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— Il n’avait pas des goûts de luxe, ton ex-beauf, noté-je.

Pinaud s’arrête devant chaque meuble en reniflant les remugles de la belle époque (dite, pour lui : nœuds papillons). Moi, plus direct, je les inventorie… Je déniche le bric-à-brac habituel d’un appartement. C’est sans intérêt ; aussi n’accordé-je à ces babioles qu’un coup d’œil sommaire. Je « fais » la salle à manger-salon. Pièce attendrissante par son rococo, ses plantes vertes jaunies, ses cache-pots de cuivre, ses vieux napperons brodés, bouffés aux mites. Les meubles sont auréolés de taches de vin ; le parquet n’a pas été ciré depuis le divorce de Mario, et la poussière agglomérée a rendu les vitres de la croisée à peu près opaques. Je passe ensuite dans la chambre à coucher. Il faut vraiment que Soupin ait eu de la peau de sauciflard dans les carreaux pour ne pas comprendre qu’il s’est passé céans des choses pas catholiques.

D’abord l’absence de la descente de lit met sur le parquet un grand rectangle brillant, ensuite, il est aisé de trouver des taches brunes dans la poussière. Je suppose que, la nuit du meurtre, ces taches devaient être rouges. Oui, décidément, ce docte Soupin aurait eu intérêt à s’engager dans la Légion étrangère plutôt que dans la police.

Pinaud est sur mes talons. Il me désigne le lit capitonné, dont le satin troué bave son crin sans retenue.

— Cette chambre, fait-il, c’était l’oncle Girard qui la leur avait offerte. Il était riche à l’époque : grosse propriété en Algérie…

Je lui fais signe de la boucler. Sa voix monocorde m’empêche de gamberger convenablement. Et je sens que la solution du problème se trouve dans cette pièce. C’est ici qu’on a buté Mario… Pourquoi ?

Le meurtre n’était pas prémédité puisqu’il a été tué avec un objet se trouvant chez lui… Donc, son interlocuteur et lui se sont attrapés au cours d’une discussion. Le premier a cramponné ce qui lui tombait sous la pogne, c’est-à-dire le fameux coupe-papier de la tante Adèle. Il a fracassé le dôme de Mario et s’est taillé…

Il était tellement pressé qu’il n’a pas même fermé la porte…

Pourquoi se sont-ils pris de bec, les deux zouaves ? That is the question…

Je me gondole en songeant à la tête qu’a dû faire le meurtrier, le lendemain, en apprenant que Josephini était tombé de sa fenêtre. Il a dû ne rien piger à la chose… Ou bien il s’est dit que sa victime n’était pas morte, qu’elle s’était redressée après son départ, avait gagné la fenêtre pour appeler au secours, et avait basculé…

Je m’agenouille au bord du lit et j’examine attentivement le dessus du pieu. Je découvre quelques poils blancs, longs et souples.

Je les place dans mon porte-cartes aux fins d’expertise. Pinaud, lui, a disparu. Il fouinasse dans la cuisine. Soudain, il s’exclame :

— Il lui en reste encore !

— De quoi ? m’informé-je.

— De la Bénédictine 1860. Le cousin Émile leur en avait donné trois bouteilles. Mario y tenait comme à la prunelle de ses yeux… Il n’en buvait que dans les jours fastes et il n’en offrait pour ainsi dire pas.

Avec dévotion, il considère le fond de bouteille.

— On va y goûter, décide-t-il.

Tandis qu’il cherche des verres dans le buffet, je zyeute l’évier encombré de vaisselle sale. Il y a, par-dessus l’édifice, deux petits verres à liqueur. Je les renifle, tous deux fleurent la Bénédictine.

— La boutanche était sur la table ? je demande à Pinuche.

— Oui…

J’examine les verres. L’un d’eux porte des traces de rouge à lèvres. Un rouge plutôt mauve, du reste. Ces traces et les quelques poils de fourrure m’introduisent à penser (comme dirait Bérurier) que Mario a reçu ici une poupée peu de temps avant sa mort.

La fille blonde dont m’a parlé le petit champion ? Probablement. Le rouge à lèvres est un rouge de blonde et les poils de la fourrure sont blancs.

Nous éclusons le restant de la Bénédictine. Je n’ai pas un amour démesuré pour les liqueurs, mais je dois reconnaître que celle-ci était de First quality. Je comprends que Josephini en ait été avare. Cela m’amène à conclure que la gonzesse avec laquelle il a lichetrogné un godet était dans ses faveurs. Peut-être qu’il se l’embourbait ?

Nous poursuivons notre perquise en règle. Dans un tiroir de la commode, située dans le couloir, je déniche un passeport au nom de Mario Josephini. Il est constellé de visas. J’examine le truc en détail et je constate que le manager a fait de fréquents voyages à l’étranger, ce qui est normal pour un garçon possédant une importante écurie de boxeurs. Il se rendait beaucoup en Angleterre, Italie, Belgique et Allemagne… Le mois précédent, si je m’en réfère à son passeport, il est allé en Afrique du Sud, au Cap, très exactement. Je crois, en effet, me rappeler qu’il y a eu une grande rencontre internationale de poids légers. Un gars de Josephini, le Français Beppo Seruti allait challenger le Sud-Africain Durran. Je remets le document à sa place. Mario a eu une sale mort, mais il menait une belle vie. Il s’offrait des baths croisières aux frais de ses casseurs de mâchoires. Ses poulains encaissaient les gnons et lui l’artiche, juste répartition.

— Tu as trouvé quelque chose ? demande Pinaud.

— Rien que nous ne sachions déjà…

Je continue de farfouiller, déçu de ne pas dégauchir d’indices bien soi-soi.

— J’aimerais savoir le blaze et l’adresse de la souris blonde qu’il frayait, ton beauf, Pinaud… Tu ne pourrais pas aller dénoyauter la pipelette ? En qualité d’ancien acteur, tu dois avoir des affinités avec une dame du corps de balai…

— Très fin ! grommelle-t-il en se dirigeant vers la porte.

Avant de sortir, il écrase une nouvelle larme devant une statue de plâtre représentant une dame fringuée 1900 et vautrée sur un canapé avec l’air languide de quelqu’un qui réclame son Stérogyl-15.

— La cousine Irma qui l’a offert, celui-ci ? je lance à mon collègue.

Il secoue sa bouille navrante.

— Non, hoquette-t-il, c’est moi.

Lorsque la vieille cloche est barrée, je me sens plus à mon aise. Pour bien gamberger, rien ne vaut la solitude. Voyons, ce soir-là, Mario avait rancart avec Abel (si je me fie aux dires de ce dernier, mais je n’ai rien de mieux à faire pour l’instant).

Donc il l’attendait à une heure industrielle pour parler affure. L’autre visite qu’il a reçue (et qui lui a coûté la vie) n’était certainement pas prévue au programme ; mais il s’agissait de quelqu’un de familier puisqu’il l’a reçu dans sa chambre. De quelqu’un avec qui il ne se gênait pas, puisqu’il l’a emmené boire un glass à la cuisine. Et enfin de quelqu’un qu’il aimait ou pour qui il avait du sentiment puisque, bien qu’étant pingre, il lui a offert de sa chère Bénédictine… Ce quelqu’un était une femme.

J’essaie de piger le topo. Elle se pointe chez Mario à l’improviste, le fait paraît certain. Pourquoi ? parce qu’elle devait avoir besoin de lui… Pour faire l’amour ? Je ne pense pas, c’était pas Casanova, le manager… Sa photo prouverait même qu’il avait plus d’affinités avec King-Kong qu’avec James Steward… La dame venait lui demander autre chose… Peut-être du fric ? Oui, je pencherais pour ça : du blé. Il l’a d’abord reçue gentiment, comme si cette visite était une aubaine inespérée. Puis ils ont passé dans la chambre, la dame s’est assise sur le lit. Mario s’est peut-être même fait reluire ? La dame a demandé ce qu’elle était venue chercher… Il a refusé, ça s’est gâté, elle a chipé le coupe-papier et l’a abattu sur le crâne de Josephini qui est parti directement chez saint Pierre… Alors la dame a biché les jetons et s’est cassée tandis que Dubœuf s’annonçait, tout plan-plan.