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ambition. Moi, je n'ai pas d'idées et je n'ai plus rien à briguer en fait d'honneurs et de pouvoir. Si j'exerce ce CALIGULA

pouvoir c'est par compensation.

Si tu veux bien, cela restera comme le grand secret de mon règne. Tout ce qu'on peut me reprocher SCIPION

aujourd'hui, c'est d'avoir fait encore un petit progrès À quoi ?

sur la voie de la puissance et de la liberté. Pour un homme qui aime le pouvoir, la rivalité des dieux a CALIGULA

quelque chose d'agaçant. J'ai supprimé cela. J'ai À la bêtise et à la haine des dieux.

prouvé à ces dieux illusoires qu'un homme, s'il en a la volonté, peut exercer, sans apprentissage, leur métier SCIPION

ridicule.

La haine ne compense pas la haine. Le pouvoir n'est pas une solution. Et je ne connais qu'une façon SCIPION ,

de balancer l'hostilité du monde.

C'est cela le blasphème, Caïus.

CALIGULA

CALIGULA

Quelle est-elle ?

Non, Scipion, c'est de la clairvoyance. J'ai simplement compris qu'il, n'y a qu'une façon de s'égaler aux SCIPION

dieux : il suffit d'être aussi cruel qu'eux.

La pauvreté.

118 Caligula

Acte III, Scène Il

119

CALIGULA, soignant ses pieds.

SCIPION

Il faudra que j'essaie de celle-là aussi.

Qu'importe si cela nous coûte aussi cher que si tu l'étais.

SCIPION

CALIGULA, avec un peu d'impatience.

En attendant, beaucoup d'hommes meurent autour de toi.

Si tu savais compter, tu saurais que la moindre guerre entreprise par un tyran raisonnable vous CALIGULA

coûterait mille fois plus cher que les caprices de ma Si peu, Scipion, vraiment. Sais-tu combien de fantaisie.

guerres j'ai refusées?

SCIPION

SCIPION

Mais, du moins, ce serait raisonnable et l'essentiel Non.

est de comprendre.

CALIGULA

CALIGULA

Trois. Et sais-tu pourquoi je les ai refusées ?

On ne comprend pas le destin et c'est pourquoi je me suis fait destin. J'ai pris le visage bête et incompré-

SCIPION

hensible des dieux. C'est cela que tes compagnons de Parce que tu fais fi de la grandeur de Rome.

tout à l'heure ont appris à adorer.

CALIGULA

SCIPION

Non, parce que je respecte la vie humaine.

Et c'est cela le blasphème, Caïus.

SCIPION

CALIGULA

Tu te moques de moi, Caïus.

Non, Scipion, c'est de l'art dramatique ! L'erreur de tous ces hommes, c'est de ne pas croire assez au CALIGULA

théâtre. Ils sauraient sans cela qu'il est permis à tout Ou, du moins, je la respecte plus que je ne respecte homme de jouer les tragédies célestes et de devenir un idéal de conquête. Mais il est vrai que je ne la dieu. Il suffit de se durcir le cœur.

respecte pas plus que je ne respecte ma propre vie. Et s'il m'est facile de tuer, c'est qu'il ne m'est pas difficile SCIPION

de mourir. Non, plus j'y réfléchis et plus je me Peut-être, en effet, Caïus. Mais si cela est vrai, je persuade que je ne suis pas un tyran.

crois qu'alors tu as fait le nécessaire pour qu'un jour, 120

Caligula

Acte III, Scène III

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autour de toi, des légions de dieux humains se lèvent, CALIGULA

implacables à leur tour, et noient dans le sang ta Ton travail avance ?

divinité d'un moment.

HÉLICON

CŒSONIA

Quel travail?

Scipion !

CALIGULA

CALIGULA, d'une voix précise et dure.

Eh bien!... la lune!

Laisse, Cœsonia. Tu ne crois pas si bien dire, Scipion : j'ai fait le nécessaire. J'imagine difficilement HELICON

le jour dont tu parles. Mais j'en rêve quelquefois. Et Ça progresse C'est une question de patience. Mais sur tous les visages qui s'avancent alors du fond de la je voudrais te parler.

nuit amère, dans leurs traits tordus par la haine et l'angoisse, je reconnais, en effet, avec ravissement, le CALIGULA

seul dieu que j'aie adoré en ce monde : misérable et J'aurais peut-être de la patience, mais je n'ai pas lâche comme le cœur humain. {Irrité.) Et maintenant, beaucoup de temps. Il faut faire vite, Hélicon.

va-t'en. Tu en as beaucoup trop dit. {Changeant de ton.) J'ai encore les doigts de mes pieds à rougir. Cela HÉLICON

presse.

Je te l'ai dit, je ferai pour le mieux. Mais aupara-Tous sortent, sauf Hélicon, qui tourne en rond vant, j'ai des choses graves à t'apprendre.

autour de Caligula, absorbé par les soins de ses CALIGULA, comme s'il n'avait pas entendu.

pieds.

Remarque que je l'ai déjà eue.

HÉLICON

SCÈNE III

Qui?

CALIGULA

CALIGULA

La lune.

Hélicon !

HÉLICON

HÉLICON

Oui, naturellement. Mais sais-tu que l'on complote Qu'y a-t-il?

contre ta vie ?

122

Caligula

Acte III, Scène IV

123

HÉLICON

CALIGULA

Veux-tu m'écouter et connaître ce qui te menace?

Je l'ai eue tout à fait même. Deux ou trois fois seulement, il est vrai. Mais tout de même, je l'ai eue.

CALIGULA, s'arrête et le regarde fixement.

HÉLICON

Je veux seulement la lune, Hélicon. Je sais d'avance Voilà bien longtemps que j'essaie de te parler.

ce qui me tuera. Je n'ai pas encore épuisé tout ce qui peut me faire vivre. C'est pourquoi je veux la lune. Et CALIGULA

tu ne reparaîtras pas ici avant de me l'avoir procurée.

C'était l'été dernier. Depuis le temps que je la regardais et que je la caressais sur les colonnes du HÉLICON

jardin, elle avait fini par comprendre.

Alors, je ferai mon devoir et je dirai ce que j'ai à dire. Un complot s'est formé contre toi. Cherea en est HÉLICON

le chef. J'ai surpris cette tablette qui peut t'apprendre Cessons ce jeu, Caïus. Si tu ne veux pas m'écouter, l'essentiel. Je la dépose ici.

mon rôle est de parler quand même. Tant pis si tu n'entends pas.

Hélicon dépose la tablette sur un des sièges et se retire.

CALIGULA, toujours occupé

à rougir ses ongles du pied.

CALIGULA

Ce vernis ne vaut rien. Mais pour en revenir à la Où vas-tu, Hélicon ?

lune, c'était pendant une belle nuit d'août. (Hélicon se détourne avec dépit et se tait, immobile.) Elle a fait quelques H É L I C O N , sur le seuil

façons. J'étais déjà couché. Elle était d'abord toute Te chercher la lune.

sanglante, au-dessus de l'horizon. Puis elle a commencé à monter, de plus en plus légère, avec une rapidité croissante. Plus elle montait, plus elle deve-nait claire. Elle est devenue comme un lac d'eau

SCÈNE IV

laiteuse au milieu de cette nuit pleine de froissements d'étoiles. Elle est arrivée alors dans la chaleur, douce, On gratte à la porte opposée. Caligula se retourne brusque-légère et nue. Elle a franchi le seuil de la chambre et, ment et aperçoit le vieux patricien.

avec sa lenteur sûre, est arrivée jusqu'à mon lit, s'y est coulée et m'a inondé de ses sourires et de son éclat. —

LE VIEUX PATRICIEN, hésitant.

Décidément, ce vernis ne vaut rien. Mais tu vois, Hélicon, je puis dire sans me vanter que je l'ai eue.

Tu permets, Caïus ?

124 Caligula

Acte III, Scène IV 125