour des employés italiens. En somme, un changement de vie radical s’est opéré chez les Merdre depuis peu. Le personnel et le maître sont dans la nature. Un gros lard inconnu a pris la relève, en compagnie d’une gonzesse des Mille et Une Nuits. Ce couple n’aime pas la police, faut croire. Quand j’annonce mon identité au parlophone, l’obèse se jette par la fenêtre et la souris nous flanque dans la piscine où elle nous fait subir un petit traitement électrique. Tout ça m’a l’air pas commun, non ?

— Et le fils Merdre ? insisté-je en éternuant, car je commence de glaglater vilain, moi, trempé comme une soupe au chou dans la froidure hivernale.

— Quoi, le fils ?

— Il a disparu aussi ?

— Non, il habite toujours l’appartement, je l’ai vu partir sur sa moto pas plus tard que ce matin ; elle fait assez de boucan, doux Jésus ! Ma patronne qui est cardiaque du cœur veut faire signer une répétition par l’immeuble pour l’interdire. Qu’au moins il aille la faire démarrer au coin de la rue ! Mais non : sous les fenêtres ! Et on loge au premier !

Le Gros me chope une aile.

— Mande pardon de vous troubler le filtre, les amoureux, ronchonne-t-il en parlant exclusivement du nez. Mais j’aimerais bien aller changer de pelure, moi, j’ai les claouis en chambre froide !

Je décide que, bien que nasale, sa voix est celle de la sagesse.

On rentre se loquer.

Pinuche décide de m’accompagner.

Dans le taxi où je grelotte, il tire un portefeuille en croco très rebondi de sa poche.

— J’ai prélevé ça sur le défunt, me dit-il. Tu ne m’avais pas donné d’instructions à ce propos, mais j’ai cru bien faire…

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7

C’est pas français, mais moi, si !