Josephini était rentré peinard avec son poulain, lequel venait de paumer son titre et broyait du noir… Seulement Seruti avait assisté, à travers la porte de communication des chambres que son boss et lui occupaient au Cap, à la conversation de Van Voorne et de Mario… Et il pensait prendre une revanche sur le sort en s’octroyant une part du gâteau…
Une fois en France, il avait avoué à son manager qu’il était au courant de la combine et lui avait proposé de garder les cailloux… Ils feraient part à deux et si jamais Van Voorne la ramenait, il était prêt à le mettre à la raison…
Hélas ! Josephini avait feint la surprise et prétendu que Seruti devenait jobré… De même, lorsque la mère Van Voorne avait voulu récupérer le magot, il l’avait envoyée aux prunes en prétendant tout ignorer de l’affaire. Sale blague pour les Van Voorne… La femme avait rencardé son vieux à son retour d’Afrique du Sud et celui-ci, en homme pondéré, comprenant qu’il s’était laissé blouser et qu’il ne pourrait rien obtenir par la force, s’était arrangé pour surveiller Josephini de la façon que l’on sait… Lui surveillait les allées et venues chez le manager et sa femme s’occupait de la vie extérieure de Mario… Elle contactait fréquemment le beauf à Pinuche, histoire de lui demander s’il était ou non revenu de son erreur et aussi pour lui donner le sentiment gênant qu’il était surveillé.
Lorsqu’elle estimait que Josephini rencontrait des gens douteux, avec lesquels il aurait été susceptible de négocier les diamants, elle prévenait son mari d’une façon judicieuse, puisqu’il n’y avait pas le téléphone à l’hôtel, c’est-à-dire en lançant un signal dans l’appartement de Josephini qu’il surveillait. Alors Van Voorne se démerdait de tuber rue de la Faisanderie où sa femme téléphonait avant lui pour laisser l’adresse du lieu où il devait la rejoindre…
La môme nous bonnit tout cela avec des hoquets, des sanglots, des cris, des vagissements et des regards éperdus à son bonhomme en train de calancher dans le cambouis.
Ensuite, je la branche sur le chapitre Seruti, qui me paraît plus essentiel… Elle y va de sa chanson de gestes…
Pendant que les Van Voorne entreprenaient leurs travaux de récupération, Seruti, boxeur fini et garçon de moralité plus qu’élastique, surveillait aussi son patron. Cela faisait une gentille meute aux chausses du gars Mario… L’ancien champion avait pigé le manège des Van Voorne et il s’était résolu à les battre de vitesse… Lundi soir, il était allé chez son manager et lui avait fait la grosse séance d’intimidation… Il avait été très menaçant… Josephini avait pris peur et lui avait juré ses grands dieux qu’il venait de traiter avec Van Voorne et que les diams avaient été remis au Hollandais… Seruti ne s’en était pas laissé compter et s’était mis à faire le méchant. Alors Josephini s’était emparé du fameux coupe-papier et avait essayé de l’en frapper… Au comble de la rage, le bouillant Seruti lui avait arraché l’instrument des mains puis avait frappé son manager qui s’était répandu, out, sur la carpette… L’autre avait pris peur et s’était trissé…
Le lendemain, en apprenant que sa victime avait été trouvée sur le trottoir et qu’on pensait se trouver devant un suicide, il avait cru devenir fou… Puis il avait réfléchi et s’était dit que Van Voorne ne devait pas être étranger à la chose… C’était le Hollandais qui s’était amené pour fouiller l’appartement et qui avait camouflé le meurtre en suicide afin de ne pas attirer l’attention de la police sur ce décès…
Alors Seruti avait repris du poil de la bête… Il n’avait pas commis un meurtre pour la peau… Il voulait aller jusqu’au bout et récupérer le gâteau… À n’importe quel prix !
Il avait une maîtresse dévouée, la môme qui nous parle et qui répond, quand on l’appelle, au nom illustre de Martine ; celle-ci se fit engager chez la mère Van Voorne qui cherchait une bonne depuis pas mal de temps… Elle surveilla les allées et venues de la belle Hollandaise, fouilla l’appartement, en vain… Elle apprit, du moins, pas mal de choses sur les habitudes de Van Voorne, notamment en ce qui concernait leurs appels téléphoniques à la gomme.
Pourtant, son emploi de bonne ne donnant rien, Seruti s’impatienta… La veille, dans l’après-midi, il était entré chez Van Voorne et l’avait molesté (et comment !) pour lui faire cracher la vérité, mais Van Voorne avait affirmé jusqu’à la mort ne pas posséder les diamants… Dans la petite tête obtuse du boxeur, il n’y avait pas de doute : si Van Voorne ne possédait pas les cailloux, c’était sa femme qui les avait…
Le soir, ils avaient résolu, sa poule et lui, de « s’occuper » de la patronne… Ça urgeait d’autant plus que la police était venue l’interroger dans le courant de l’après-midi sous les traits agréables de San-Antonio, l’as des as, l’homme qui remplace le beurre et les céleris rémoulade !
Mais l’interrogatoire de la pépée Van Voorne n’avait rien donné non plus. Seruti lui avait fait le coup de la strangulation pour l’intimider… Ne connaissant pas sa force, il avait étranglé cette digne personne comme on étrangle un pigeon…
Ils avaient fouillé une fois de plus l’appartement, mais en vain… Ils étaient affolés par les deux meurtres commis dans la journée. Seruti était devenu, paraît-il, une sorte de bête féroce… Comme ils sortaient de l’appartement pour monter le cadavre dans la chambre de bonne de Martine, afin de gagner du temps en retardant la découverte de celui-ci, ils s’étaient trouvés nez à nez avec Bérurier…
Or, et c’est là que ça se corse, comme dirait le Gros. Seruti connaissait mon pote l’Enflure pour l’avoir vu souvent à la salle d’entraînement où Béru allait visionner les préparatifs de son neveu… Il savait que c’était un poulardin et s’est cru flambé… Il a collé un marron au Gros, l’a charrié dans sa voiture et là, lui a tiré une balle dans le cou en prenant soin d’entortiller un cache-col autour du revolver pour en étouffer le bruit. Il projetait d’embarquer l’auto et son chargement dans un autre quartier après… Lui et Martine ont coltiné le cadavre de la Hollandaise au sixième et l’ont filé sous le lit… Puis ils sont redescendus pour fuir, mais j’étais à l’auto de Béru… Ils ont alors cru à l’arrivée de renforts et sont remontés se terrer dans la chambre…
Le cadavre de la femme ayant disparu, nul ne pouvait croire que la soubrette était dans le coup… Si le pâté de maisons était cerné, ils avaient intérêt à se planquer en attendant…
Mon arrivée avec Pinuche les avait tenus sur le qui-vive… La môme Martine avait joué les bonniches en défaut avec un brave militaire… Elle s’était rendu compte que nous n’étions que deux et Seruti avait fui…
Elle se tait, la pauvrette, à bout de souffle.
— Comment se fait-il qu’il n’a pas pris sa voiture ?
— Il a peur qu’on l’ait repérée, car elle était devant la vôtre…
— Et dis-moi, mon petit cœur, comment se fait-il qu’il soit, en pleine nuit, retourné chez Van Voorne ?
— Il avait oublié ses gants chez lui… Il voulait les récupérer…
— C’est toi qui as téléphoné chez Josephini après son départ, cette nuit ?
Elle ouvre de grands yeux…
— Moi ? Oh ! non. Je suis venue ici attendre Beppo dès que j’ai pu…
Je regarde Pinuche.
— T’étais pas chlass, tout à l’heure, mec ? T’es bien certain que ça n’est pas toi qui ?
Pinaud hausse les épaules.
— Môssieur le commissaire, rouscaille-t-il, je crois que vous mettez en doute le bon fonctionnement de mes facultés mentales ?
— Leur bon fonctionnement, non, dis-je, seulement leur existence.
Là-dessus, nous embarquons la souris et téléphonons à police secours pour le déblaiement du garage… Inutile de déranger l’hosto : Seruti est mort comme tout un cimetière !