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Quand je veux régler l’addition, je constate que Lucie m’a devancé sans que personne s’en aperçoive. On fait tous les deux semblant de n’y voir aucune signification.

— Je peux t’aider à tout, Alain, dit Nicole avant de se coucher, mais ça, cette prise d’otages, c’est pas compatible avec ce que je suis. Je ne veux pas en entendre parler. Ne m’oblige pas à vivre avec ça.

Elle se tourne tout de suite vers le mur. Je suis triste, mais je ne peux pas espérer la convaincre.

D’ailleurs, je ne m’y arrête pas. Je commence à réfléchir à cette dernière épreuve. Parce que si je gagne, même par des méthodes qu’elle conteste, nos différends ne seront rapidement qu’un mauvais souvenir.

C’est comme ça qu’il faut voir les choses.

8

David Fontana

Note à l’attention de Bertrand Lacoste

Objet : Jeu de rôle « Prise d’otages » — Client : Exxyal

Comme convenu, voici le point de la situation.

Pour le commando, j’ai recruté deux collaborateurs avec qui j’ai eu maintes fois l’occasion de travailler et dont je réponds entièrement.

Pour jouer le rôle des clients d’Exxyal, j’ai retenu deux hommes, un jeune Arabe et un acteur belge d’une cinquantaine d’années.

Pour ce qui concerne les armes, j’ai opté pour :

— trois mitraillettes Uzi (pesant moins de trois kilos, elles peuvent tirer à une cadence de 950 coups-minute des balles de 9 × 19 mm) ;

— deux pistolets Glok 17 Basic (635 grammes, même calibre, chargeurs de 31 cartouches) ;

— deux pistolets Smith & Wesson.

Toutes les armes seront évidemment chargées à blanc.

Le local que je vous propose est un espace assez prestigieux puisque Exxyal est censé y inviter des clients importants, disposant d’une salle de réunion et de cinq bureaux, toilettes, etc. L’ensemble est situé à la limite de Paris, de larges baies vitrées donnent sur la Seine (photos et plan — annexe 3).

Les lieux présentent une configuration très favorable à votre projet. Nous devrons procéder à plusieurs répétitions, il nous faut donc arrêter rapidement un premier scénario. Vous trouverez ma proposition en annexe 4.

Schématiquement : les cadres de votre client seront convoqués à une réunion très importante mais de nature confidentielle, ce qui expliquera qu’elle se tienne un jour férié et qu’ils ne soient prévenus qu’à la dernière minute.

Ils seront censés s’entretenir avec d’importants clients étrangers.

Le commando interviendra dès le début de la réunion.

Le patron d’Exxyal-Europe, M. Dorfmann, sera rapidement évacué, ce qui créera un puissant effet de stress favorable à votre test, et ce qui lui permettra de quitter le jeu pour assister au déroulement des actes suivants.

Les cadres retenus, délestés de leurs objets personnels et téléphones portables, seront gardés dans un bureau et interrogés à tour de rôle. Le scénario aménage des possibilités de laisser quelques minutes les otages seuls afin de mesurer leurs capacités d’auto-organisation, voire de résistance, comme vous l’avez demandé. Le chef du commando conduira les interrogatoires individuels en suivant les consignes des évaluateurs.

Les caméras permettront de suivre l’évolution du jeu de rôle.

Je pense que le cahier des charges que vous m’avez confié est intégralement respecté.

Je vous remercie de votre confiance et de l’aide très précieuse qui m’a été apportée par Mme Olenka Zbikowski.

Bien respectueusement,

David Fontana

9

Maintenant que je ne travaille plus aux Messageries, je pensais que me lever à 4 heures du matin me coûterait ; ça n’est pas du tout le cas. En fait, je dors à peine, je suis une vraie pile électrique et sortir du lit est presque un soulagement. Habituellement, Nicole se colle contre moi dans son sommeil, histoire de me retenir, c’est un jeu entre nous. On se retient, on fait mine de se lâcher, on se reprend. Nous n’en avons jamais parlé, ça fait vingt ans qu’on fait ça.

Ce matin, je sais parfaitement qu’elle ne dort pas, qu’elle fait juste semblant. Mais chacun reste dans sa bulle. D’un commun accord, on ne se touche pas.

Comme prévu, j’arrive un peu en avance aux Messageries. Je connais les gars des autres équipes et comme je n’ai pas du tout envie de leurs questions ou de leur compassion, je trouve un coin d’où je peux surveiller l’entrée sans être vu et je guette la grande carcasse dégingandée de Romain. Mais c’est le profil chancelant de Charles qui se dessine au coin de la rue. Je ne sais pas comment il fait, il doit boire en dormant : il n’est pas 5 heures du matin, son haleine est déjà chargée comme un cargo. Mais je le connais, mon Charles, même chargé, bon pied bon œil. Quoique ce matin… J’ai l’impression qu’il a du mal à me remettre.

— Si je m’attendais…, dit-il en me regardant comme une apparition.

Il lève légèrement la main gauche, un peu comme un Indien. C’est un geste empreint de timidité qui lui est assez habituel. Un geste d’Indien timide. Ça fait descendre sa montre monumentale jusqu’à son coude.

— Comment ça va, Charles ?

— Les beaux jours sont derrière nous.

Il faut bien le reconnaître, Charles, parfois, est un peu sibyllin.

— J’attends Romain.

Le visage de Charles s’éclaire. Il est visiblement heureux de rendre service.

— Ah, Romain, il a changé de brigade !

Depuis quatre ans, pour les emmerdements, je suis surentraîné. Il suffit d’un mot, je les pressens, c’est devenu un instinct réflexe.

— C’est-à-dire ?

— Il fait la nuit complète. C’est qu’il est passé superviseur.

Il est très difficile de savoir à quoi pense réellement un type comme Charles. L’état second dans lequel il évolue en permanence lui donne un côté insondable. On ne sait pas s’il fait preuve d’une grande pénétration, si cette nouvelle, en apparence bénigne, développe en lui des tentacules de réflexion ou si l’alcool a totalement crétinisé l’ensemble de son cerveau.

— Ça veut dire quoi, ça, Charles ?

Sans doute sent-il mon inquiétude. Il prend un air philosophe en soulevant ses maigres épaules.

— Il a eu une promotion, le Romain. Il est passé superviseur et on…