— Vas-y, je t’ouvre grandes mes coquilles Saint-Jacques.
J’éclate d’un rire chevrotant, car je les ai tout ce qu’il y a de mignonnes.
— C’est ça, me poilé-je, ça changera…
— Que trouvons-nous comme points importants dans toute cette histoire ?
— Deux Hollandaises et deux visas pour l’Afrique du Sud…
— Trois visas, si tu veux… Bon, que fait-on en Afrique du Sud ?
— On y organise des championnats de boxe…
— Oui, mais à part ça ?
Je hausse les épaules.
— Je donne ma langue au chat !
— On extrait des diamants du sol, dit Pinaud.
Je fronce le sourcil tout en chantant, histoire de prouver mon esprit d’à-propos :
— Merci, merci, monsieur Champagne !
Il relève le pompon de son bonnet de nuit qui lui titille l’arête du nez…
— Et en Hollande on les vend s’écrie-t-il.
Je la boucle.
Les grandes surprises sont muettes.
Ce vieux cataplasme vient de lancer une idée qui pourrait faire des petits… Et des petits blonds comme tous les Hollandais…
— Pinaud, je murmure, la salive abondante, Pinaud, par moments, je me demande si Pascal ne se serait pas réincarné en toi en compagnie de Conan Doyle et des petites pilules Pink pour le foie !
3
Le petit Arbi dort à poings fermés — ce qui est la moindre des choses pour un boxeur — lorsque nous carillonnons à la lourde de sa chambre de bonne.
Notre tintamarre doit lui déclencher un rêve à grand spectacle, car je l’entends soupirer d’aise. Il rêve qu’un coup de gong vient d’achever son dernier round contre le tenant du titre et qu’il devient champion du monde toutes catégories avec la mention très bien et un billet d’honneur signé par la directrice.
Enfin, il s’éveille, murmure des mots en kabyle ou en jsépacoua, et vient nous ouvrir. Il est vêtu d’un slip et son torse nu brille comme du bronze… Ses tifs emmêlés sont posés sur sa tête comme une fourchetée de laine noire… Il se frotte les yeux, me reconnaît et me sourit gentiment…
— Bijour, missieur commissaire…
— Salut, champion… Je viens pour un petit tuyau As-tu l’adresse de ton éminent confrère Beppo Seruti, qui est allé se faire démolir ses ultimes chailles en Afrique du Sud le mois dernier ?…
Le petit tronc se gratte la tignasse.
Il faut laisser aux paroles le temps de forer son cerveau martelé.
— Seruti ? demande-t-il.
Patient à mes heures, j’opine de la tête (si je puis m’exprimer ainsi).
— Attendez, fait-il, j’ai…
Il va ouvrir un tiroir de vieux placard et farfouille dedans. Il nous sort un cahier sur lequel il a collé les articles de presse consacrés à ses jeunes poings. Dedans, il a intercalé des papelards sur ses camarades de team… C’est ainsi qu’il me déballe une photo de Seruti… On voit le mec en short sur une pelouse, occupé à sauter à la corde…
L’image porte cette légende : Notre champion du monde s’entraînant dans sa propriété de Saint-Maur-des-Fossés.
Comme quoi on peut avoir le nez plat comme une limande, les portugaises épaisses comme des Fontainebleaux et la tronche plus cabossée qu’une automobile de dame et se permettre des déductions.
Je referme le cahier de l’Arbi.
— C’est bien, mon gars… On te remercie…
Je réfléchis.
— Tu sais où ça se tient, toi, Saint-Maur-des-Fossés ? demandé-je à mon ami Pinaud des Charentes.
— Bien sûr, dit-il. Tu rattrapes Joinville et…
J’ai un soubresaut. Je fonce sur le cahier de Mohammed et je le feuillette à vive allure au risque d’en arracher les pages.
Je tombe sur une autre photo représentant Ben Mohammed avec plusieurs autres champions chevronnés, parmi lesquels Beppo Seruti.
Je n’ai d’yeux que pour ce dernier… Dans mon turbin, fatalement, on a le zœil amerlock… La mémoire visuelle c’est l’A.B.C. de notre métier (comme dirait Mitty Goldyn).
Vous l’avez sans doute compris, ou alors c’est que vous avez des noyaux de cerises à la place de la matière grise, mais en me forçant un brin, j’arrive à admettre que ce champion déchu et le gars au pardingue en poil de transsaharien à quatre pattes ne sont qu’une seule et même ordure.
— Saint-Maur-des-Fossés, en voiture ! crié-je dans les trompes d’Eustache de Pinaud qui s’endormait contre le chambranle.
Et nous voilà partis, crevés, claquant des mandibules, avec des yeux d’une tonne et une fatigue à se répandre sur l’asphalte !
Ce qui m’a toujours sauvé la mise, en tout et pour tout, c’est ma rapidité. Rapidité de pensée d’une part, rapidité d’exécution de l’autre… Décider et agir en un temps record vous permet tous les espoirs… Ajoutez à cela la recette Danton : de l’audace, encore de l’audace (publicité Jean Majeur) et vous trouvez San-Antonio, bien en chair et solide en os…
Il fait tout à fait jour lorsque nous passons la plaque annonçant Saint-Maur…
Je viens de faire part de ma conviction à Pinaud et, bien entendu, d’une voix que le sommeil rend bourbeuse, le vieux chnock a mis son grain de sel :
— Tu ne dois pas te tromper, mon petit… Je suis certain que Van Voorne a été tué à coups de poing… Travail brutal, mais travail soigné de professionnel.
J’arrête un instant ma glacière à roulettes pour m’enquérir de l’adresse de Beppo… Justement, j’avise un petit gars d’usine soudé par le gel à son vélomoteur.
Je le stoppe.
— Le pavillon de Mario Seruti ? je demande.
Il trouve le moyen de rire malgré le froid.
— Vous êtes pile devant…
Il me salue et s’en va, joyeux, dans le matin glacé.
Pinaud se détranche sur la propriété… Celle-ci fait moins d’impression que sur la photo du canard. C’est une construction assez moderne d’assez faibles dimensions… Le jardin est un peu en friche… Le portail de bois est ouvert et j’avise, au bout de l’allée, la grosse bagnole de tout à l’heure.
Je pose ma main sur le genou cagneux de Pinuche.
— C’était bien lui, vise la voiture… On aperçoit la plaque NL derrière… Hollande !
— Que faisons-nous ? demande-t-il.
Je surveille un moment, puis, soudain, je fais une petite marche car je vois Seruti sortir de sa crèche, une valise dans chaque main… Il va les porter à une autre bagnole, française, celle-là, que je n’avais pas remarquée tout de suite, car elle est en partie masquée par l’autre.
Puis il rentre de nouveau dans la demeure.
Pinaud, tout comme moi, scrute par une échancrure de la haie.
— On dirait que nous arrivons à temps, non ?
— Oui, plutôt !
— Qu’est-ce qu’on fait ?
Je gamberge…
— Attends… Oui… Je vais descendre et aller alpaguer le frère. Dès que j’aurai franchi le mur, tu compteras lentement jusqu’à dix et tu avanceras avec la voiture jusque devant le portail de manière qu’il ne puisse se barrer avec son tombereau au cas où je n’arriverais pas à… à m’entendre avec lui, tu suis ?
— Ensuite ?
— Ensuite, tu planqueras ta vieille carcasse délabrée où tu pourras en gardant ton revolver à la main pour si des fois un pauvre boxeur en chômage venait te demander du feu.
Je contourne la haie et, parvenu à la hauteur du pavillon, je la franchis d’une ruée de sanglier. Je me retrouve de l’autre côté, sur un râteau dont le manche m’arrive en pleine poire. J’avais déjà vu ça au cirque et ça m’avait beaucoup fait rire. Pourtant, en l’occurrence, je trouve cette distribution de chandelles mal venue.