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Quelle touchante candeur ! Oh si ! il peut se montrer ombrageux ! Sais-tu ce qui est arrivé il y a une cinquantaine d’années ? Je vais te le raconter et tu pourras juger sur pièces.

« Figure-toi que la Terre est dispensée d’arborer les emblèmes représentatifs de l’hégémonie impériale en raison de l’insistance des Terriens à affirmer qu’elle est le chef de file légitime de la galaxie. Or, le jeune Stannel II l’enfant-empereur qui avait quelque peu le cerveau fêlé et qui fut assassiné après deux ans de règne – tu dois t’en souvenir – avait ordonné que les armes de l’empereur soient placées dans la Chambre du Conseil, à Washenn. En soi, ce n’était pas une exigence déraisonnable puisqu’elles sont présentes dans toutes les Chambres du Conseil planétaire en tant que symbole de l’unité de l’empire. Mais sais-tu ce qui est arrivé ? Le jour où elles ont été installées, l’émeute a éclaté. Les forcenés de Washenn ont jeté bas les armoiries impériales, ont pris les armes et ont attaqué la garnison. Stannell II fut assez fou pour refuser de revenir sur son ordre, cela dût-il entraîner le massacre de tous les Terriens vivants. Heureusement, il fut assassiné avant que les choses ne fussent allées aussi loin. Edard, son successeur, rapporta le décret et la paix fut rétablie.

— Tu veux dire que les armes impériales n’ont pas été remises en place ? demanda Flora sur le ton de l’incrédulité.

— Exactement. La Terre est la seule planète de l’empire, qui en compte des millions et des millions, dans la Chambre du Conseil de laquelle l’emblème impérial brille par son absence. Cette minable planète où nous sommes ! Si nous recommencions aujourd’hui, les Terriens se battraient encore jusqu’au dernier pour nous empêcher d’apposer notre emblème. Et tu me demandes s’ils sont susceptibles ! Je te dis qu’ils sont fous.

La lueur grise de l’aube envahissait lentement la nuit. Flora rompit le silence retombé :

— Ennius ?

Sa voix ténue manquait d’assurance.

— Oui ?

Ce ne sont pas seulement les conséquences de ce soulèvement que tu redoutes pour ta réputation. Je ne serais pas ta femme si je ne lisais dans tes pensées. J’ai l’impression que tu crains quelque chose qui menace effectivement l’empire. Il ne faut rien me cacher, Ennius. Tu as peur que les Terriens soient vainqueurs, n’est-ce pas ?

— Je ne peux en parler. (Le regard d’Ennius était hanté ») Ce n’est même pas une intuition. Quatre années sur cette planète, c’est peut-être trop pour conserver intact son équilibre mental. Mais pourquoi les Terriens affichent-ils une pareille confiance ?

— Comment le sais-tu ?

— Je ne me trompe pas. J’ai mes propres sources d’information, moi aussi. Après tout, ils ont été écrasés par trois fois. Ils ne peuvent garder d’illusions. Et pourtant, face à deux cents millions de mondes dont chacun les surclasse, ils ont confiance ! Est-il possible qu’ils soient si fermement ancrés dans leur foi en je ne sais quelle destinée, quelle force surnaturelle qui n’a de signification que pour eux ? Peut-être… peut-être.

— Peut-être quoi, Ennius ?

— Peut-être qu’ils ont des armes secrètes ?

— Des armes qui permettraient à un monde isolé de vaincre deux cents millions d’autres mondes ? Tu cèdes à la panique. Aucune arme ne serait capable d’une telle prouesse.

— Et l’amplificateur synaptique dont je t’ai parlé ?

— Je t’ai dit ce qu’il fallait que tu fasses à ce propos. As-tu eu vent de l’existence d’une arme d’un autre genre, susceptible d’être utilisée contre nous ?

— Non, répondit Ennius avec réticence.

Bien sûr. Parce qu’un tel armement ne peut pas exister. Maintenant, mon chéri, écoute-moi. Pourquoi ne pas prendre contact avec le haut ministre et le mettre au courant des projets d’Arvardan en gage de ta bonne foi ? Tu l’inciteras officieusement à ne pas accorder à l’archéologue l’autorisation qu’il sollicite. Personne ne soupçonnera alors le gouvernement impérial de prêter la main à cette ridicule violation des coutumes terriennes. Et tu feras d’une pierre deux coups en arrêtant Arvardan sans avoir l’air d’intervenir. Cela fait, tu demanderas au bureau des P. E. de te dépêcher deux bons psychologues – ou, plutôt, quatre : de cette façon tu seras sûr qu’il t’en enverra au moins deux – qui analyseront les possibilités de l’amplificateur synaptique. Quant au reste, nos soldats s’en chargeront et nous n’aurons pas à nous soucier du jugement de la postérité.

« Maintenant, tu devrais dormir. Ici même. Pourquoi pas ? Il n’y a qu’à basculer le dossier de ton fauteuil. Ma fourrure te servira de couverture et je donnerai des ordres pour qu’on t’apporte le petit déjeuner à ton réveil. Les choses t’apparaîtront sous un autre jour quand le soleil brillera.

Et c’est ainsi qu’après une nuit blanche, Ennius s’endormit, cinq minutes avant le lever du jour.

Huit heures plus tard, le haut ministre apprit de la bouche même du procurateur et l’existence de Bel Arvardan et l’objet de son expédition.

7. UNE CONVERSATION DE FOUS ?

Arvardan, quant à lui, n’avait qu’un seul souci en tête : organiser ses vacances. Son navire, l’Ophiuchus, n’arriverait pas avant un mois, au moins, et il avait donc un mois de farniente dont il pourrait faire ce que bon lui plairait.

Aussi, six jours après son arrivée à Everest, il prit congé de son hôte et s’embarqua à bord du plus gros des jets stratosphériques de la Compagnie des Transports aériens reliant l’Himalaya à la capitale de la Terre, Washenn.

C’était délibérément qu’au croiseur rapide mis à sa disposition par Ennius il avait préféré un appareil commercial, poussé par la curiosité bien naturelle que suscitait en l’étranger et en l’archéologue qu’il était la vie quotidienne des habitants d’une planète comme la Terre. Il avait aussi une autre raison.

Arvardan était natif du secteur de Sirius où le préjugé antiterrestre était notoirement plus virulent que partout ailleurs dans la galaxie. Toutefois, il se flattait de n’y avoir personnellement jamais succombé. Un archéologue, un savant ne pouvait se permettre de céder au racisme. Certes, il s’était en grandissant formé une conception caricaturale et stéréotypée des Terriens et, encore maintenant, ce seul mot lui semblait repoussant. Mais ce n’était pas véritablement un préjugé.

Il ne le croyait pas, en tout cas. Par exemple, si un Terrien avait manifesté le désir de participer à l’une de ses expéditions ou de travailler sous sa direction dans un domaine ou un autre, Arvardan l’aurait engagé – à condition que le postulant eût la formation et les compétences voulues. Sous réserve qu’il y eût un poste à pourvoir, évidemment. Et si cela n’incommodait pas outre mesure les autres membres de l’expédition. Parce que c’était le hic. En général, le personnel n’était pas d’accord. Alors, que pouvait-on y faire ?

Il médita là-dessus. Il n’aurait certainement pas vu d’objections à manger ni même à dormir en compagnie d’un Terrien – pourvu que celui-ci fût raisonnablement propre et en bonne santé. En fait, il l’aurait, en tout, traité comme n’importe qui d’autre. Cependant, impossible de nier cette réalité : à ses yeux, un Terrien serait toujours un Terrien. Il n’y avait rien à faire. C’était la conséquence du fait d’avoir baigné durant toute son enfance dans une atmosphère de fanatisme si total qu’on n’en avait même plus conscience et que ses postulats étaient admis comme une seconde nature. C’était lorsqu’on échappait à ce climat et qu’on faisait un retour sur soi que l’on reconnaissait ce fanatisme pour ce qu’il était.

L’occasion était enfin offerte à Arvardan de se mettre lui-même à l’épreuve. Dans l’avion, il était exclusivement entouré de Terriens et il se sentait parfaitement à l’aise. Enfin… un peu gêné, mais à peine.