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— Ah ! Et l’influx doit sauter l’obstacle.

Exactement ! La couche intercalaire a pour effet d’amoindrir la force de l’influx et de ralentir sa vitesse de propagation proportionnellement au carré de sa surface. Cela est également valable pour le cerveau. Imaginez maintenant qu’on parvienne à trouver le moyen d’abaisser la valeur de la constante diélectrique de la couche intercalaire.

— La constante… Comment dites-vous ?

— La capacité isolante de la membrane, tout bêtement. A ce moment, l’influx sauterait plus facilement l’obstacle.

— J’en reviens à ma première question : est-ce que votre système marche ?

— Je l’ai expérimenté sur des animaux.

— Et avec quels résultats ?

— La plupart sont morts très rapidement, du fait de l’altération des protéines du cerveau. De leur coagulation, si vous préférez : elles se sont en quelque sorte solidifiées comme le blanc d’un œuf à la coque.

Ennius fit une grimace.

— La froide insensibilité de la science a quelque chose d’indiciblement cruel. Et ceux qui ont survécu ?

— L’expérience n’est pas concluante puisque ce ne sont pas des êtres humains. En ce qui les concerne, les indications semblent favorables. Mais j’ai besoin de sujets humains. Tout dépend des propriétés électroniques naturelles du cerveau auquel on a affaire. Chaque cerveau engendre un certain type de microcourants et il n’y en a jamais deux qui soient exactement pareils. C’est comme les empreintes digitales ou le réseau des capillaires de la rétine. J’irai même jusqu’à dire que ces émissions sont encore plus individualisées. A mon avis, le traitement doit tenir compte de ce fait et, si j’ai raison, il n’y aura plus d’accidents. Mais je n’ai pas d’êtres humains comme sujets d’expérience. J’ai demandé des volontaires. Seulement…

Shekt leva les bras au ciel.

— Je comprends qu’ils soient réticents, vous savez ! Mais sérieusement, en admettant que vous amélioriez votre appareil, que comptez-vous en faire ?

— Le physicien haussa les épaules. Ce n’est pas à moi de le dire. La décision appartiendra naturellement au Grand Conseil.

— Vous n’envisageriez pas de mettre votre invention à la disposition de l’empire ?

— Moi ? Je n’y verrais aucun inconvénient. Mais seul le Grand Conseil est habilité à…

— Au diable votre Grand Conseil ! s’exclama Ennius avec impatience. J’ai déjà eu l’occasion de négocier avec lui. Accepteriez-vous de lui présenter cette suggestion le moment venu ?

— Je n’ai pas la moindre influence sur cette instance.

— Vous pourriez lui dire que si la Terre était en mesure de produire un amplificateur capable de traiter les êtres humains dans des conditions de sécurité absolue et que si l’appareil était diffusé à l’échelle galactique, certaines restrictions sur l’émigration seraient susceptibles d’être levées.

— Et les risques d’épidémie ? demanda Shekt sur un ton narquois. Et notre particularisme qui nous rend si différents des autres ? Et notre non-appartenance à l’humanité ?

— Il se pourrait même que vous soyez transférés en masse sur une autre planète, rétorqua Ennius sans se laisser émouvoir. Réfléchissez.

Au même instant, la porte s’ouvrit et une jeune femme entra comme un souffle de printemps qui chassa les miasmes de la pièce calfeutrée. A la vue du visiteur, elle rougit insensiblement et fit mine de battre en retraite. Mais Shekt l’en empêcha :

— Approche, Pola. Je crois, seigneur, que vous ne connaissez pas ma fille. Pola, je te présente le seigneur Ennius, procurateur de la Terre.

Le procurateur était déjà debout. Il s’inclina avec une galanterie pleine d’aisance qui interrompit net la révérence qu’ébauchait maladroitement Pola.

Chère demoiselle, vous êtes un ornement que je n’aurais pas cru la Terre capable de produire. En toute sincérité, vous seriez un ornement sur n’importe lequel des mondes que je connais. Il saisit la main que la jeune fille, répondant à son geste, lui avait tendue avec empressement et non sans quelque timidité. Un instant, on put croire qu’il allait la baiser comme l’exigeait la courtoisie raffinée de sa génération, mais si telle était bien l’intention du procurateur, il fit marche arrière et lâcha la main de la jeune fille. Un tout petit peu trop hâtivement, peut-être.

Pola eut un imperceptible froncement de sourcils :

— Je suis confondue, votre seigneurie, par tant de bonté envers une simple fille de la Terre. Vous êtes courageux et vaillant pour braver ainsi la contamination. Shekt toussota.

— Ma fille achève ses études à l’université de Chica, seigneur Ennius, et afin de se procurer quelques subsides pour ses recherches, elle travaille deux jours par semaine comme technicienne dans mon laboratoire. Elle est compétente et peut-être – mais il se peut que ce soit l’orgueil paternel qui me fasse parler –, peut-être sera-t-elle un jour à ma place.

— Père, j’ai quelque chose d’important à te communiquer, dit Pola à mi-voix.

— Voulez-vous que je vous laisse ? proposa Ennius.

— Mais non, mais non ! De quoi s’agit-il, Pola ?

— Nous avons un volontaire, père.

Shekt écarquilla les yeux d’un air presque ahuri.

— Pour l’amplificateur ?

— C’est ce qu’il dit.

— Eh bien, il semble que je vous porte bonheur, fit Ennius.

— En effet. Demande-lui d’attendre, veux-tu ? Emmène-le dans la salle C. Je le rejoindrai incessamment. Après le départ de Pola, il se tourna vers Ennius :

— Si vous voulez bien m’excuser, procurateur…

— Bien sûr. Combien de temps l’opération prend-elle ?

— Plusieurs heures, je le crains. Désirez-vous y assister ?

— Rien ne me donnerait autant la chair de poule, mon cher Shekt. Je serai jusqu’à demain à la Résidence. Auriez-vous l’obligeance de m’avertir du résultat ? Certainement.

Shekt paraissait soulagé.

— Parfait ! Et réfléchissez à ce que je vous ai dit à propos de votre amplificateur synaptique, cette nouvelle voie royale du savoir.

En repartant, Ennius n’était pas aussi à l’aise qu’à son arrivée. Il n’avait rien appris de plus et ses craintes avaient augmenté.

5. LE VOLONTAIRE INVOLONTAIRE

Une fois seul, le Dr Shekt appuya sur le bouton d’appel et un jeune technicien vêtu d’une scintillante blouse blanche, ses longs cheveux bruns soigneusement noués derrière la tête, entra d’un pas pressé.

— Est-ce que Pola vous a mis au courant ?

— Oui, docteur Shekt. Je l’ai observé sur l’écran. C’est sûrement un volontaire authentique, pas un de ces sujets qu’on nous envoie habituellement.

— A votre avis, faut-il que je le signale au Conseil ?

— Je ne sais que vous conseiller. Le Conseil verrait d’un mauvais œil une communication ordinaire. Tous les faisceaux sont susceptibles d’être interceptés, vous le savez. Et si je l’expédiais ? ajouta vivement le technicien. Il n’y a qu’à lui dire que nous avons besoin d’hommes de moins de trente ans. Il en a facilement trente-cinq.

— Non, non… Je préfère le voir.

L’esprit de Shekt était un tourbillon glacé. Jusqu’ici, l’opération avait été menée de main de maître. On avait laissé filtrer juste les informations qu’il fallait pour donner une trompeuse impression de franchise, et rien de plus. Et voilà qu’il y avait maintenant un vrai volontaire. Et cela immédiatement après la visite d’Ennius. Y avait-il un rapport ? Shekt n’avait lui-même qu’une connaissance extrêmement vague des gigantesques et obscures forces qui commençaient à s’agiter sur la planète calcinée, mais suffisante, néanmoins, pour qu’il se sente à leur merci. Et il en savait, en tout cas, plus que les Anciens ne le soupçonnaient.