— Un peu romantique, ta nouvelle piste, grommelle cet incorruptible pédant.
Je m’arrête de jacter et le bigle en plein dans les lampions.
— Tu permets…
— Pardon…
— Nous avons un moyen de retrouver la femme… Et de la retrouver très vite…
— Ah oui ?
— Tu ne vois pas ?
— Heu… non.
Pinaud retrouve son rire de chèvre. Il donne le coup de pied en vache (afin de compléter l’étable) à Soupin en déclarant :
— Voyons, la contravention…
Soupin jubile :
— Oh oui, c’est vrai ! Il faut rechercher dans le cahier des procès-verbaux le numéro de la voiture ayant été verbalisée par un de mes hommes devant la porte de chez Josephini… Quelle date ?
— Sans doute le 16 du mois dernier puisque la pipelette affirme que c’était le lendemain du terme.
Soupin appelle :
— Méhu !
Et le scribouillard à la braguette béante radine, hostile et boutonné.
— M’sieur le commissaire ?
— Apportez-moi le cahier des contraventions…
Le calligraphe obéit et bientôt nous feuilletons un registre d’où, j’espère, sortira la lumière…
Soupin vérifie toutes les contraventions du 16 écoulé, mais aucune n’a été relevée rue de l’Université. C’est plutôt moche. Soupin est perplexe.
— Tu es certain que ta concierge ne se goure pas ?
— Elle a affirmé qu’elle a vu le poulet verbaliser alors qu’elle portait le fric du terme au gérant…
Il me vient une idée. Je vais consulter le calendrier accroché au mur et je pousse un grognement disgracieux mais satisfait.
— Attends, le 15, jour du terme, était un dimanche, donc la vieille a encaissé l’article seulement le 16 et c’est le 17 qu’elle a coltiné son blé chez le gérant.
Soupin passe donc au 17. Son doigt racé court de haut en bas sur les pages du registre.
— Là ! s’écrie-t-il, soulagé.
Il lit :
« Stationnement interdit, devant le numéro 47 de la rue de l’Université… »
— C’est bien ça, opine Pinaud (je tiens à souligner au passage l’intérêt euphorique des deux mots « opine Pinaud »).
Il continue à ligoter, Soupin :
— Cabriolet 203 noir, immatriculation : 7811 DD 75.
Je note fiévreusement.
— Bon, avec ça, nous allons avoir quelque chose à nous foutre sous la dent… Téléphone à la préfecture pour savoir le nom du propriétaire…
Soupin s’empresse. En ce moment, je lui demanderais de cirer mes targettes qu’il le ferait sans hésiter, et même il les ferait briller avec sa ravissante pochette de soie !
Il parlemente avec des zigs et raccroche.
— Nous aurons le tuyau d’ici quelques minutes.
J’acquiesce. Pinaud récolte ce qu’il a de tabac en vrac dans sa poche. Il dépose sa moisson plus un morceau de crayon, dans une feuille de papier à cigarette, roule le tout et commence à le fumer. Pendant ce temps, je sonne la Grande Taule. Je réclame Bérurier et je l’obtiens. Il déclare arriver justement de la salle d’entraînement. Pas de renseignements importants… On a remarqué la femme blonde que je cherche car elle était très belle, mais elle est venue peu souvent. Elle n’a pas donné aux habitués de la salle d’entraînement l’impression qu’elle était une camarade de lit à Josephini…
— Autre chose, enchaîne le Gros, l’équipe de dragage qui vient d’opérer entre les deux ponts indiqués a découvert le coupe-papier…
— Bonne nouvelle ; donc Abel ne nous a pas bourré le mou. Fais mettre l’objet au dossier… Tu as prévenu Moras ?
— Oui, il instruit…
J’ai fait exprès de confier l’affaire à ce juge d’instruction. Il est réputé pour sa lenteur, ce qui me donne toute latitude pour continuer à mon compte cette enquête officieuse.
— Dis donc, murmure le Gros, les gars du dragage ont trouvé aussi un vieux bidet, ils demandent ce qu’ils doivent en faire…
— Fais-le livrer chez toi, tu t’en serviras pour mettre des fleurs.
Il raccroche, furax.
Là-dessus, le bignou carillonne illico et le préposé de la préfecture nous dit que le cabriolet 203 appartient à Mme Tania Van Voorne, sujette de sa majesté la reine de Hollande, comme son nom l’indique, laquelle habite à Paris, 124, rue de la Faisanderie.
Je me lève et serre sans chaleur la main manucurée de Soupin.
3
La nuit est bleue comme un paquet de Gauloises, avec, çà et là, des étoiles d’argent, comme dirait mon pote Lamartine qui avait un joli lot de clichés au bout de sa mélancolie. Pinaud marche à mes côtés jusqu’à ma bagnole. Il a les épaules rentrées et la moustache plus effrangée que jamais.
— Que faisons-nous ? demande-t-il.
— Je te dépose à une station de métro, pépère, et tu rentres chez toi donner à ton épouse la preuve qu’on peut être un mâle efficace tout en ayant une gueule en grain de courge !
Il bougonne :
— Toujours courtois, hein ?
Puis, modifiant son visage :
— Que penses-tu de tout ça ?
— De l’affaire ?
— Oui.
— Et toi ?
— Faudrait voir cette femme blonde. Note que je ne crois pas qu’elle ait fait le coup.
Je considère Pinuche avec l’œil du monsieur qui vient de trouver un kangourou adulte dans sa baignoire.
— Vous disiez, baron ?
— Qu’elle n’a pas dû tuer mon beau-frère…
— Par quels chemins sinueux ton minuscule cerveau arrive-t-il à cette sommaire conclusion ?
Pinaud se gratte le crâne et, par conséquence directe, une averse de pellicules choit sur son pardingue.
— Assommer n’est pas un geste féminin… Si elle avait pris le coupe-papier, elle aurait utilisé la lame, et pas le manche, tu comprends ? C’était une sorte d’arme à double…
— Tranchant…
— Non, usage ! Elle pouvait servir de masse et de poignard… Je te le répète, et je te prie de croire ma vieille expérience ; j’ai cinquante-quatre ans et ça fait…
Je mugis :
— Au fait ! Ta vie n’intéresserait même pas un spécialiste des voies urinaires…
— Bon. D’après ma vieille expérience, disais-je, un homme aura vu la matraque dans le coupe-papier, et une femme le poignard… C’est ainsi…
Je réfléchis. Le raisonnement paraît un peu spécieux, mais il tient debout.
— Ta vieille expérience ressemble à une peau de banane, affirmé-je, elle risque de me faire glisser.
Je stoppe à Franklin-Roosevelt.
— Va accomplir ton destin, Pinaud…
Il me touche la main en abandonnant un morceau de son mégot dans ma paume.
— À demain, dit-il.
Je le regarde s’engouffrer dans la bouche béante du métro. Comme je suis en stationnement illicite, un poulardin me fait signe de décarrer. J’obtempère.
Au 124 de la rue de la Faisanderie, il y a, tout autour du numéro, un building de six ou sept étages. J’actionne le bouton de commande de la lourde vitrée, et je pénètre dans un vaste hall carrelé. À droite, un bureau vitré abrite un standard ainsi que la dame qui va avec.
Je m’adresse à icelle :
— Madame Van Voorne, s’il vous plaît ?
— Rez-de-chaussée, porte du fond, près de l’ascenseur.
Voilà bien ma veine. Pour une fois que j’ai à turbiner dans un immeuble avec ascenseur, il faut que la personne qui m’intéresse crèche au rez-de-chaussée ! Enfin, c’est la vie !
Je me propulse jusqu’à la porte indiquée et je me mets à jouer Mambo italiano sur le bouton de sonnette.