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Il se plie en deux, manquant d’air… Il voudrait riposter, mais je l’ai cueilli à la surprise, en lui livrant tout le pacson.

Quelques truands s’avancent, avec l’air de vouloir des explications.

— Bas les pattes, Azor, fais-je au premier de la série. J’ai à faire avec monsieur, mais si vous cherchez du suif, j’appelle à la garde et ça va être le grand emballage maison. Je vous promets qu’en sortant du trou vous pourrez vous tapisser d’étiquettes « Fragile ».

Ces honorables personnages n’insistent pas. J’aide alors Dubœuf à se relever et je l’entraîne jusqu’à ma charrette. Je le pousse à l’intérieur, je mets le cliquet de sûreté et je m’installe au volant.

Quand nous atterrissons douze minutes plus tard à la grande crèche, le gars Abel a récupéré. Il ressemble plutôt à Caîn, du moins à l’idée qu’on se fait de ce brave garçon : yeux fuyants, lippe mauvaise…

— Ce ne sont pas des procédés, rouscaille-t-il. Je suis en règle et je ferai valoir mes droits…

— On en parlera à tête reposée, comme disait le gnard qu’on emmenait à la guillotine.

— Très drôle, marmonne-t-il. Au juste, vous me voulez quoi ? J’ai jamais vu ça : un flic qui vous rentre dans le chou sans un mot alors qu’on a une conscience nette !

— Ta conscience, rectifié-je en le faisant sortir de la guinde, elle ressemble à des lavatories publics ! Allez, amène-toi…

— Vous m’arrêtez ?

— Comme qui dirait…

Il s’écrie :

— Ah oui ?

— Oui… Presse-toi, le temps me dure de t’avoir entre quatre murs…

Il se plante devant moi.

— Vous m’arrêtez sous quel motif ?

— Insultes et voies de faits sur la personne d’un commissaire spécial…

— Oh ! ce culot !

Comme nous sommes sous le porche des Établissements Bourreman, je lui octroie un coup de coude dans les côtelettes qui lui dévisse le tube respiratoire.

Il ne pipe plus mot jusqu’à mon burlingue. Bérurier, armé d’un petit réchaud à alcool, est occupé à se faire chauffer une andouillette dans la pièce voisine. Comme il a eu l’heureuse initiative de laisser ouverte la porte de communication, j’ai la réconfortante impression de réinstaller dans les cuisines de l’hôtel Pinchon.

— Qu’est-ce qui t’arrive ? lancé-je à mon collègue, tu attends des invités ?

— Excuse-moi, fait-il, c’est l’heure de mon thé…

— Tu le prends à l’andouillette panée, ton thé ?

Bérurier abandonne son andouillette pour venir tailler une bavette dans l’encadrement.

— Je vais t’expliquer, fait-il, je fais un régime…

— Un régime ?

— Pour lutter contre l’embonpoint. Le toubib m’a conseillé de laisser tomber les gros repas et de grignoter plusieurs fois dans le courant de la journée…

— Et tu grignotes des andouillettes ?

— Oui, c’est léger et ça trompe la faim…

L’andouillette répandant une odeur de brûlé, il se précipite.

— Merde ! brame-t-il, la v’là qui me joue Calcination.

Je ferme la porte. Abel sourit.

— Je crois, dit-il, que le gros public se fait une idée erronée de la police.

— Pas toujours, protesté-je en lui plaquant une mandale sur la vitrine. Par exemple, figure-toi qu’il s’imagine qu’on chahute un peu les clients, le gros public…

Je lui file un coup de latte discret dans les chevilles, puis un ramponneau plein de réserve sur l’oreille droite.

— Alors, tu vois, ça concorde, sois heureux…

Dompté, il s’assied. Attiré par le bruit des coups comme un condor par l’odeur d’une charogne, Bérurier s’amène, brandissant son andouillette dégoulinante au bout d’une fourchette, style Neptune.

— Qu’est-ce y a ? demanda-t-il, la bouche graisseuse.

— Rien, je parlais avec monsieur.

Il avait d’abord pris Dubœuf pour un copain à moi, mais il revient en courant sur son erreur.

— Qui c’est, ce tordu ?

— Un monsieur qui s’occupe de boxe. Il joue à deviner l’issue d’un combat avant que celui-ci ait lieu !

Mon collègue comprend tout. Il murmure :

— Pas possible…

Afin d’avoir la liberté de ses mouvements, il dépose délicatement son andouillette sur l’annuaire du téléphone.

— C’est lui qui a rétamé Josephini ?

Alors je me mets à le traiter de sexe féminin avec ardeur, parce qu’avec sa grande gueule il vient de me démolir mon plan d’action comme Gabriello démolit un chapeau melon en s’asseyant dessus.

— Est-ce que je t’ai appelé, hé ! pain de régime ? Va bâfrer tes entrailles d’animaux dans ton gourbi !

Tout autre qu’Abel se réjouirait de voir régner la discorde dans les rangs de la poulaille. Mais l’aboiement de Bérurier l’a pétrifié. Je remarque son trouble. Je vois que ce sujet demande à être travaillé, vite et à la forcée.

Je l’ai poussé dans un fauteuil.

— Bon, fais-je, tandis que Bérurier, penaud, s’introduit l’andouillette dans le tube digestif, inutile de finasser, je vais droit au but. Je sais que tu avais payé le petit Ben Mohammed pour qu’il s’allonge devant Micoviak. T’avais goupillé ça avec Josephini son manager. L’Arbi n’a pas obéi, et en représailles tu as buté Josephini, histoire de faire un exemple dans les milieux de la boxe !

Il manque d’air…

— Ça alors ! Ça alors…

Je le regarde et ça se met à grincer dans ma pensarde. Je me dis que ce type-là a les jetons. Les vrais de vrais ! Après tout, le paveton que vient de balancer malencontreusement Bérurier est peut-être arrivé à bon port ?

Dubœuf sait quelque chose, j’en suis certain. Je vous parierais une bouteille de Champagne contre une de Butagaz qu’il tremble pour sa peau.

Nous allons bien voir…

DEUXIÈME REPRISE

1

J’ôte ma veste, non pour sacrifier à la tradition du passage à tabac, mais parce qu’il règne dans le bureau une chaleur déprimante. On se croirait dans un jardin botanique ; mais au lieu de palétuvier rose, j’ai en face de moi un solide truand qui a les chocotes et auquel je vais devoir arracher un secret à la force du poignet (comme dirait un collégien).

Bérurier a achevé son andouillette. Ses lèvres ressemblent à deux limaces qui se seraient payé des vacances dans un pot de glycérine. Il les essuie d’un énergique revers de manche et s’approche du gars Abel.

Je fais claquer mes doigts.

— Dubœuf, dis-je, te voilà au milieu des vaches. Je te jure sur la vie de ta concierge que tu vas te mettre à table sans tarder, tu m’entends ?

Il avale avec peine une salive que je devine cotonneuse.

— Mais, monsieur le commissaire, bégaie-t-il, servile comme un cireur de pompes sicilien, tout ça est effarant… Je n’ai rien à voir avec de telles histoires…

— Tu as connu Josephini ?

— Comme ça…

Bérurier, que son poing démange, intervient.

— Qu’est-ce que t’appelles « comme ça », fesse de rat ?

— On a bu le coup ensemble, des fois… C’était un bon copain…

— Un bon copain ! m’exclamé-je, et tu n’étais pas à son enterrement ?

— J’avais du boulot…

— Dans le bar ? Tu étais en train de jouer aux tarots quand on t’a alerté au fil. Il y avait trois peigne-culs de ton acabit qui t’attendaient à une table, j’ai l’œil…

— Mais…

— Tu as buté le gars Mario, c’est couru !