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fuite par le jeu se réduit cette fois à un simple exercice de Si, en dépit de ces embarras, les mises en scène qui se sont rhétorique; enfin, dans les limites de l'œuvre, le «juge-succédé depuis la création de la pièce plaident en sa faveur, elles pénitent » se contente d'une unique victime. Ainsi sont exprimés le doivent d'abord aux virtualités d'interprétation de la figure plus fortement son enfermement et sa solitude. Dialogue d'où de l'empereur. Malgré son talent et son physique de légende, sont escamotées les répliques de l'autre, le texte du récit permet Gérard Philipe n'a pas « écrasé » le rôle. Mais peut-être son même de supposer que Clamence ne s'adresse en vérité qu'à lui-allure angélique

même. Pour composer La Chute, toutefois. Camus n'interroge 1 laissait-elle justement le chemin libre à des interprètes plus évidemment torturés ? On peine plus encore à plus sa juvénile soif d'absolu, mais un aspect de sa personnalité identifier ce monstre à celui qui en fut le premier interprète que l'âge, à ses propres yeux, rend grinçant au point de lui virtuel : Albert Camus lui-même. Jean Grenier témoigne donner des parentés avec ceux qu'il abhorre. Malgré sa pourtant que tout en cherchant plutôt, à partir de 1947, des complexité, Clamence s'unifie moins périlleusement que Cali-

« valeurs moyennes », Camus a gardé jusqu'au bout « sa

"fixation au meurtre " (comme il disait) et cette violence 1. Jean Grenier, Albert Camus. Souvenirs, éd. citée, p. 143. Le 26 mars 1955, Camus fit de sa pièce une lecture, au Théâtre des Noctambules. « Soirée impressionnante, car il joue plutôt qu'il ne 1. Voir historique de la mise en scène, p. 182.

lit », témoigne Roger Grenier (Albert Camus. Soleil et ombre, p. 124).

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Préface

gula. Cette unité se produit d'autant mieux qu'au lieu de se donner à voir, selon une vocation inhérente à tout personnage de théâtre, il admet l'ambiguïté de représentation propre aux personnages romanesques. Il semble pour cette raison qu'à l'exemple de Diderot, Camus a livré dans un dialogue ironique, non destiné à la scène, le meilleur de son génie théâtral. Au moins, pour que vive Caligula, les décorateurs devront-ils continuer d'en bannir le « genre romain » : c'est à Amsterdam ou ailleurs, voire en nous-mêmes, que la pièce nous apprend, comme le disait Camus à son « ami allemand », à « ne détester que les bourreaux ».

Caligula

Pierre-Louis Rey

PIECE EN QUATRE ACTES

Caligula a été représenté pour la première fois en 1945 sur la scène du Théâtre Hébertot (direction Jacques Hébertot), dans la mise en scène de Paul Œttly ; le décor étant de Louis Miquel et les costumes de Marie Viton.

DISTRIBUTION

CALIGULA Gérard Philipe.

CAESONIA Margo Lion.

HÉLICON Georges Vitaly.

SCIPION Michel Bouquet,

puis Georges Cormier.

CHEREA Jean Barrère.

SENECTUS,

le vieux patricien Georges Saillard.

METELLUS, patricien François Darbon, puis René Desormes.

LEPIDUS, patricien Henry Duval.

OCTAVIUS, patricien Norbert Pierlot.

PATRICIUS, l'intendant

Fernand Liesse.

MEREIA

Guy Favières.

MUCIUS

Jacques Leduc.

PREMIER GARDE

Jean Œttly.

DEUXIÈME GARDE

Jean Fonteneau.

PREMIER SERVITEUR

Georges Carmier,

puis Daniel Crouet.

DEUXIÈME SERVITEUR

Jean-Claude Orlay.

TROISIÈME SERVITEUR

Roger Saltel.

FEMME DE MUCIUS

Jacqueline Hébel.

ACTE PREMIER1

PREMIER POÈTE

Georges Carmier,

puis Daniel Crouet.

DEUXIÈME POÈTE

Jean-Claude Orlay.

TROISIÈME POÈTE

Jacques Leduc.

QUATRIÈME POÈTE

François Darbon,

puis René Desormes.

CINQUIÈME POÈTE

Fernand Liesse.

SIXIÈME POÈTE

Roger Saltel.

La scène se passe dans le palais de Caligula.

Il y a un intervalle de trois années entre le premier acte et les actes suivants.

SCÈNE PREMIÈRE

Des patriciens, dont un très âgé, sont groupés dans une salle du palais et donnent des signes de nervosité.

PREMIER PATRICIEN

Toujours rien.

LE VIEUX PATRICIEN

Rien le matin, rien le soir.

DEUXIÈME PATRICIEN

Rien depuis trois jours.

LE VIEUX PATRICIEN

Les courriers partent, les courriers reviennent. Ils secouent la tête et disent : « Rien. »

DEUXIÈME PATRICIEN

Toute la campagne est battue, il n'y a rien à faire.

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Caligula

Acte I, Scène I 39

PREMIER PATRICIEN

LE VIEUX PATRICIEN

Pourquoi s'inquiéter à l'avance ? Attendons. Il Bien sûr ! Une de perdue, dix de retrouvées.

reviendra peut-être comme il est parti.

HÉLICON

LE VIEUX PATRICIEN

Où prenez-vous qu'il s'agisse d'amour ?

Je l'ai vu sortir du palais. Il avait un regard étrange.

PREMIER PATRICIEN

Et de quoi d'autre?

PREMIER PATRICIEN

J'étais là aussi et je lui ai demandé ce qu'il avait.

HÉLICON

Le foie peut-être. Ou le simple dégoût de vous voir DEUXIÈME PATRICIEN

tous les jours. On supporterait tellement mieux nos A-t-il répondu ?

contemporains s'ils pouvaient de temps en temps changer de museau. Mais non, le menu ne change PREMIER PATRICIEN

pas. Toujours la même fricassée.

Un seul mot : « Rien. »

Un temps. Entre Hélicon, mangeant des oignons.

LE VIEUX PATRICIEN

Je préfère penser qu'il s'agit d'amour. C'est plus DEUXIÈME PATRICIEN, toujours nerveux.

attendrissant.

C'est inquiétant.

HÉLICON

PREMIER PATRICIEN

Et rassurant, surtout, tellement plus rassurant.

Allons, tous les jeunes gens sont ainsi.