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dans le conservatisme frileux et la veulerie des dignitaires de Annonçant à Jean Grenier, le 11 octobre 1943, qu'il va l'Empire, assurément moins sympathiques que le brave Polo-donner Caligula et Le Malentendu à Gallimard, il avoue sa nius, le spectateur ne risque-t-il pas de trouver une justification préférence pour la seconde des deux pièces ; « Je suppose que aux excès de Caligula ? Ce tyran, à tout prendre, hait parc'est la différence d'une pièce conçue et écrite en 38 et d'une dessus tout le fumier d'où naissent les tyrans. Camus exprimera autre faite cinq ans après. Mais j'ai beaucoup resserré mon même comment, en consentant à mourir, son héros atteint à texte autour d'un thème principal. De plus les deux techniques

« une sorte de grandeur que la plupart des autres tyrans n'ont sont absolument opposées et cela équilibrera le volume4 . » À

jamais connue3 ».

cette lettre, il ajoute en note : «Je mettrai sa date à Caligula, À partir de 1943 toutefois, Us remaniements estompent pour mais c'est surtout pour éviter les rapprochements avec l'actual'essentiel « le sens même de la tragédie du premier Caligula lité. » Le sens de sa pièce a changé. Tandis qu'avant la guerre, 1. Carnets, I (mai 1935-février 1942), p. 225.

1. A. James Arnold, Cahiers Albert Camus, 4, p. 170.

2. Les « sénateurs » seront ensuite appelés « patriciens » dans la 2. Voir le chapitre II de L'Homme révolté, « La Révolte métaphy-plupart des états du texte.

sique. Les Fils de Caïn ».

3. « Le programme pour le nouveau théâtre » (1958), in Théâtre, 3. « Préface à l'édition italienne », in Essais, Pléiade, p. 219.

récits, nouvelles, Pléiade, p. 1750.

4. Correspondance Albert Camus-Jean Grenier, p. 107.

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le goût du sang de Caligula pouvait s'interpréter comme la le moteur, sinon pour la justification, de crimes contre perversion d'une légitime aspiration à l'absolu, désormais doit l'humanité, voilà qui jetterait sur le sens de la pièce une ombre ressortir l'horreur de l'absolutisme. Encore ne faut-il pas lier troublante si on éclairait son héros exclusivement à la lumière celui-ci à un régime politique particulier, aussi monstrueux de l'actualité. Mieux vaut le faire grâce à d'autres figures de soit-il. La date de 1938 figurant dans l'édition originale de la l'histoire du théâtre. On verra alors en Caligula un Hamlet pièce excusera peut-être, aux yeux du lecteur, les imperfections dont les velléités se seraient muées en intempérance d'action et à d'une œuvre de jeunesse; elle permettra surtout d'élargir la gui sa puissance permettrait de multiplier les caprices; ou un portée de la tragédie. « Décor : // n'a pas d'importance. Tout Lorenzaccio qui, ayant étouffé en lui toute nostalgie d'inno-est permis, sauf le genre romain », indique Camus en tête de la cence, pousserait jusqu'aux limites le dégoût de soi-même; ou distribution jusqu'à l'édition de 1944. Une actualisation du encore un Dom Juan qui, ayant résolu de bafouer pauvres, décor trahirait pareillement les intentions de l'auteur : Cali-femmes et honnêtes gens, ne se soucierait même pas de parer gula n'est pas plus un dictateur moderne qu'un empereur qui d'un semblant d'élégance le jeu cynique où il se complaît. Au annonce la décadence de Rome.

mieux, on attendra des représentations de Caligula qu'elles Caligula est donc édité avec Le Malentendu, chez explorent les virtualités du personnage; au pire, on craindra Gallimard, en mai 1944; puis seul, la même année, dans un que la figure incertaine de l'empereur ne donne la tentation au texte presque identique. L'édition de 1947 comportera davan-spectateur de chercher sa vérité ailleurs que sur scène, à la tage de modifications. Y apparaissent la scène 4 de l'acte III, lumière de l'évolution de la pensée philosophique de Camus.

où le vieux patricien prévient Caligula du complot qui se trame contre lui (en refusant de l'entendre, l'empereur consent de manière moins ambiguë encore au « suicide » final) et les Représenter Caligula

scènes 1 et 2 de l'acte IV, où se précise la fascination de Scipion pour Caligula. Camus retouche à nouveau la pièce en 1957, Les historiens du théâtre n'ont pas manqué d'associer Sartre pour le Festival d'Angers, et en 1958 pour le Nouveau Théâtre et Camus. Ainsi, pour Geneviève Serreau, « moralistes avant de Paris.

d'être dramaturges », l'un et l'autre auraient versé « avec À la différence du Caligula de l'histoire, celui de Camus a insouciance leur vin nouveau dans les vieilles outres du théâtre une âme; si son apparence physique fut d'emblée modifiée, c'est traditionnel1 ». Mieux vaut, à tout prendre, reprocher à parce qu'il devait la porter sur son visage. Le voici pourtant qui chacun des deux d'avoir mis en scène sa propre philosophie que évoque, à force de retouches, des tyrans plus noirs encore que lesde prétendre, comme le fît Henri Troyat dans La Nef

« Césars » de Suétone, en tout cas mieux armés les (novembre 1945), que « toute la puce de M. Camus (Cali-spectateurs savaient, en 1945, de quels moyens disposent les gula) n'est qu'une illustration des principes existentialistes de dictateurs du xx siècle pour punir leur prochain des péchés dont ils ont décidé de l'accuser. Que l'aspiration à l'absolu, par 1. G. Serreau, Histoire du « nouveau théâtre » (1966), coll. « Idées », définition déçue chez l'homme « absurde », puisse passer pour 1981, p. 26.

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M. Sartre1 ». Troyat, il est vrai, n'avait pas encore lu s'est vidé de ses dieux, aucune autre force ne vient les remplacer l'interview donnée par Camus aux Nouvelles littéraires (15