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— Je vieillis, seigneur Ennius, se contenta de répondre le physicien.

— C’est là un passe-temps dangereux sur la Terre, rétorqua sèchement Ennius. Allez-vous coucher, Shekt.

Et maintenant, Shekt était posté devant la fenêtre à contempler la cité assombrie qui se dressait sur un monde agonisant.

Il y avait deux ans que l’on testait l’amplificateur synaptique et, depuis deux ans, il était l’esclave et le jouet de la Société des Anciens, la Confrérie comme on l’appelait.

Il avait sept ou huit communications toutes prêtes qui, publiées dans le Journal si rien de Neurophysiologie auraient rendu son nom illustre dans toute la galaxie s’il avait voulu. Mais elles moisissaient sur son bureau. Au lieu de cela, il n’y avait eu que cet article fumeux et volontairement fallacieux de la Revue de Physique. Telles étaient les voies de la Confrérie. Une demi-vérité était préférable à un mensonge.

Et pourtant, Ennius était venu aux informations. Pourquoi ?

Cette démarche était-elle liée à certaines choses que Shekt avait apprises ? L’empire nourrissait-il les mêmes soupçons que lui ?

En l’espace de deux siècles, la Terre s’était soulevée trois fois. Trois fois, elle s’était révoltée au nom d’une prétendue grandeur passée et avait attaqué les garnisons impériales. Trois fois, elle avait été écrasée – comme de juste ! — et si l’empire n’avait pas été essentiellement une monarchie éclairée, si les instances galactiques n’avaient pas été animées d’un profond sens politique, elle aurait été impitoyablement biffée de la liste des planètes habitées.

Mais maintenant, il en irait peut-être différemment. Etait-ce possible ? Quelle confiance prêter aux paroles aux trois quarts incohérentes d’un mourant ?

A quoi bon ? N’importe comment, il n’oserait rien faire. Il ne pouvait qu’attendre. Il vieillissait et, comme l’avait dit Ennius, c’était un passe-temps dangereux sur la Terre. Il avait presque soixante ans et les dérogations à la sexagésimale étaient rarissimes. Il n’y avait pas d’échappatoires.

Et même sur cette pitoyable boulette de boue corrosive qu’était la Terre, Ennius voulait vivre.

Finalement, il se recoucha et, juste avant de sombrer dans le sommeil, il se demanda vaguement si les Anciens avaient intercepté sa conversation vidéophonique avec Ennius. Il ne savait pas encore que la Confrérie possédait d’autres sources d’information.

Ce ne fut qu’au matin que l’assistant de Shekt arrêta irrévocablement sa décision.

Il admirait son patron, mais n’ignorait point que soumettre secrètement au traitement synaptique un volontaire non autorisé était en opposition avec les strictes directives de la Confrérie, directives auxquelles avaient été conféré le statut de Coutume. En conséquence, y désobéir était un crime capital.

Après tout, raisonnait-il, qui était ce sujet ? La campagne de recrutement des bénévoles avait été minutieusement organisée de façon à donner assez de renseignements sur l’amplificateur synaptique pour effacer les soupçons d’éventuels espions à la solde de l’empire sans encourager véritablement l’afflux des volontaires. La Société des Anciens envoyait des hommes à elle et c’était suffisant.

Alors, qui avait envoyé ce sujet ? La Confrérie ? En secret afin de s’assurer que Shekt était digne de confiance ? Ou Shekt était-il un traître ? Un peu plus tôt, il s’était enfermé en tête à tête avec un personnage portant les lourds vêtements que mettaient les Etrangers qui redoutaient l’empoisonnement par les radiations.

Dans les deux cas, il risquait fort de courir à sa perte. Et pourquoi, se demandait le technicien, me laisserais-je entraîner dans sa chute ? Il était jeune, il avait encore quarante ans à vivre. Pourquoi devancer la sexagésimale ?

D’ailleurs, cela se traduirait peut-être par de l’avancement pour lui… Et Shekt était si vieux qu’au prochain recensement, il y passerait sans doute. Cela ne lui porterait donc pas un très grand tort. Pratiquement aucun, même.

Le technicien avait pris sa décision. Il tendit la main vers le communicateur et composa la combinaison de la ligne privée du haut ministre de la Terre qui, sous couvert de l’empereur et du procurateur, disposait du pouvoir de vie et de mort sur tous les Terriens.

Ce fut vers la fin de la journée que les impressions brumeuses qui emplissaient le crâne de Schwartz prirent corps à travers l’engourdissement de la douleur. Il se rappela le voyage, les édifices bas pelotonnés devant le lac, la longue attente au fond du véhicule…

Et ensuite ? Que s’était-il passé ? Il s’efforça de secouer ses pensées somnolentes… Oui ! On était venu le chercher. Une pièce bourrée d’appareils et de cadrans… Et deux pilules. Voilà ! On les lui avait données et il les avait avalées avec joie. Qu’avait-il à perdre ? L’empoisonnement aurait été une bénédiction.

Après… rien !

Attention ! Il avait eu des éclairs de conscience… des gens qui se penchaient sur lui… Soudain, il se remémora le froid contact d’un stéthoscope sur sa poitrine… Une jeune fille qui le faisait manger…

Alors, c’est qu’il avait subi une opération ! Sous le coup de la panique, il repoussa les draps et se dressa sur son séant.

Une jeune fille se précipita et, le prenant par les épaules, le força à s’allonger à nouveau. Elle lui dit quelque chose d’une voix lénitive, mais il ne la comprenait pas. Il essaya de résister. En vain. Il était sans force.

Schwartz approcha ses mains de sa figure. Elles paraissaient normales. Quand il remua les jambes, il entendit le froissement des draps. Donc, on ne l’avait pas amputé.

— Est-ce que vous me comprenez ? demanda-t-il à la jeune fille sans beaucoup d’espoir. Savez-vous où je suis ?

C’était à peine s’il reconnaissait sa propre voix.

Elle sourit et se lança dans un discours précipité aux sonorités liquides. Il grommela. Sur ces entrefaites, un vieux monsieur entra – celui qui lui avait donné les pilules. Il s’entretint avec la fille qui, au bout de quelques instants, se tourna vers lui et tendit un doigt vers ses lèvres, accompagnant cette mimique de petits gestes d’invite.

— Quoi ? demanda Schwartz.

Elle opina avec ardeur, si radieuse que, en dépit de lui-même, il éprouva un certain plaisir à contempler son visage.

— Vous voulez que je parle ?

L’homme s’assit au bord du lit et lui fit signe d’ouvrir la bouche.

— Ah-h-h, fit-il.

— Ah-h-h, répéta Schwartz tandis que l’autre lui massait la pomme d’Adam. Qu’est-ce qui vous prend ? s’exclama-t-il avec hargne lorsque la pression se fut relâchée. Cela vous étonne que je sache parler ? Pour qui me prenez-vous donc ?

A mesure que les jours passaient, Schwartz découvrit un certain nombre de choses. L’homme était le Dr Shekt – c’était le premier être humain qu’il connaissait par son nom depuis qu’il avait rencontré la poupée de chiffons sur son chemin. Et la demoiselle, Pola, était sa fille.

Il constata qu’il n’avait plus besoin de se raser : sa barbe ne poussait pas. Il fut effrayé. En avait-il jamais eu ?

Ses forces lui revenaient rapidement. Maintenant, il était autorisé à s’habiller et marcher. Et on lui donnait autre chose à manger que de la bouillie. Etait-ce donc pour une amnésie qu’on le soignait ? Ce monde était-il le monde normal, le monde naturel, et celui dont il croyait se souvenir n’était-il, en revanche, qu’un fantasme né d’un cerveau amnésique ?

On ne lui permettait pas de sortir de sa chambré, ne serait-ce que pour faire quelques pas dans le couloir. Cela signifiait-il qu’il était prisonnier ? Avait-il commis un crime ?