HÉLICON, récitant sur le ton de la parade.
Approchez! Approchez! (Cymbales.) Une fois de plus, les dieux sont descendus sur terre. Caïus, César et dieu, surnommé Caligula, leur a prêté sa forme tout humaine. Approchez, grossiers mortels, le miracle sacré s'opère devant nos yeux. Par une faveur particulière au règne béni de Caligula, les secrets divins sont offerts à tous les yeux.
Cymbales.
110
Caligula
Acte III, Scène I
111
CAESONIA
CŒSONIA
Approchez, Messieurs! Adorez et donnez votre L'adoration commence. Prosternez-vous (tous, sauf obole. Le mystère céleste est mis aujourd'hui à la Scipion, se prosternent) et répétez après moi la prière portée de toutes les bourses.
sacrée à Caligula-Vénus :
Cymbales.
« Déesse des douleurs et de la danse... »
HÉLICON
LES PATRICIENS
L'Olympe et ses coulisses, ses intrigues, ses pantou-
« Déesse des douleurs et de la danse... »
fles et ses larmes. Approchez' Approchez! Toute la vérité sur vos dieux '
CŒSONIA
« Née des vagues, toute visqueuse et amère dans le Cymbales.
sel et l'écume... »
CŒSONIA
LES PATRICIENS
Adorez et donnez votre obole. Approchez, Mes-
« Née des vagues, toute visqueuse et amère dans le sieurs. La représentation va commencer.
sel et l'écume... »
Cymbales. Mouvements d'esclaves qui apportent divers objets sur l'estrade.
CŒSONIA
« Toi qui es comme un rire et un regret... »
HÉLICON
Une reconstitution impressionnante de vérité, une LES PATRICIENS
réalisation sans précédent. Les décors majestueux de
« Toi qui es comme un rire et un regret... »
la puissance divine ramenés sur terre, une attraction sensationnelle et démesurée, la foudre (les esclaves CŒSONIA
allument des feux grégeois), le tonnerre (on roule un tonneau
«... une rancœur et un élan... »
plein de cailloux), le destin lui-même dans sa marche triomphale. Approchez et contemplez !
LES PATRICIENS
// tire la tenture et Caligula costumé en Vénus
«... une rancœur et un élan... »
grotesque apparaît sur un piédestal.
CŒSONIA
CALIGULA, aimable.
« Enseigne-nous l'indifférence qui fait renaître les Aujourd'hui, je suis Vénus.
amours... »
112 Caligula
Acte III, Scène I
113
LES PATRICIENS
LES PATRICIENS
« Enseigne-nous l'indifférence qui fait renaître les
«... tes mains pleines de fleurs et de meurtres. »
amours... »
CŒSONIA
CŒSONIA
« Accueille tes enfants égarés. Reçois-les dans
« Instruis-nous de la vérité de ce monde qui est de l'asile dénudé de ton amour indiffèrent et douloureux.
n'en point avoir... »
Donne-nous tes passions sans objet, tes douleurs privées de raison et tes joies sans avenir... »
LES PATRICIENS
« Instruis-nous de la vérité de ce monde qui est de LES PATRICIENS
n'en point avoir... »
« ... et tes joies sans avenir... »
CŒSONIA
CŒSONIA, très haut.
« Et accorde-nous la force de vivre à la hauteur de
« Toi, si vide et si brûlante, inhumaine, mais si cette vérité sans égale... »
terrestre, enivre-nous du vin de ton équivalence et rassasie-nous pour toujours dans ton cœur noir et LES PATRICIENS
salé. »
« Et accorde-nous la force de vivre à la hauteur de cette vérité sans égale... »
LES PATRICIENS
« Enivre-nous du vin de ton équivalence et rassasie-CŒSONIA
nous pour toujours dans ton cœur noir et salé. »
Pause !
Quand la dernière phrase a été prononcée par les LES PATRICIENS
patriciens, Caligula, jusque-là immobile, s'ébroue et d'une voix de stentor :
Pause î
CALIGULA
CŒSONIA, reprenant.
Accordé, mes enfants, vos vœux seront exaucés.
« Comble-nous de tes dons, répands sur nos visages ton impartiale cruauté ta haine tout objective ; ouvre
// s'assied en tailleur sur le piédestal. Un à un, au-dessus de nos yeux tes mains pleines de fleurs et de les patriciens se prosternent, versent leur obole et se meurtres. »
rangent à droite avant de disparaître. Le dernier, 114 Caligula
Acte III, Scène Il 115
troublé, oublie son obole et se retire. Mais Caligula, HÉLICON
d'un bond, se remet debout.
Qu'est-ce que cela peut bien vouloir dire ?
Hep! Hep! Viens ici, mon garçon. Adorer, c'est bien, mais enrichir, c'est mieux. Merci. Cela va bien.
SCIPION
Si les dieux n'avaient pas d'autres richesses que Tu souilles le ciel après avoir ensanglanté la terre.
l'amour des mortels, ils seraient aussi pauvres que le pauvre Caligula. Et maintenant, messieurs, vous allez HÉLICON
pouvoir partir et répandre dans la ville l'étonnant Ce jeune homme adore les grands mots.
miracle auquel il vous a été donné d'assister : vous avez vu Vénus, ce qui s'appelle voir, avec vos yeux de
// va se coucher sur un divan.
chair, et Vénus vous a parlé. Allez, messieurs.
CŒSONIA, très calme.
Mouvement des patriciens.
Comme tu y vas, mon garçon ; il y a en ce moment, Une seconde! En sortant, prenez le couloir de dans Rome, des gens qui meurent pour des discours gauche. Dans celui de droite, j'ai posté des gardes beaucoup moins éloquents.
pour vous assassiner.
SCIPION
Les patriciens sortent avec beaucoup d'empresse-J'ai décidé de dire la vérité à Caïus.
ment et un peu de désordre. Les esclaves et les musiciens disparaissent.
Cœsonia
Eh bien, Caligula, cela manquait à ton règne, une belle figure morale !
SCÈNE II
CALIGULA, intéressé.
Tu crois donc aux dieux, Scipion?
Hélicon menace Scipion du doigt.
SCIPION
HÉLICON
Non.
Scipion, on a encore fait l'anarchiste !
CALIGULA
SCIPION, à Caligula.
Alors, je ne comprends pas : pourquoi es-tu si Tu as blasphémé, Caïus.
prompt à dépister les blasphèmes ?
116
Caligula
Acte III, Scène Il 117
SCIPION
SCIPION
Je puis nier une chose sans me croire obligé de la Il suffit de se faire tyran.
salir ou de retirer aux autres le droit d'y croire.
CALIGULA
CALIGULA
Qu'est-ce qu'un tyran ?
Mais c'est de la modestie, cela, de la vraie modestie! Oh! cher Scipion, que je suis content pour toi. Et SCIPION
envieux, tu sais... Car c'est le seul sentiment que je Une âme aveugle.
n'éprouverai peut-être jamais.
CALIGULA
SCIPION
Cela n'est pas sûr, Scipion. Mais un tyran est un Ce n'est pas moi que tu jalouses, ce sont les dieux homme qui sacrifie des peuples à ses idées ou à son eux-mêmes.