Date de naissance : n.c.
Adresse : 26, rue de la Fontaine-au-Roi.
Transfert : n.c.
DPS : Scann. progr.
Prise en charge : En attente
Intervention : Gd-11.5
Retour au parking. La standardiste allume déjà une nouvelle cigarette, j’avais le temps de photocopier le cahier tout entier.
Chambre 224. Deuxième étage.
De retour à la voiture, je caresse, sur mes genoux, le canon du Mossberg, comme un animal de compagnie. J’espérais savoir si la patiente serait transférée dans un service spécialisé ou si elle allait rester ici, j’en suis pour mes frais.
S’il y a encore du fric à la clé, il y en a pas mal. C’est tout l’un ou tout l’autre, ce genre de truc. Et avec la préparation à laquelle il a fallu se livrer, je ne vais pas risquer maintenant de tout perdre par manque de concentration.
Sur mon téléphone, la photo du plan d’évacuation confirme que personne n’a plus aucune idée d’ensemble de ce que représente ce bâtiment, une sorte d’étoile dont certaines branches seraient pliées, en le prenant d’un côté vous avez un polygone, retournez-le, comme sur ces dessins d’enfant où il faut chercher le loup, vous découvrez une tête de mort. Pour un établissement hospitalier, ça n’est pas très délicat.
L’important n’est pas là. Si mes déductions sont justes, je dois pouvoir monter à la chambre 224 par l’escalier, une fois à l’étage, la chambre est à moins de dix mètres. Pour la sortie, il faut opter pour un parcours plus complexe, histoire de brouiller les pistes, monter d’un étage, traverser le couloir, remonter encore, après les chambres de neurochirurgie, trois portes battantes successives, on arrive à l’accueil par l’ascenseur opposé, à vingt pas de la sortie de secours, et ensuite le grand tour du parking jusqu’à la voiture. Quand vous avez fait votre petit effet, pour vous chercher ici, faut se lever tôt…
Reste la possibilité qu’elle soit transférée. Dans ce cas, il vaut mieux attendre ici. Je connais le nom de la patiente, le plus sûr maintenant est d’aller aux nouvelles.
Je cherche puis je compose le numéro de l’hôpital.
Taper 1, taper 2, c’est pénible. Le Mossberg est autrement plus rapide.
19 h 30
Comme il n’a pas mis les pieds au bureau de toute la journée, Camille appelle Louis pour faire le point des affaires en cours. En ce moment, ils ont un travesti étranglé, une touriste allemande qui s’est sans doute suicidée, un automobiliste poignardé par un autre automobiliste, un SDF vidé de son sang dans le sous-sol d’un gymnase, un jeune drogué repêché dans un égout du XIIIe arrondissement et un crime passionnel, le coupable vient de passer aux aveux, il a soixante et onze ans. Camille écoute, donne des instructions, approuve des mesures mais il n’est pas vraiment là. Louis, heureusement, continue de s’occuper du quotidien.
Lorsqu’il a terminé Camille n’a quasiment rien retenu.
S’il fait le bilan, le constat s’impose : quels dégâts !
Avec le recul, il prend la mesure de la situation. Il a mis le doigt dans un mécanisme difficile à maîtriser. Il a triché auprès de la commissaire divisionnaire en prétextant un indic qu’il n’a pas, il a menti à sa hiérarchie, donné un faux nom à la préfecture de Police dans le but d’être chargé d’une affaire à laquelle il est lié personnellement…
Pire, il est l’amant de la principale victime.
Qui se trouve être aussi le premier témoin dans une affaire de hold-up violent elle-même liée à un braquage mortel…
Quand il pense à cet enchaînement de circonstances, cette série catastrophique de décisions imbéciles, indignes même de son expérience, il est atterré. Il se sent prisonnier de lui-même. De ses emportements. Il est totalement idiot parce qu’il agit comme s’il n’avait confiance en personne, lui qui, justement, ne se fait aucune confiance. Au fond, incapable de se dépasser, il est réduit à ne faire que ce qu’il sait faire. L’intuition, qui fait parfois sa singularité, tourne cette fois à la passion, à la démesure, à l’aveuglement.
Son attitude est d’autant plus stupide que l’affaire n’est pas très compliquée à comprendre. Des types débarquent pour un braquage et tombent sur Anne qui voit leurs visages. Ils la frappent et la traînent jusque devant la bijouterie pour le cas où elle aurait la mauvaise idée de s’enfuir. Ce qu’elle finit d’ailleurs par tenter de faire. Le guetteur lui tire dessus, pris au dépourvu, il la manque, et lorsqu’il veut remettre le couvert, son complice s’interpose. Il est temps de quitter les lieux avec le butin. Dans la rue Flandrin, il a une dernière chance mais les complices s’emmêlent une nouvelle fois, ce qui sauve la vie à Anne.
L’acharnement de ce type fait terriblement peur mais il est indexé sur la tension de l’instant, il court après Anne parce qu’elle est à portée de fusil.
Maintenant, la messe est dite.
Les braqueurs doivent être loin. On les imagine mal rester dans le coin. Avec un pareil butin, ils peuvent aller n’importe où, ils n’ont que l’embarras du choix.
Leur arrestation repose sur la capacité d’Anne à en reconnaître au moins un. Ensuite, c’est classique. Avec les moyens dont on dispose et les affaires qui vont continuer de s’accumuler tous les jours, une chance sur trente de les retrouver rapidement, une sur cent de les retrouver dans un délai raisonnable, et une sur mille de les retrouver un jour par hasard ou par miracle. Dans tous les cas, d’une certaine manière, l’affaire est déjà froide. Il y a tellement de braquages aujourd’hui que lorsqu’on n’arrête pas les auteurs tout de suite, s’ils sont des professionnels, ils ont toutes les chances de rester introuvables.
Alors, se dit Camille, le mieux consiste à tout arrêter avant que cette histoire dépasse le niveau de Le Guen. Lui peut encore tout arranger, sans problème. Un petit mensonge de plus, pour lui, ce n’est rien, il est contrôleur général, mais si ça passe au-dessus de lui, là, plus rien à faire. Si Camille lui explique, Le Guen dira un mot à la divisionnaire Michard, qui sera ravie de gagner ainsi auprès de son chef un crédit dont elle aura forcément besoin un jour, elle le considérera même comme une sorte d’investissement. Il faut que tout s’arrête avant que le juge Pereira ne s’inquiète.
Camille plaidera la tentation, la colère, l’aveuglement, l’égarement, personne n’aura de mal à lui reconnaître toutes ces qualités.
Il est soulagé de sa décision.
Arrêter tout ça.
Que quelqu’un d’autre s’occupe de les retrouver, ces braqueurs, il a des collègues très compétents. Qu’il consacre son temps à aider Anne, à la soigner, c’est de cela qu’elle va avoir le plus besoin.
D’ailleurs, qu’est-ce qu’il ferait de mieux que les autres ?
— Dites voir…
Camille s’approche de la standardiste.
— Deux choses, dit-elle. Le formulaire de prise en charge, vous l’avez fourré dans votre poche. M’est avis que vous vous en foutez comme de l’an quarante mais ici l’administration est plus sourcilleuse, si vous voyez ce que je veux dire.
Camille exhume le formulaire. En l’absence de son numéro de sécurité sociale, la prise en charge administrative d’Anne n’a pas été faite. La fille désigne du doigt une affiche ternie dont les coins, collés au scotch sur la vitre, sont à demi déchirés et elle récite le slogan :
— « À l’hôpital, l’identité, c’est la clé du dossier. » On nous fait même suivre des formations sur le sujet, vous voyez l’importance du truc. Le manque à gagner, il paraît que ça se chiffre en millions.