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GALIGULA, impatient.

LE VIEUX PATRICIEN

Eh bien ! entre. (Le regardant.) Alors, ma jolie, on Caïus, ils veulent te tuer.

vient revoir Vénus !

CALIGULA, va vers lui et le prend aux épaules.

LE VIEUX PATRICIEN

Sais-tu pourquoi je ne puis pas te croire?

Non, ce n'est pas cela. Chut ! Oh ! pardon, Caïus...

je veux dire... Tu sais que je t'aime beaucoup... et puis LE VIEUX PATRICIEN, faisant le geste de jurer.

je ne demande qu'à finir mes vieux jours dans la tranquillité...

Par tous les dieux, Caïus...

CALIGULA

CALIGULA, doucement

Pressons! Pressons!

et le poussant peu à peu vers la porte.

LE VIEUX PATRICIEN

Ne jure pas, surtout, ne jure pas. Écoute plutôt. Si ce que tu dis était vrai, il me faudrait supposer que tu Oui, bon. Enfin... (Très vite.) C'est très grave, voilà trahis tes amis, n'est-ce pas ?

tout.

CALIGULA

LE VIEUX PATRICIEN, un peu perdu.

Non, ce n'est pas grave.

C'est-à-dire, Caïus, que mon amour pour toi...

LE VIEUX PATRICIEN

CALIGULA, du même ton.

Mais quoi donc, Caïus ?

Et je ne puis pas supposer cela. J'ai tant détesté la CALIGULA

lâcheté que je ne pourrais jamais me retenir de faire Mais de quoi parlons-nous, mon amour?

mourir un traître. Je sais bien ce que tu vaux, moi. Et, assurément, tu ne voudras ni trahir ni mourir.

LE VIEUX PATRICIEN,

il regarde autour de lui.

LE VIEUX PATRICIEN

C'est-à-dire... (// se tortille et finit par exploser.) Un Assurément, Caïus, assurément !

complot contre toi...

CALIGULA

CALIGULA

Tu vois bien, c'est ce que je disais, ce n'est pas Tu vois donc que j'avais raison de ne pas te croire.

grave du tout.

Tu n'es pas un lâche, n'est-ce pas ?

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Caligula

Acte III, Scène V

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Oh! non...

LE VIEUX PATRICIEN

S C È N E V

CALIGULA

Ni un traître ?

Caligula contemple un moment la tablette de sa place. Il la saisit et la lit. Il respire fortement et appelle un garde.

LE VIEUX PATRICIEN

CALIGULA

Cela va sans dire, Caïus.

Amène Cherea.

CALIGULA

Le garde sort.

Et, par conséquent, il n'y a pas de complot, dis-moi, ce n'était qu'une plaisanterie ?

Un moment.

Le garde s'arrête.

LE VIEUX PATRICIEN, décomposé.

Avec des égards.

Une plaisanterie, une simple plaisanterie...

Le garde sort.

CALIGULA

Caligula marche un peu de long en large. Puis il Personne ne veut me tuer, cela est évident ?

se dirige vers le miroir.

Tu avais décidé d'être logique, idiot. Il s'agit LE VIEUX PATRICIEN

seulement de savoir jusqu'où cela ira. {Ironique.) Si Personne, bien sûr, personne.

l'on t'apportait la lune, tout serait changé, n'est-ce pas ? Ce qui est impossible deviendrait possible et du CALIGULA, respirant fortement, puis lentement.

même coup, en une fois, tout serait transfiguré.

Alors, disparais, ma jolie. Un homme d'honneur est Pourquoi pas, Caligula ? Qui peut le savoir ? (// regarde un animal si rare en ce monde que je ne pourrais pas autour de lui.) Il y a de moins en moins de monde en supporter la vue trop longtemps. Il faut que je reste autour de moi, c'est curieux. {Au miroir, d'une voix seul pour savourer ce grand moment.

sourde.) Trop de morts, trop de morts, cela dégarnit.

Même si l'on m'apportait la lune, je ne pourrais pas revenir en arrière. Même si les morts frémissaient à nouveau sous la caresse du soleil, les meurtres ne rentreraient pas sous terre pour autant. {Avec un accent 128

Caligula

Acte III, Scène VI 129

furieux.) La logique, Caligula, il faut poursuivre la CALIGULA

logique. Le pouvoir jusqu'au bout, l'abandon jus-Absolument sûr, Cherea.

qu'au bout. Non, on ne revient pas en arrière et il faut aller jusqu'à la consommation !

Encore un temps de silence.

Soudain empressé.

Entre Cherea.

Mais, excuse-moi. Je suis distrait et te reçois bien mal. Prends ce siège et devisons en amis. J'ai besoin de parler un peu à quelqu'un d'intelligent.

SCÈNE VI

Cherea s'assied.

Naturel, il semble, pour la première fois depuis le Caligula, renversé un peu dans son siège, est engoncé dans début de la pièce.

son manteau. Il a l'air exténué.

Cherea, crois-tu que deux hommes dont l'âme et la fierté sont égales peuvent, au moins une fois dans leur CHEREA

vie, se parler de tout leur cœur — comme s'ils étaient Tu m'as demandé, Caïus ?

nus l'un devant l'autre, dépouillés des préjugés, des intérêts particuliers et des mensonges dont ils vivent?

CALIGULA, d'une voix faible.

CHEREA

Oui, Cherea. Gardes ! Des flambeaux !

Je pense que cela est possible, Caïus Mais je crois Silence.

que tu en es incapable.

CHEREA

CALIGULA

Tu as quelque chose de particulier à me dire ?

Tu as raison. Je voulais seulement savoir si tu pensais comme moi. Couvrons-nous donc de mas-CALIGULA

ques. Utilisons nos mensonges. Parlons comme on se Non, Cherea.

bat, couverts jusqu'à la garde. Cherea, pourquoi ne m'aimes-tu pas ?

Silence.

CHEREA

CHEREA, un peu agacé.

Parce qu'il n'y a rien d'aimable en toi, Caïus. Parce Tu es sûr que ma présence est nécessaire ?

que ces choses ne se commandent pas. Et aussi, parce 130

Caligula

Acte III, Scène VI

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que je te comprends trop bien et qu'on ne peut aimer CHEREA

celui de ses visages qu'on essaie de masquer en soi.

Je n'ai rien de plus à dire. Je ne veux pas entrer CALIGULA

dans ta logique. J'ai une autre idée de mes devoirs d'homme. Je sais que la plupart de tes sujets pensent Pourquoi me haïr?

comme moi. Tu es gênant pour tous. Il est naturel que CHEREA

tu disparaisses.

Ici, tu te trompes, Caïus. Je ne te hais pas. Je te juge CALIGULA

nuisible et cruel, égoïste et vaniteux. Mais je ne puis Tout cela est très clair et très légitime. Pour la pas te haïr puisque je ne te crois pas heureux. Et je ne plupart des hommes, ce serait même évident. Pas puis pas te mépriser puisque je sais que tu n'es pas pour toi, cependant. Tu es intelligent et l'intelligence lâche.

se paie cher ou se nie. Moi, je paie. Mais toi, pourquoi CALIGULA

ne pas la nier et ne pas vouloir payer ?

Alors, pourquoi veux-tu me tuer?

CHEREA

Parce que j'ai envie de vivre et d'être heureux. Je CHEREA

crois qu'on ne peut être ni l'un ni l'autre en poussant Je te l'ai dit : je te juge nuisible. J'ai le goût et le l'absurde dans toutes ses conséquences. Je suis besoin de la sécurité. La plupart des hommes sont comme tout le monde. Pour m'en sentir libéré, je comme moi. Ils sont incapables de vivre dans un souhaite parfois la mort de ceux que j'aime, je univers où la pensée la plus bizarre peut en une convoite des femmes que les lois de la famille ou de seconde entrer dans la réalité — où, la plupart du l'amitié m'interdisent de convoiter. Pour être logique, temps, elle y entre, comme un couteau dans un cœur.