Une soubrette affolée vient m’ouvrir. Elle est petite, propre, bête, bretonne et appétissante.
Je lance un regard en forme de grappin sur la protubérance qu’elle pousse en avant.
— Pourrais-je parler à Mme Van Voorne, s’il vous plaît ?
Ayant dit, je lui décoche mon sourire 116 bis, celui qui concerne les gens de maison.
Elle rougit, de confiance, puis hésite.
— Je ne sais pas si Madame est rentrée.
— Si vous ne le savez pas, c’est donc qu’elle est là, affirmé-je.
Elle se trouble comme un verre de Ricard sous la pluie.
— Mais…
— Mettez le grand développement et allez lui dire qu’un ami de M. Josephini voudrait lui parler…
Elle hésite encore, car ses réflexes sont mous comme un chewing-gum d’occasion.
Un nouveau sourire dissout ses ultimes hésitations.
— Je vais voir, fait-elle. Quel nom que vous avez dit, déjà ?
— Josephini…
Elle m’invite à entrer, referme la lourde et me désigne un canapé profond comme une pensée de Pascal.
J’y dépose la partie la moins intellectuelle de ma personne et j’attends le bon vouloir de Mme Van Voorne. Quelques minutes s’écoulent. La soubrette revient me dire que, par un hasard presque miraculeux, Madame vient de rentrer.
Elle m’introduit dans un living délicieusement arrangé dans les mauves et jaune citron. Au mur, un Dufy éclairé par un tube. Sur une console Louis-Chose, un buste d’empereur romain qui ressemble à Bérurier… Bref, de la classe.
Si la dame vient de rentrer, elle a dû avoir un certain succès dehors, car elle est en déshabillé de satin blanc. Elle est plus hollandaise que je pensais et un peu moins jolie que je ne l’espérais… Elle va chercher la quarantaine et la trouve aisément. Elle est grande pour son âge ; d’une blondeur extraordinairement pâle. Elle est mince, avec un contrepoids abondant ; ses yeux sont bleus et troublants. Dès qu’on se met à la bigler sérieusement, on se rend compte que cette femme a un charme inouï et qu’elle a de l’intelligence à ne pas savoir où la mettre.
— Vous désirez me parler de la part de M. Josephini ? demande-t-elle.
— Oui… Je suis un de ses mis…
— Mais… M. Josephini est mort ? s’étonne-t-elle.
— Oui, dis-je et d’une façon assez… brutale…
Elle ne sourcille pas. Son visage n’est qu’attentif. Elle se demande qui je suis et ce que je veux.
— J’ai vu, dit-elle.
— Vous le connaissiez bien ? je demande.
Elle hausse un sourcil.
— Bien ! C’est beaucoup dire… Il s’agissait d’une relation… amicale.
Je la regarde, ses yeux ne cillent pas.
— Puis-je vous demander ?… commence la Hollandaise.
Je feins la confusion.
— Pardonnez-moi : commissaire San-Antonio !
Mon titre ne la trouble pas outre mesure. Elle continue d’être surprise et attentive, un point c’est tout.
Elle est décidément très belle. Les larges manches de son déshabillé découvrent par instants des bras parfaits et, quand elle croise les jambes, j’ai l’impression que mon cœur va me rester sur l’estomac.
Je lui coule une œillade gourmande, mais qui ne la trouble pas le moins du monde.
— La police ? demande-t-elle.
— Oui, madame…
— Vous enquêtez…
— … Sur l’assassinat de Josephini, oui, madame.
Cette fois, elle a un brusque mouvement de tête.
— L’assassinat !
— Oui, madame : l’assassinat !
— Mais j’ai lu dans la presse.
— Un journaliste n’est qu’un homme, madame… C’est dire qu’il est faillible.
J’attaque sec :
— Quand avez-vous vu Josephini pour la dernière fois ?
— Mais, monsieur !
Je l’interromps :
— Vous avez certainement déjà lu des romans policiers, madame… Par conséquent, vous devez savoir qu’on interroge toujours les… relations des victimes !
Elle hausse les épaules.
— J’ai dû le voir le jour de… de sa mort.
— En effet. Mais à quelle heure ?
— Dans l’après-midi…
— Vous ne l’avez pas vu en fin de soirée ? Vous n’êtes pas allée chez lui, par exemple ?
— Non…
— Puis-je vous demander de quelle nature étaient vos relations ?
— Eh bien, je connaissais M. Josephini depuis longtemps… Nous nous étions rencontrés un jour dans le train en venant de Nice. Nous avions sympathisé…
Elle me regarde.
— Simplement sympathisé… Ne vous faites pas d’idées…
Elle s’exprime très bien, avec un très vague accent pas désagréable.
— Je ne m’en fais pas, madame.
— Il me donnait des invitations pour la boxe… J’adore la boxe ! Je ne manque jamais un combat… Chaque fois je vais le voir… Enfin, j’allais le voir… Et il me remettait des fauteuils de ring.
Je souris.
— C’était chic de sa part. Avez-vous assisté à la rencontre Ben Mohammed-Micoviak ?
— Non… Non, je me trouvais en voyage… Et je…
— Et à la rencontre Milazzo-Ballarin ?
— Je ne…
— En somme, dis-je, suave, pour une aficionado de la boxe, vous manquez beaucoup de combats ?
— Je voyage énormément…
Mon attention est sollicitée tout à coup par un fil qui serpente au ras du plancher… Sans avoir l’air de rien, je le suis du regard, et je vois qu’il va d’un pot de fleurs posé près de moi jusqu’à une boîte rectangulaire oubliée dans un coin de la pièce, près d’une prise de courant.
— En somme, vous ne savez rien de la vie de Josephini ?
— Absolument rien…
— Alors, inutile que je vous importune davantage… Je vais vous demander la permission de me retirer, madame Van Voorne… Vous êtes apparentée à la ville de Van Voorne en Hollande ?
Elle éclate de rire.
— Sûrement…
— Vous vivez depuis longtemps à Paris ?
— Depuis la guerre…
— Mariée ?
— Divorcée…
— Vous êtes peut-être dans les affaires, madame Van Voorne ?
Son regard s’assombrit. Elle a l’air agacée.
— Non, monsieur le commissaire. Je vis de mes rentes… C’est tout ce qu’il y a pour votre service ?
— Ce sera tout… pour aujourd’hui, oui, madame… Considérez ma visite comme une prise de contact. Tant que je n’aurai pas découvert le meurtrier, je suis capable de rendre souvent visite aux personnes ayant connu, — même superficiellement — la victime… On ne sait jamais… Un petit fait, comme ça, peut vous revenir en mémoire…
Nous sommes à la porte. Elle sent rudement bon (pas la porte, la Hollandaise).
Je me décide brusquement :
— Excusez-moi, madame Van Voorne… Je vous retiens, et pendant ce temps votre magnétophone, dans le living, n’enregistre plus que du silence…
Je m’incline.
— Mes hommages, madame. Et à bientôt, peut-être ?…
QUATRIÈME REPRISE
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Il fait frisquet et je n’ai qu’un pardingue de demi-saison sur le châssis, mais je ne sens pas ce que les grands écrivains appellent la morsure du froid.
Comme disent mes amis Rivoire et Carret, je suis bonne pâte, mais jusqu’à un certain point, pourtant il m’est avis que la Hollandaise a atteint ce certain point. Cette grognace me fait pleurer comme un gruyère exposé en plein Sahara en me disant qu’elle ne voyait Josephini que pour lui resquiller des places ! Elle est grand amateur de boxe, mais elle ignore qu’il a existé un gars du nom de Marcel Cerdan… Elle me reçoit nonchalamment, mais elle a branché un magnéto afin d’enregistrer notre conversation ! Jamais je n’ai vu une poupée aussi déconcertante. En tout cas, j’ai eu le dernier mot et je l’ai soufflée comme une bougie avec mon allusion au magnéto… Elle a dû comprendre que mon élection à la présidence des fleurs de naves n’était pas encore pour demain !