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— Quel danger Mme Forestier peut bien représenter pour ces hommes, commandant Verhœven ? Elle a assisté à un braquage, que je sache, pas à un attentat ! Ils doivent savoir qu’ils l’ont blessée mais pas tuée et, à mon avis, ils doivent plutôt s’en féliciter.

C’est l’évidence depuis le début.

Qu’est-ce qui ne va pas ?

— Et votre indic, finalement, il dit quoi ?

L’éternel mystère : comment prenons-nous nos décisions ? À quel moment avons-nous conscience de ce que nous avons décidé ? Quelle part d’inconscient entre dans la réponse de Camille, impossible à dire, sauf qu’elle est immédiate.

— Mouloud Faraoui.

Même lui en est sidéré.

Comme dans un manège de foire, il ressent presque physiquement la trajectoire qu’en prononçant ce nom il vient d’emprunter, une courbe fulgurante qui conduit dans un mur.

— Il est en liberté ?

Et avant que Camille ait pu saisir la balle au bond :

— Et d’ailleurs, qu’est-ce qu’il fout là-dedans ?

Bonne question. Les gangsters ont tous leur spécialité. Les braqueurs, les dealers, les cambrioleurs, les faussaires, les arnaqueurs, les racketteurs, chacun vit dans sa sphère. Mouloud Faraoui, lui, son truc, c’est le proxénétisme et il est surprenant de voir surgir son nom dans une histoire de braquage.

C’est une connaissance vague de Camille, d’un calibre un peu trop élevé pour jouer les indics. Ils se sont croisés de temps à autre. Un type d’une rare violence, qui a gagné son territoire par la terreur, on lui attribue plusieurs meurtres. Il est habile, méchant et il est resté longtemps imprenable. Du moins jusqu’à ce qu’il tombe pour une histoire dans laquelle il n’était pour rien, un sale piège : trente kilos d’ecstasy découverts dans sa voiture, avec ses empreintes. Le genre de coup fourré qui ne pardonne pas. Il a eu beau plaider que ce sac lui servait justement pour aller à la salle de sport, il s’est retrouvé en cabane avec une colère à dévaster la Terre.

— Quoi ? demande Camille.

— Faraoui ! Qu’est-ce qu’il vient foutre dans votre histoire ? Et d’abord, c’est votre cousin ? Je ne savais pas…

— Non, ce n’est pas mon cousin… C’est plus compliqué, il s’agit d’un truc à trois bandes, vous voyez…

— Non, je ne vois pas très bien justement.

— Je m’en occupe et je vous dirai.

— Vous… vous en « occupez » ?

— Bon, vous n’allez pas répéter tout ce que je dis en ajoutant des guillemets !

— Vous vous foutez de moi !

Michard a crié puis elle a posé précipitamment sa main sur le récepteur, Camille perçoit un « Pardon, ma chérie » balbutiant, prononcé à voix basse, ce qui le plonge dans un gouffre. Elle a des enfants, cette femme-là ? De quel âge ? Une fille ? À sa voix, on ne dirait pas qu’elle s’adresse à une enfant ? La divisionnaire revient à la conversation de manière plus feutrée mais l’énervement y est d’autant plus palpable. Au souffle dans le téléphone, Camille comprend qu’elle est en train de changer de pièce. Jusqu’à présent elle était agacée par Camille, maintenant quelque chose de bouillant, trop longtemps contenu, explose dans sa voix mais les circonstances la contraignent à chuchoter :

— C’est quoi exactement votre histoire, commandant ?

— D’abord, ce n’est pas « mon » histoire. Et pour moi aussi il est sept heures du matin. Alors je ne demande pas mieux que de vous expliquer tout ça mais il faut me laisser le temps de…

— Commandant… (Silence.) Je ne sais pas ce que vous faites. Je ne comprends pas ce que vous faites. (Plus la moindre trace d’énervement, la commissaire a dit cela comme si elle venait de changer de sujet. Et c’est un peu le cas.) Mais je veux votre rapport ce soir, je suis claire ?

— Pas de problème.

Il fait très doux, pourtant Camille est en nage. Une sueur très spéciale, fiévreuse et froide lui coule dans le dos, qu’il n’a plus ressentie depuis ce jour où il s’est mis à courir après Irène, le jour où elle est morte. Ce jour-là il s’est entêté, il a pensé qu’il ferait mieux que n’importe qui… Non, il n’a même pas pensé. Il a agi comme s’il était seul à pouvoir le faire et il s’est trompé : quand il l’a retrouvée, Irène était morte.

Anne, aujourd’hui ?

On dit que les hommes qui sont quittés par des femmes le sont toujours de la même manière, voilà ce qui lui fait peur.

8 h 00

Ils ne savent pas ce qu’ils ont raté, les Turcs. Deux gros sacs de bijoux bien lourds. Même avec ce que le receleur va prendre au passage, ils pourraient peser deux fois moins mais peu importe. Tout est en bonne voie. Et si j’ai un peu de chance, j’espère bien en ramasser encore un paquet.

S’il en reste.

S’il n’en reste pas, ça va saigner.

Pour le savoir, en avoir le cœur net, il faut principalement de la méthode. De la constance.

En attendant… que les lumières s’allument : lecture !

Le Parisien. Page 3.

« Saint-Ouen : Incendie… »

Nickel ! Traversée de la rue. Le Balto. Un café, très noir. Cigarette. Café-clope, voilà la vraie vie. Le café ici est du très bas de gamme, on se croirait dans une gare, mais il est huit heures du matin, on ne va pas jouer les divas.

Ouverture du journal. Roulements de tambour.

SAINT-OUEN

Incendie spectaculaire et mystérieux : deux morts.

Un important incendie s’est déclaré hier, vers midi, dans la zone des Chartriers, à la suite d’une explosion d’une rare violence. Les casernes de Saint-Ouen sont rapidement venues à bout du sinistre qui a détruit plusieurs ateliers et garages. Rappelons que cette zone, destinée à accueillir la future ZAC, est maintenant désaffectée en quasi-totalité, raison pour laquelle un incendie de cette ampleur est aussitôt apparu mystérieux.

Dans les décombres de l’un des ateliers détruits par le feu, les enquêteurs ont retrouvé la carcasse d’un 4 × 4 Porsche Cayenne et deux corps largement carbonisés. C’est à cet endroit que l’explosion a eu lieu : les traces d’une forte charge de Semtex ont en effet été décelées. À partir des fragments de composants électroniques recueillis sur place, les spécialistes pensent que l’explosion pourrait avoir été commandée à distance par l’utilisation d’un téléphone portable.

Étant donné l’ampleur du sinistre, la reconnaissance des deux victimes s’annonce particulièrement difficile. Tous les éléments convergent vers un assassinat mûrement préparé de manière à empêcher toute identification. Les enquêteurs tenteront notamment de déterminer si les victimes étaient vivantes ou mortes au moment de l’explosion…

Affaire réglée.

« Les enquêteurs tenteront de déterminer… » De quoi se marrer ! Je prends les paris. Et si les flics remontent aux obscurs frères Yildiz qui ne figurent sur aucun fichier, je verse leur part aux Orphelins de la police.

L’heure approche, le périphérique, sortie porte Maillot, la contre-allée, Neuilly-sur-Seine.

Qu’est-ce que c’est beau chez les bourgeois. Ils seraient moins cons, ça donnerait presque envie d’en faire partie. Je me gare à deux pas du lycée, des filles de treize ans y portent des vêtements qui valent treize fois le SMIC. De temps en temps, on regrette que le Mossberg ne soit pas reconnu comme instrument d’égalisation sociale.