L'Étranger, roman gris, et Le Malentendu, pièce très noire, Caligula,
« Le personnage vit sur ses réserves ; jamais ficelles ou conventions rouge et or, fait éclater le triomphe de l'absurde délirant. » La artificielles ne viennent prolonger le drame. » Et, sans échapper au
« mortelle hantise de la mort » y devient meurtrière. On le voit rapprochement abusif de l'« existentialisme » des deux auteurs, notamment à l'issue de cette scène entre Caligula et Cherea qui Francis Crémieux compare Caligula aux Bouches inutiles, de Simone pourrait faire bifurquer l'action : « Après Cinna ou la Clémence de Beauvoir, créé à quelques jours d'intervalle. Tandis que chez d'Auguste, aurions-nous Cherea ou la Clémence de Caligula ? Il serait naïf Camus domine un personnage, Beauvoir décentralise les « foyers dramatiques », mais les « qualités théâtrales » de sa pièce sont
« moins prenantes que les bonds et les rictus de Caligula ».
1. Carnets, Il (janvier 1942-mars 1951), 1964, p. 152 (à la date de : octobre 1945).
Parmi les critiques qui acceptent pleinement que la pièce de 180
Notice
Camus offre un message philosophique, peu y ont trouvé autant que Francis Crémieux le ressort d'une vraie dramaturgie. Pour Marc Beigbeder {Le Théâtre en France depuis la Libération), si Caligula est le chef-d'œuvre au théâtre d'Albert Camus, et même « un chef-d'œuvre tout court », la pièce le doit à « l'interférence du cabaret ».
Quant au fond, Raymond Gay-Crosier y voit « une sorte de pièce de circonstance composée au terme d'une crise intellectuelle décisive, ce qui explique les multiples modifications qu'elle a subies » {Les Envers d'un échec. Étude sur le théâtre d'Albert Camus, H I S T O R I Q U E D E L A M I S E E N S C È N E
p. 77). Ilona Coombs pense que « charme, gaieté, bouffonnerie, sont des traits que l'on n'a que trop négligés en faveur du message philosophique et qui pourtant expliquent la fascination qu'exerce Caligula sur le public » {Camus, homme de théâtre, p. 87).
Le Théâtre de l'Équipe venait d'interpréter en mai 1938, à Alger, Cette fascination explique que Caligula soit, parmi les pièces de l'adaptation de Jacques Copeau des Frères Karamazov. Albert Camus, Camus, la plus souvent représentée. Elle est aussi au centre de son fondateur, y tenait le rôle d'Ivan. Aussitôt, il songe à la distri-toutes les réflexions sur les rapports qu'entretiennent chez lui la bution de son prochain spectacle, Caligula, qu'il a sinon déjà écrit, notion de l'absurde et les problèmes du théâtre. Au colloque du moins conçu dans ses grandes lignes. Il envisage de tenir lui-d'Amiens de 1988 (voir bibliographie), cinq communications sont même le rôle de Caligula; Charles Poncet sera Cherea; Jeanne exclusivement consacrées à Caligula — aux Caligula, faudrait-il Sicard (qui plus tard fera carrière dans la politique), Cœsonia;Jean dire : A. James Arnold, en cette occasion encore, plaide pour que Négroni (seul futur acteur professionnel), Scipion. Camus n'a pas trouve droit de cité ce Caligula de 1941 qu'il a contribué à faire encore imaginé le rôle d'Hélicon. Mais le Théâtre de l'Équipe se connaître. Pièce instable, sans cesse retouchée, Caligula témoigne en dissoudra avant que la pièce ne soit au point.
faveur de la passion pour la scène de Camus plutôt que de sa Quand sont imprimées, pendant la guerre, les premières maîtrise dramaturgique ; mais elle reflète aussi une pensée inquiète, épreuves de Caligula, Jean-Louis Barrault s'y intéresse : « En 1943, capable de toujours remettre ses vérités en question. Le contraire Gaston Gallimard me fit parvenir un manuscrit qui m'enthou-d'une pièce à thèse, décidément.
siasma, c'était Caligula. Malheureusement je faisais partie de la Comédie-Française et, malgré mon envie, je ne pus pas monter la première œuvre dramatique d'Albert Camus. Mais nous fîmes connaissance et j ' y gagnai une amitié. » À l'automne de la même année, Jean Vilar envisage de monter la pièce avec la Compagnie des Sept, mais des difficultés matérielles feront encore échouer le projet.
Caligula est représenté pour la première fois le 26 septembre 1945, au Théâtre Hébertot, dans une mise en scène de Paul Œttly. Si
« Œttly s'imposa sans conteste pour décider du jeu des acteurs et des décors », Camus, « paraissant ne rien connaître de la technique ni des mécanismes de la mise en scène, se tenait à l'écart pour dire son mot toutes les fois que le texte était en cause ' ». Le rôle de 1. Herbert L. Lottman, Albert Camus, p. 379-380. Pour la distribution complète, voir p. 33.
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l'empereur était tenu par un acteur peu connu de vingt-trois ans, donne une manière d'Hamlet plus inquiétant mais non moins Gérard Philipe. « Caligula le rendit célèbre, témoigne Georges tourmenté, non moins obsédé de l'explication du monde et de soi-Perros, et ce fut comme un long et décisif coup de fouet sur la vie même ». Mais le compte rendu de Arts salue aussi le « refus de tout théâtrale parisienne, qui a toujours tendance à s'endormir. Il réalisme » dans le travail de Marie Viton qui, « au lieu de
"fallait" l'avoir vu jouer cet empereur sulfureux1.» Gérard rechercher pour les costumes une reconstitution plus ou moins Philipe a raconté lui-même comment, en apprenant que Jacques exacte de l'Antiquité romaine, s'est inspirée des fresques de Hébertot allait monter Caligula, il tenta sa chance. Mais Hébertot Tavantl ». Au total, « l'ensemble est étonnamment pictural ».
lui trouvait l'air fatigué. De toute façon, objectait-il, « tu es un Pour Pierre Loewel {Les Lettres françaises, 6 octobre 1945), Gérard ange, pas un démon ! ». Gérard Philipe dut à la défection d'Henri Philipe « supporte et exhausse tout le poids du spectacle ». La Rollan, victime d'une insolation en Afrique, de tenir tout de même presse spécialisée n'a guère d'yeux pour un acteur de dix-neuf ans le rôle2. Margo Lion, qui jouait Cœsonia, se rappelle qu'elle fut qui tient le rôle de Scipion et qui fera aussi une belle carrière : d'abord inquiète d'être dotée à l'improviste d'un partenaire aussi Michel Bouquet.
peu expérimenté. Mais elle fut conquise dès la première lecture; Quand la pièce sera reprise au Théâtre Hébertot en 1950, le rôle quand commencèrent les représentations, il montrait un véritable de Caligula sera tenu par Michel Herbault. En 1957, au Festival génie pour surmonter ses ennuis privés ou pallier les accidents qui d'Angers, Michel Auclair joue Caligula; Marguerite Jamois, Cœsonia ; Jean-Pierre Jorris, Hélicon ; Denis Manuel, Scipion ; Henri pouvaient survenir au cours de la pièce, comme une panne Etcheverry, puis Jean-Pierre Marielle, Cherea2. Camus modifie le d'électricité. Parmi le public, Marlenf Dietrich viendra assister à texte, abrégeant le rôle de Caligula, étoffant celui d'Hélicon, et plusieurs représentations, et René Clair y verra pour la première donnant de nombreuses indications de décors et de mises en scène.
fois celui qui allait devenir ensuite son interprète et son ami3.
«Erreur scénique », pour Morvan Lebesque3 : «étrange entre-Alyette Samazeuilh, qui avait exécuté les costumes sous la direction prise, en vérité, une conspiration feutrée sous les Césars jetée aux de Marie Viton, témoigne de son côté que le plateau, les décors et quatre vents d'un château Renaissance. » Le texte reçoit de les costumes ne coûtèrent pas cher à Jacques Hébertot4; le franc nouvelles retouches, en 1958, pour sa reprise au Nouveau Théâtre succès obtenu par la pièce à Paris (il n'en alla pas tout à fait de de Paris, dirigé par Elvire Popesco et Hubert de Malet, « avec de même en province) couvrit les dépenses au-delà de toute espérance.