Voilà une version du drame qui me paraît plausible, ce qui est déjà bien pour une hypothèse. Il peut y avoir des variantes à l’histoire, mais en gros elle approche certainement de la vérité.
Ce que j’aimerais bien savoir, c’est si la bergère voulait de l’auber. Dans ce cas, elle pourrait en avoir fauché, non ? C’est surprenant que ce vieux grigou n’ait pas un magot chez lui. Les radins aiment bien pioncer sur des jaunets, ça leur file des ondes bénéfiques dans la moelle épinière.
Je soulève le matelas : peau de balle ! Rien non plus sous le lit si ce n’est une poussière abondante. Je palpe le capitonnage du paddock : en vain… Je soulève les quelques gravures et chromos ornant les murs et qui, eux, ont été offerts, non pas par l’oncle Modeste ou la cousine Berthe, mais de façon générale par le chocolat Pupier… Je tombe sur une petite porte de coffre très classique. Vous savez ? Ce genre de niche murale que l’on masque avec un calendrier chez les conseillers fiscaux, et avec une reproduction de Millet dans la haute bourgeoisie.
La porte blindée est fermaga, mais, vous ne l’ignorez plus parce que vous le savez depuis que je vous l’ai révélé (comme dit Chose), pour moi, aucune serrure n’a pas plus de mystère qu’une main de fer dans une culotte de zouave en velours côtelé. Le temps de lire le bulletin météorologique dans votre baveux habituel, et la porte s’ouvre démasquant une ouverture carrée. À l’intérieur, il y a l’habituel petit sac de toile contenant une centaine de louis d’or, qu’on trouve chez tous les Français moyens, et une centaine de mille francs. C’est tout. Ceci, bien entendu, ne représente pas la fortune de Josephini, mais plutôt son hochet. La nuit, quand l’insomnie le tenaillait, au lieu de gober un cacheton sédatif, il devait caresser son jonc…
Pinuche réapparaît sur ces entrefaites.
Il bigle l’ouverture mise à jour.
— Tu as trouvé un trésor ? demande-t-il, l’œil gentiment cupide.
— Un trésor, c’est beaucoup dire, mettons un peu de vaisselle de fouille et n’en parlons plus !
— Fais voir…
Il palpe les louis.
— J’aime bien l’or, fait-il. À la maison, nous avons dix Napoléons. Je ne sais pas si c’est un bon placement, ils baissent !
— Ce ne sont que des Bonaparte, fais-je, laisse-les vieillir…
Je remets le tout en place.
— À propos, bonhomme, c’est la frangine de ta moukère qui hérite ?
— Je ne sais pas, soupire Pinaud. Depuis le temps, il a dû faire son testament, tu parles, ils étaient complètement séparés de corps et de biens et n’avaient plus rien de commun.
— Suppose qu’elle se sache l’héritière de Mario et que ça soit elle qui l’ait refroidi ?
Ma suggestion le sidère.
— Tu débloques ! On voit que tu ne connais pas Marthe ! La douceur même, pas du tout comme ma femme !
Je tranche :
— Tu as parlé à la concierge ?
— Oui…
— Bon, accouche…
— Mario grimpait les roulures du quartier. Toutes les paumées qu’on trouve dans les bars de Saint-Germain y passaient… Mais il les montait chez elles ou en hôtel, il était jaloux de son appartement.
Pinaud fouille les vagues de son pardingue râpé. Il finit par dégauchir un mégot jaune qui ressemble à un cadavre d’insecte Il se l’introduit sous la moustache et allume la brindille de tabac qui subsiste.
— Prends ton temps, fais-je.
Il bat des paupières.
— Tu es toujours sur les nerfs, toi. C’est très mauvais.
Je me retiens de l’invectiver, ne voulant pas retarder davantage son exposé. Car je sais qu’il a autre chose à dire…
— Une seule poule est montée ici, dit-il. Une blonde superbe… Elle est venue avec lui en auto, le mois dernier… Et elle est revenue le jour de sa mort, dans l’après-midi…
Je sursaute…
— Avec des fourrures blanches ?
— Oui, c’est ça… Mario n’y était pas, la concierge lui a conseillé d’aller à sa salle d’entraînement, à Grenelle ; elle lui a donné l’adresse…
— Et…
— Quoi ?
Je hausse les épaules.
— Non, rien, j’interrogerai moi-même la pipelette.
— Je ne pense pas qu’elle t’en dise long après la rebuffade de tout à l’heure ; elle est très vexée, tu sais ?
Je prends le bras de Pinaud :
— C’est pas possible ! Ne me torture pas, ça m’empêcherait de roupiller !
Je m’apprête à le suivre quand je tombe en arrêt devant la glace décorant la cheminée. Elle est aussi mitée que la moustache de Pinaud, mais ça n’est pas elle qui m’intéresse. À gauche et à droite, il y a un clou à tête d’or. Au clou de gauche, une paire de gants de boxe est accrochée, rappelant la profession du défunt. Le clou de droite ne supporte qu’un morceau de lacet. Je m’approche. Ce lacet est élimé comme si on avait tiré dessus et il est attaché par un nœud solide au clou… On dirait qu’une autre paire de gants se trouvait là, faisant logiquement pendant à l’autre, et que quelqu’un d’impatient l’a arrachée de son support.
— Qu’est-ce que tu regardes ? s’inquiète mon collègue, ces gants ?
— Oui…
— Ils te font envie ?
— Je pense que ça serait pratique pour me gratter si un jour j’attrapais des morbacks…
Il rit, ce qui lui arrive rarement, et seulement lorsqu’il est l’auditeur de plaisanteries aussi spirituelles que celle-ci.
— Bon ; amène-toi, fossile…
— Je te serais reconnaissant de respecter mes cheveux blancs, proteste cette digne émanation de la médiocrité française.
— Tu n’as qu’à te les passer à l’Oréal, tes tifs, hé, Crin Blanc ! Allez, éteins les borniques et referme le cadenas tant bien que mal pendant que je vais interviewer miss Poussière dans sa loge !
La minuscule et aigrelette concierge est en train de faire revenir des oignons (qui du reste n’étaient pas partis) dans une cocotte lorsque je m’inscris dans son espace vital.
— Ah ! c’est vous, le mal poli, grommelle-t-elle.
Je sursaute.
— Madame, je viens précisément vous présenter mes excuses… Je ne voulais pas vous blesser, tout à l’heure, mais dans notre métier nous sommes toujours sur les dents et…
Je complète ma phrase par un silence (si je puis dire) lequel silence est harmonieusement souligné par un billet de dix francs. La concierge arrête le gaz sous ses oignons.
— Oh ! monsieur, fait-elle d’une voix qui ressemble à l’ouverture d’un vieux portail… Vous êtes tout excusé.
— Dites-moi, mon collègue m’a parlé de cette dame que vous aviez aperçue en compagnie de Josephini…
— Ah ! La blonde !
— Quel genre avait-elle ?
— Poule entretenue… Des fourrures, des bijoux que j’aurais honte de les porter !
Je réprime une forte envie de rire.
— Jeune ?
— Vingt-cinq ans… Grande, jolie, il faut l’avouer…
Et c’est avec peine qu’elle avoue cela, du reste, cette espèce de balayette pour chiottes pauvres.
— Elle est venue souvent.
— Deux fois. Le mois dernier, et lundi après-midi…
Elle rit.
— Lundi, elle s’est méfiée pour sa voiture, je vous garantis. La première fois, elle l’avait mise carrément devant la porte cochère, je vous demande un peu ! Un agent a verbalisé pendant qu’elle était en haut avec ce pauvre M. Mario… Lundi, elle l’a remisée plus loin, à cheval sur les clous, ces filles se croient tout permis.