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Il étudie de près le cadran et déclare :

— 4 h 10…

Puis, tisonné par la curiosité :

— Qu’allons-nous faire chez mon beau-frère ?… Vérifier un détail ?

Je secoue la tête.

— Oui… Bien qu’il soit trop tôt.

— Alors, allons nous coucher ?

— Des clous !

— J’ai sommeil…

— Égoïste ! Pense à Béru à qui on greffe une carotide de poulet en ce moment !

— C’est vrai, pleurniche Pinaud. Le pauvre gros… Ce qu’on est peu de chose. Quand je pense qu’avant-hier encore il avait un deux cents de valets !…

Nous voici rue de l’Université, non loin de l’immeuble d’où Josephini fut défenestré. J’arrête mon char à une vingtaine de mètres du porche… Tout est calme dans la rue… Je ne vois que quelques bagnoles aux vitres embuées et un cabot qui attend les poubelles…

— On descend ? demande Pinaud.

— Non, attends, il faut que je mette un peu d’ordre là-dedans.

Ce disant, je me frappe le crâne.

— Tu auras du travail, ricane Pinaud.

— Hmm, compliment, monsieur phosphore… Tu me donnes l’idée d’un article, Pinuche : Comment l’esprit vient aux séniles !

Il croise ses mains sur sa poitrine.

Je change de ton pour concrétiser à haute et intelligible voix mes « idées biscornues ».

— Ces appels téléphoniques chez un mort dont on sait que l’appartement est mis sous scellés ne sont pas sans motifs. Mme Van Voorne m’a semblé être une personne bigrement intelligente et sensée…

— Alors ? pousse Pinaud.

— Le fait qu’à chaque demande de ce numéro forcément muet la Hollandaise l’ait réclamé à trois reprises rapprochées fait penser…

— À quoi ?

— À un signal, dis-je…

— Comment, à un signal ? demande Pinuche, tiré de son assoupissement.

— Ouvre tes étiquettes, squelette en sursis. Suppose que quelqu’un ait voulu surveiller ton beau-frère. Il s’arrange pour occuper un appartement contigu… Mais un appartement qui ne comporte pas le téléphone, tu me suis ?

Il a pigé… Ses yeux ternes se tournent vers moi et je crois — à moins que mes sens ne m’abusent — qu’une lueur d’intelligence y pétille.

— Tu veux dire que, de l’appartement où se trouverait ton « quelqu’un », il est possible d’entendre le téléphone de Mario ? Et tu veux toujours dire qu’en appelant trois fois de suite ledit numéro, le quelqu’un saurait que c’est à lui qu’on en a ?

Je lui frappe le ventre.

— Bravo, mon vieux… On ne peut résumer plus explicitement une déduction relativement embrouillée.

Pinaud tire de sa poche l’allumette à trois usages dont il se sert indistinctement pour se curer les oreilles, les ongles et les dents. Il hésite, sa bûchette en main, et adopte un quatrième parti : celui de la sucer avec délectation.

— Il ne te reste plus que la possibilité de la déguiser en suppositoire, observé-je finement.

Il n’a pas entendu et poursuit :

— Après ta visite, ce soir…

— S’il est quatre plombes, tu peux dire hier soir…

— Si tu veux… Donc, après ta visite, la dame a alerté le type. Celui-ci est venu. Elle lui a parlé de toi, lui a fait entendre votre conversation et peut-être lui a demandé de garantir sa sécurité… C’est une supposition, naturellement, mais qui vaut ce qu’elle vaut…

— Continue, fais-je, intéressé.

— Le type s’est donné peur à cause des menaces… Il l’a étranglée… Puis il s’est dit qu’il fallait faire disparaître le cadavre et a emmené cette dame sur son dos… Comme déjà pensé, il a repéré Bérurier et…

— Oui, ça pourrait s’être déroulé comme ça…

— Note, reprend mon collègue, qu’il n’est pas difficile de savoir si nous sommes dans le vrai. Il suffit de réveiller la concierge pour lui demander des tuyaux sur ses locataires…

Je secoue la tête.

— Non, je ne suis pas de cet avis… Suppose que le type ne soit pas de retour, et qu’il se pointe au moment où on baratine la vioque ? Suppose qu’on ne puisse rien faire immédiatement et que demain… Non, laisse, j’ai une meilleure idée…

J’embraye et je roule en douceur jusqu’à une boîte de nuit d’où s’échappe un tohu-bohu effroyable.

— Descendons prendre une bière, dis-je, je vais t’expliquer mon plan…

Nous entrons dans le cabaret. C’est le grand carnage… Il ne reste plus beaucoup de trèpe à ces heures, mais les ultimes clients font du foin comme tout un asile d’aliénés.

Il y a trois musiciens nègres sur une scène qui s’époumonent dans du cuivre et des couples épileptiques qui tortillent leur valseur en s’étreignant à la farouche ! On reprend illico confiance dans les destinées de l’homme en biglant ces énergumènes. Les nanas sont en plein délire… Vous les touchez avec une tête d’épingle et les voilà en extase… Il y a des zigs qui vont se faire reluire vachement tout à l’heure…

Pinaud ferme les yeux à cause du saxo qui imite à lui tout seul le port de New York à une fin de grève.

— C’est affolant ! soupire-t-il.

Nous allons au bar qui, heureusement, se trouve en retrait dans le fond.

— Deux bières, dis-je.

— Françaises ? Allemandes ? Hollandaises ? s’enquiert le barman.

— Hollandaises, je murmure en regardant Pinuche.

— C’est de circonstance, approuve-t-il.

Nous éclusons deux grands glass de bière mousseuse. Ça fait du bien de s’humecter la menteuse à ces heures…

— Bon, me décidé-je en reposant mon verre, tu vas prendre un jeton.

— J’en prends assez comme ça, dit Pinaud, qui, mine de rien, regarde se relever les jupes des danseuses.

— Un jeton téléphonique ! lui mugis-je dans l’esgourde. Moi je vais retourner devant l’immeuble… Dans quelques minutes tu composeras le numéro de ton beau-frère, tu t’en souviens ?

— Littré 62–64…

— Bravo ! Tu vas pouvoir passer à l’Olympia dans un numéro mnémonique.

— Qu’est-ce que c’est que ça ?

— Tu regarderas sur le dictionnaire…

Pinaud sort son dentier, gratte entre deux incisives un fœtus d’allumette qui s’y était coincé et remet son appareil à débiter des couenneries dans sa gargoulette.

— Je suppose, dit-il, que je devrai sonner le numéro trois fois de suite à intervaux réguliers ?

— Oui, mais je préférerais que se soit à intervalles ; il y a des jours où j’ai l’amour du pluriel en al…

Je banque les deux demis en faisant la grimace car la note est salée, ce qui me redonne soif. Ici c’est un cercle vicieux, il suffit de regarder danser les couples pour s’en rendre compte…

— Je file, Pinaud…

Le regard qu’il me jette est aussi incomplet que son nom… Je retrouve ma tuture et je me paie un grand viron pour reprendre l’Université street dans le bon sens.

Je stoppe au même endroit que précédemment et j’attends en reluquant la façade de l’immeuble qu’habita Josephini. Vous me croirez si vous le voulez — et si vous ne voulez pas il vous reste néanmoins la ressource d’aller vous faire peindre en vert — mais je perçois distinctement la sonnerie du bignou, là-haut, au troisième… Elle vrille le silence nocturne, lancinante comme un mal de dent. Puis elle stoppe… Rien n’a bronché alentour… Je souffle dans mes doigts qui s’engourdissent… Et là-bas, dans la boîte à Zizi, Pinuche recompose le numéro au milieu du vacarme. La sonnerie recommence après une brève interruption… Nouvel arrêt…