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— On ne plaisante pas avec la mort, San-Antonio, c’est un sujet trop grave !

— C’est une réminiscence de ta vie théâtrale sans doute, ricané-je, réplique de la page 113 de Mon nu sur la commode…

Mais il a son air piteux et pitoyable des mauvais jours.

— Tu te doutes bien que si tu cannais, j’irais me flanquer un coup de pétard sur ta tombe, comme le général Boulanger… Je ne conçois pas la vie sans toi, Pinaud !

Il prend place dans ma tire et rêvasse :

— Il a fait ça, le général Boulanger ?

— Tes connaissances historiques sont limitées à ce point ?

— C’est rare qu’un général meure d’un coup de feu, conclut-il.

Je suis frappé par cette remarque profonde.

— Oui, conviens-je, c’est rare, ils meurent plutôt dans leur lit ou bien s’ils meurent par balles, c’est contre un mur…

On stoppe dans les considérations philosophiques, because elles nous mèneraient trop loin.

— Tout le monde ne peut pas canner dans son lit, conclut Pinuche.

— Tu penses à ton ex-beau-frère, je parie ?

— Oui… On s’est connus jeunes… Je vais te dire, ça n’était pas un garçon très intéressant, mais il me rappelle la bonne époque. En ce temps-là, je ne portais que des nœuds papillons bleus, à pois, et j’avais quatorze paires de chaussures à la maison… Mes parents…

— Je sais, ils étaient bottiers… Écoute, Pinocchio, je t’ai fait venir au sujet de ton beau-frère…

Il me regarde avec surprise, puis, avec des gestes maladroits, il rallume le pauvre mégot jaunâtre qui pend sous sa moustache.

— Que veux-tu dire ?

— Que son suicide n’en est pas un. J’ai arrêté le mec qui l’a foutu par la fenêtre…

— Pas possible !

— Si. Seulement ce type-là n’est peut-être pas non plus son assassin. Il affirme que ton beauf était canné au moment du plongeon. Il paraît qu’on l’avait rétamé d’un coup de coupe-papier en fer forgé…

— Pas possible !

— T’as le leitmotiv sur mesure, dis-je.

— Qui l’aurait assommé ?

— C’est ce que nous devrions essayer de découvrir… Ça n’est pas de votre ressort, comme disait un fabricant de sommiers, mais personne ne peut nous empêcher de mener une petite enquête pour notre compte, hein ? Ce type, il était un peu de la famille, alors…

Pinaud récupère lentement… Son mégot n’est plus qu’un point incandescent qui fait grésiller sa moustache.

— Un coupe-papier en fer forgé, murmure-t-il, je vois de quoi il retourne : c’était la tante Adèle qui le leur avait offert pour leur mariage… Une belle pièce, vraiment !

— La tante Adèle ? hasardé-je, voulant me lancer dans l’astuce façon de Bérurier.

— Non, ce coupe-papier… Il devait peser plus d’un kilo… Le manche représentait un naja et la lame était large et plate…

— Bref, ça n’offrait aucune utilité pour décacheter une lettre, mais c’était idéal pour écraser la coiffe d’un gars ?

— C’est vrai…

— Tu n’as jamais entendu parler de sa vie privée, au Mario, depuis le divorce de ta belle-sœur ?

— Pratiquement non…

— Une belle blonde en fourrures blanches, ça te dit quelque chose ?

Il réfléchit.

— Marlène Dietrich ? propose-t-il sérieusement.

— Pinaud, murmuré-je, quand on t’écoute, on se demande où dérive l’humanité. Tu n’es qu’un fœtus développé et si on avait la curiosité — malsaine — de te trépaner, on ne trouverait dans ta tête qu’un peu de coton hydrophile !

Il hausse les épaules.

— Toujours tes phrases qui ne veulent rien dire et qui ne sont que grossières. J’ai vingt ans de plus que toi, San-Antonio, tu l’oublies !

Il essaie de rallumer son mégot.

— Tu aurais intérêt à fumer carrément ta moustache, conseillé-je.

Il relève le col de son pardessus, lequel s’était rabaissé. Il s’isole. Mais comme chez lui l’envie de parler est plus impérieuse que la fâcherie, il demande bientôt :

— Où allons-nous ?

— Chez Josephini…

— Ah oui ?

— Oui… Ça te contriste ?

— Ça me fait quelque chose : les souvenirs… Mario, je vais te dire, c’était un type sans grand intérêt, mais nous avons été jeunes ensemble…

— Stoppe ! lancé-je, agacé, tu l’as déjà dit. Si tu viens me raconter tes nœuds papillons à pois bleus, je fais un malheur…

Nous arrivons devant « l’immeuble tragique » rue de l’Université. Une concierge moins haute que son manche à balai déplace des microbes sous son porche. Elle a un regard en vrille et des rides pleines de crasse. Elle sent la vieille concierge, ce qui est une odeur dûment homologuée par les spécialistes du sens olfactif.

Elle nous toise du bas de sa hauteur.

— Messieurs ?

— Bonjour, madame, fait courtoisement Pinaud.

— Vous désirez ?

Le Pinuchet des familles va pour lui raconter sa jeunesse avec Mario, mais je lui cisaille l’épithète au ras des baveuses.

— Police, nous montons, déclaré-je en produisant ma carte…

La vioque frémit.

— Je ne vous avais pas encore vu, affirme-t-elle.

— Eh bien ! vous ne pourrez plus en dire autant…

Nous nous engageons dans l’escalier. Elle nous trotte au der.

— Vous savez que le commissaire de police du quartier a fait poser un cadenas, parce que la porte avait été enfoncée ?

— Nous savons…

— Vous avez la clé ?

J’explose. :

— Occupez-vous de votre poussière, ma brave dame et fichez-nous la paix.

Elle se cramponne à la rampe.

— En voilà des manières !

Son petit regard vipérien est dardé sur nous, tandis que nous montons. Pinaud est tout contrit.

— Tu n’aurais pas dû l’envoyer bouler, murmure-t-il, c’est une personne d’un âge et…

Sautant de l’ânesse au coq, il demande :

— C’est vrai que tu as la clé ?

— J’ai sur moi la clé de toutes les serrures, lui dis-je, tu le sais bien.

— Ah ! Ton sésame ?

— Oui…

Nous voici au troisième. Il n’y a qu’un appartement par étage. Une porte disloquée, remise tant bien que mal sur ses gonds et fermée par un gros cadenas nous apprend que c’est bien là.

— Mais, il y a les scellés ! fait Pinaud en désignant des cachets de cire.

— Qu’à cela ne tienne !

Je fais sauter ce barrage symbolique avec la pointe de mon canif.

— Ça n’est pas très légal, chevrote mon compagnon. Soupin pourrait porter le pet et nous faire avoir sur les doigts !

J’éclate d’un rire homérique.

— Soupin ! Il se tiendra peinard, fais-moi confiance, et il y a même des chances pour qu’il aille se cacher sous une meule de foin lorsqu’il apprendra qu’il y a eu crime et qu’un truand se tenait planqué dans l’appartement pendant ses investigations.

Ce disant, je fourrage dans le cadenas et celui-ci pousse le dernier soupir.

Nous poussons la porte et entrons dans l’appartement de feu Mario Josephini. Pinaud écrase une larme rétrospective.

— Ne sombre pas dans la glycérine, lui fais-je, mettons-nous plutôt au turbin.

TROISIÈME REPRISE

1

L’appartement est vieux, classique, sale et d’un confort modeste. J’ignore si Mario enfouillait beaucoup d’artiche, mais dans ce cas il ne le collait pas sur ses murs, car le papelard de la tapisserie date d’un siècle indéterminé et lointain. Tout est passé, pisseux et triste… Ça renifle le renfermé, l’homme seul, l’avarice…