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La porte s’est ouverte derrière moi sans que je l’entende. Ce sont les larmes de Nicole qui attirent mon attention. Je me retourne. Elle est là, dans son grand tee-shirt blanc. Il y a deux heures, trois peut-être que j’ai promis de la rejoindre. Promis de tout abandonner. Elle découvre les portraits en couleur et les CV agrandis, affichés en ligne. Elle tourne la tête de droite à gauche, sans un mot. C’est le plus accablant de ce qu’elle peut faire.

J’ouvre la bouche mais ce n’est pas nécessaire.

Nicole est déjà repartie. Je charge rapidement une clé USB avec les fichiers que Romain m’a envoyés, je mets l’ordinateur portable sous tension pour recharger la batterie et le temps d’éteindre mon PC, de refermer les pages de liège de mon tableau mural, d’éteindre la lumière, je passe à la salle de bains et j’arrive dans la chambre que je trouve vide.

— Nicole !

Ma voix, dans cette nuit, résonne bizarrement. Ça ressemble à de la solitude. Je vais à la cuisine, au salon, personne. J’appelle de nouveau mais Nicole ne répond pas.

Quelques pas de plus et je suis à la chambre d’amis, dont la porte est close. Je saisis la poignée.

Fermée à clé.

J’ai fait une erreur doublée d’un mensonge. Je m’en veux. Mais il faut être philosophe. Quand j’aurai décroché ce job, elle se souviendra que j’avais raison.

Je vais me coucher à mon tour. Demain, j’ai une grosse journée.

11

Toute la nuit je n’ai pas cessé de tourner et de retourner les mêmes questions. À la place de Lacoste, comment m’y prendrais-je ? Entre décider d’un jeu de rôle comme celui-ci et l’organiser, il y a une sacrée marge. Les questions de Nicole me reviennent : un commando, des armes, des interrogatoires…

Il sera bientôt 5 heures du matin. Je suis parti comme d’habitude travailler aux Messageries et je me suis installé dans une immense brasserie de la gare de l’Est. Sur le zinc, j’attrape le titre du Parisien : « La Bourse de Paris en plein boom. Neuvième semaine de hausse. » Je feuillette en attendant mon café : « … usine de Tansonville évacuée par la police. Les 48 salariés qui occupaient les locaux… »

Installé à une table tout au fond de la plus grande salle, j’ai ouvert devant moi mon ordinateur portable. Pendant que le système démarre, je bois un café infect : je suis à un buffet de gare. À cette heure-ci, hormis quelques balayeurs togolais qui font la pause en rigolant, la pègre de l’aube est composée de poivrots insomniaques, d’ouvriers de nuit qui sortent du boulot, de chauffeurs de taxi, de couples épuisés, de jeunes gens défoncés. La population qui débute la journée est franchement démoralisante. Dans cette salle, je suis le seul à bosser mais je ne suis pas le seul à être en perdition. J’ouvre les fichiers stockés hier soir sur la clé USB.

Dans la correspondance de Lacoste, je trouve deux notes rédigées par un certain David Fontana, peut-être le type que j’ai aperçu au siège de BLC. L’une évoque l’embauche de comédiens arabes et l’acquisition d’armes chargées à blanc. L’autre donne un plan des lieux où se déroulera la prise d’otages. À son style et vu son secteur d’activité, ce David Fontana doit être un ancien militaire. Je profite du wi-fi de la brasserie pour me connecter et je cherche Fontana. Ne pas le trouver est presque une confirmation. Le genre si discret qu’il ne figure nulle part, du moins sous ce nom-là. J’accroche un Post-it à l’un de mes neurones : trouver l’identité de ce type, savoir d’où il vient.

Depuis le début, je sais que je vais avoir besoin d’aide. Savoir rassembler les compétences est la qualité nº 2 exigée d’un responsable RH.

J’adore Internet. Tout s’y trouve. Quoi que vous cherchiez de moche, c’est le seul endroit du monde où vous êtes certain de le trouver. Le Net doit ressembler à l’inconscient des sociétés occidentales.

Il me faut un peu plus d’une heure pour trouver le site qui me convient. S’y retrouvent des flics, d’anciens flics, de futurs flics, des passionnés de la police — et il y en a bien plus qu’on le croit. J’échange longuement avec les quelques surfeurs présents, sans grand succès. À cette heure-ci, il n’y a que les paumés et les chômeurs. Aucun intérêt. Le plus sûr est de déposer une annonce. Je suis romancier à la recherche de renseignements très concrets sur les prises d’otages. Je cherche un internaute qui a l’expérience de ce genre de situation. Je donne une adresse mail créée pour l’occasion, avant de me raviser. Le temps presse : j’inscris mon numéro de portable et je raye la première ligne de mon bloc.

La suite de mes recherches m’apporte une très mauvaise nouvelle. Les tarifs des détectives privés varient de 50 à 120 euros de l’heure. J’aligne les chiffres. Catastrophiques. Je ne vois pourtant aucune autre solution. Il faut enquêter sur ces huit cadres, sur leur vie privée, leur passé professionnel. Je ramasse trois ou quatre adresses de cabinets de détectives qui proposent des services aux entreprises et qui ne sont ni trop prestigieux ni ouvertement tocards. Et quitte à ce que ce soit la loterie, je choisis les adresses les plus proches de l’endroit où je me trouve. Quand je termine, il est presque 8 heures, je me mets en route.

On dirait n’importe quel bureau de n’importe quelle entreprise et le responsable qui me reçoit ressemble à ce que j’ai dû être autrefois, quand j’étais sûr de ma compétence et que j’avais encore un terrain pour l’exercer.

— Je vois, me dit-il.

Philippe Mestach. La quarantaine passée, calme, organisé, méthodique et le physique d’un voisin de palier. Tout à fait le genre qu’on ne remarque pas. J’ai décidé de jouer franc-jeu. Je parle de l’embauche mais je n’évoque pas la nature du jeu de rôle, je me contente d’expliquer l’objectif du test sur les cinq cadres. Il comprend très bien ma démarche.

— De cette manière, vous mettez toutes les chances de votre côté, me confirme-t-il. Mais le calendrier n’est pas favorable. Nous enquêtons fréquemment sur les salariés pour le compte de leurs entreprises, c’est un marché en pleine expansion. Malheureusement, dans notre métier, la qualité du résultat est souvent indexée sur le temps passé à l’obtenir.

— Combien ?

Il sourit. Nous sommes entre gens pragmatiques.

— Vous avez raison, me confirme-t-il, c’est la bonne question. Reprenons, voulez-vous ?

Il aligne les éléments que je dicte, il fait quelques calculs sur une petite machine qu’il tire de la poche intérieure de sa veste et il prend un long moment de réflexion. Il fixe les chiffres, replace la calculette dans sa poche puis lève la tête vers moi.

— Globalement : 15 000 euros. Tous frais inclus. Aucun supplément. Treize mille si vous payez en espèces.

— Vous me garantissez quoi ?

— Quatre enquêteurs à temps complet et…

Je l’interromps.

— Non, ce sont les résultats qui m’intéressent ! Vous me garantissez quoi ?

— Vous nous donnez le nom de vos « clients », nous trouvons leur adresse et quarante-huit heures plus tard nous vous fournissons pour chacun : son état civil, sa situation familiale et patrimoniale détaillée, les principales dates de son itinéraire privé et professionnel ainsi que les grandes lignes de l’état de ses finances actuelles (ses engagements, ses disponibilités, etc.).

— C’est tout ?

Il lève un sourcil inquiet. Je reprends :