je devrais alors tuer ou posséder. Mais je juge que ces Moi non plus, je ne veux pas vivre dans un tel univers.
idées vagues n'ont pas d'importance. Si tout le monde Je préfère me tenir bien en main.
se mêlait de les réaliser, nous ne pourrions ni vivre ni être heureux. Encore une fois, c'est cela qui m'im-CALIGULA
porte.
La sécurité et la logique ne vont pas ensemble.
CALIGULA
CHEREA
Il faut donc que tu croies à quelque idée supérieure.
Il est vrai. Cela n'est pas logique, mais cela est sain.
CHEREA
CALIGULA
Je crois qu'il y a des actions qui sont plus belles que Continue.
d'autres.
132 Caligula
Acte III, Scène VI
133
CALIGULA
CHEREA
Je crois que toutes sont équivalentes.
J'avais tort, Caïus, je le reconnais et je te remercie.
J'attends maintenant ta sentence.
CHEREA
Je le sais, Caïus, et c'est pourquoi je ne te hais pas.
CALIGULA, distrait.
Mais tu es gênant et il faut que tu disparaisses.
Ma sentence ? Ah ! tu veux dire... (Tirant la tablette de son manteau.) Connais-tu cela, Cherea?
CALIGULA
C'est très juste. Mais pourquoi me l'annoncer et CHEREA
risquer ta vie ?
Je savais qu'elle était en ta possession.
CHEREA
C A L I G U L A , de façon passionnée.
Parce que d'autres me remplaceront et parce que je Oui, Cherea, et ta franchise elle-même était simu-n'aime pas mentir.
lée. Les deux hommes ne se sont pas parlé de tout leur cœur. Cela ne fait rien pourtant. Maintenant, nous Silence.
allons cesser le jeu de la sincérité et recommencer à CALIGULA
vivre comme par le passé. Il faut encore que tu essaies de comprendre ce que je vais te dire, que tu subisses Cherea!
mes offenses et mon humeur. Écoute, Cherea. Cette CHEREA
tablette est la seule preuve.
Oui, Caïus.
CHEREA
CALIGULA
Je m'en vais, Caïus. Je suis lassé de tout ce jeu Crois-tu que deux hommes dont l'âme et la fierté grimaçant. Je le connais trop et ne veux plus le voir.
sont égales peuvent, au moins une fois dans leur vie, C A L I G U L A , de la même voix passionnée se parler de tout leur cœur?
et attentive.
CHEREA
Reste encore. C'est la preuve, n'est-ce pas ?
Je crois que c'est ce que nous venons de faire.
CHEREA
CALIGULA
Je ne crois pas que tu aies besoin de preuves pour Oui, Cherea. Tu m'en croyais incapable, pourtant.
faire mourir un homme.
134
Caligula
Acte III, Scène VI
135
CALIGULA
punir. Et ton empereur n'a besoin que d'une flamme Il est vrai. Mais, pour une fois, je veux me pour t'absoudre et t'encourager. Continue, Cherea, contredire. Cela ne gêne personne. Et c'est si bon de poursuis jusqu'au bout le magnifique raisonnement se contredire de temps en temps. Cela repose. J'ai que tu m'as tenu. Ton empereur attend son repos.
besoin de repos, Cherea.
C'est sa manière à lui de vivre et d'être heureux.
Cherea regarde Caligula avec stupeur. Il a un CHEREA
geste à peine esquissé, semble comprendre, ouvre la Je ne comprends pas et je n'ai pas de goût pour ces bouche et part brusquement. Caligula continue de complications.
tenir la tablette dans la flamme et, souriant, suit CALIGULA
Cherea du regard.
Bien sûr, Cherea. Tu es un homme sain, toi. Tu ne désires rien d'extraordinaire! (Éclatant de rire.) Tu veux vivre et être heureux. Seulement cela !
RIDEAU
CHEREA
Je crois qu'il vaut mieux que nous en restions là.
CALIGULA
Pas encore. Un peu de patience, veux-tu ? J'ai là cette preuve, regarde. Je veux considérer que je ne peux vous faire mourir sans elle. C'est mon idée et c'est mon repos. Eh bien ! vois ce que deviennent les preuves dans la main d'un empereur.
// approche la tablette d'un flambeau. Cherea le rejoint. Le flambeau les sépare. La tablette fond.
Tu vois, conspirateur! Elle fond, et à mesure que cette preuve disparaît, c'est un matin d'innocence qui se lève sur ton visage. L'admirable front pur que tu as, Cherea. Que c'est beau, un innocent, que c'est beau !
Admire ma puissance. Les dieux eux-mêmes ne peuvent pas rendre l'innocence sans auparavant ACTE IV
SCÈNE PREMIÈRE
La scène est dans une demi-obscurité. Entrent Cherea et Scipion. Cherea va à droites puis à gauche et revient vers Scipion.
SCIPION., L' air fermé.
Que me veux-tu ?
CHEREA
Le temps presse. Nous devons être fermes sur ce que nous allons faire.
SCIPION
Qui te dit que je ne suis pas ferme ?
CHEREA
Tu n'es pas venu à notre réunion d'hier*
SCIPION, se détournant.
C'est vrai, Cherea.
140
Caligula
Acte IV, Scène I
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CHEREA
SCIPION
Scipion, je suis plus âgé que toi et je n'ai pas C'est vrai, Cherea. Mais quelque chose en moi lui coutume de demander du secours. Mais il est vrai que ressemble pourtant. La même flamme nous brûle le j'ai besoin de toi. Ce meurtre demande des répon-cœur.
dants qui soient respectables. Au milieu de ces vanités CHEREA
blessées et de ces ignobles peurs, il n'y a que toi et moi dont les raisons soient pures. Je sais que si tu nous Il est des heures où il faut choisir. Moi, j'ai fait taire abandonnes, tu ne trahiras rien. Mais cela est indiffè-
en moi ce qui pouvait lui ressembler.
rent. Ce que je désire, c'est que tu restes avec nous SCIPION
Je ne puis pas choisir puisqu'en plus de ce que je SCIPION
souffre, je souffre aussi de ce qu'il souffre. Mon Je te comprends. Mais je te jure que je ne le puis malheur est de tout comprendre.
pas.
CHEREA
CHEREA
Alors tu choisis de lui donner raison.
Es-tu donc avec lui ?
SCIPION, dans un cri.
SCIPION
Oh ! je t'en prie, Cherea, personne, plus personne Non. Mais je ne puis être contre lui. (Un temps, puis pour moi n'aura jamais raison!
sourdement.) Si je le tuais, mon cœur du moins serait Un temps, ils se regardent.
avec lui.
CHEREA, avec émotion,
CHEREA
s'avançant vers Scipion.
Il a pourtant tué ton père !
Sais-tu que je le hais plus encore pour ce qu'il a fait de toi ?
SCIPION
SCIPION
Oui, c'est là que tout commence. Mais c'est là aussi Oui, il m'a appris à tout exiger.
que tout finit.
CHEREA
CHEREA
Non, Scipion, il t'a désespéré. Et désespérer une Il nie ce que tu avoues. Il bafoue ce que tu vénères.
jeune âme est un crime qui passe tous ceux qu'il a 142 Caligula
Acte IV, Scène III
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commis jusqu'ici. Je te jure que cela suffirait pour que je le tue avec emportement.
SCÈNE III
// se dirige vers la sortie. Entre Hélicon.
Bruits d'armes en coulisse. Deux gardes paraissent, à droite, conduisant le vieux patricien et le premier patricien, qui