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— Pour un type de ton niveau…, dit-il. Vraiment, tu les collectionnes…

Et encore, pense Camille, Le Guen ne sait pas tout.

— Tu demandes l’affaire, en soi, c’est déjà assez suspect. Parce que cette histoire d’indic, tu avoueras…

Ce n’est encore rien. Le Guen va bientôt apprendre que Camille a personnellement aidé le témoin-clé de cette affaire à quitter l’hôpital et donc à se soustraire à la justice.

Camille ne sait d’ailleurs pas qui est ce témoin mais s’il se révèle qu’Anne est coupable de quelque chose de grave, allez savoir, il peut se retrouver avec une inculpation de complicité… À partir de là, tout est imaginable : complicité de meurtre, de vol, d’assassinat, de kidnapping, de vol à main armée… Et il aura du mal à faire croire à son innocence.

Il ne répond pas à Jean, il avale sa salive.

— Pour les relations avec le juge, dit Le Guen, t’es sacrément con : tu l’as court-circuité un moment, tu me le disais, on arrangeait le coup, on n’en parlait plus. D’autant que Pereira est un gars avec qui on peut discuter.

Le Guen ne va pas tarder à apprendre que, depuis, Camille a fait beaucoup plus fort, qu’il a subtilisé le dossier médical de ce témoin. Témoin que, par ailleurs, il héberge à son domicile personnel.

— Ta rafle d’hier a fait de sacrées vagues ! C’était prévisible, tu te rends compte de ce que tu fais ? J’ai l’impression que tu es complètement inconscient !

Et le contrôleur général n’imagine même pas que le nom de Verhœven figure sur une pièce du dossier qu’il a carottée à la bijouterie et qu’il a donné une fausse identité à la préfecture. Et il est trop tard maintenant.

— Aux yeux de la divisionnaire Michard, reprend Le Guen, manœuvrer pour obtenir cette affaire, c’est vouloir la couvrir.

— Quelle connerie ! lâche Camille.

— Je m’en doute bien. Mais tu te comportes depuis trois jours comme si tu étais à ton compte. Alors forcément…

— Forcément, admet Camille.

Les rames devant eux se succèdent. Le Guen regarde toutes les filles qui passent, absolument toutes, rien de salace, il est admiratif, de toutes, il leur doit tous ses mariages. Camille a toujours été son témoin.

— Moi, ce que je veux savoir, c’est pourquoi tu fais, de cette enquête, une affaire personnelle !

— Je crois que c’est l’inverse, Jean. C’est une affaire personnelle qui est devenue une enquête.

En disant cela, Camille comprend qu’il vient de toucher juste. Il entre en effervescence, il lui faudrait un peu de temps pour en tirer toutes les conséquences. Il tâche même de graver ces mots dans sa mémoire : c’est une affaire personnelle qui est devenue une enquête.

L’information a plongé Le Guen dans l’incertitude.

— Une affaire personnelle… Qui tu connais, dans cette histoire ?

Bonne question. Il y a quelques heures, Camille aurait répondu : Anne Forestier. Tout a changé.

— Le braqueur, dit machinalement Camille qui continue sa réflexion en marge de la conversation.

Le Guen, lui, passe de l’incertitude à l’inquiétude.

— Tu es en affaires avec un braqueur ? Un braqueur complice du meurtre, c’est ce que je dois comprendre ? (Il a l’air inquiet, en fait il est complètement affolé.) Tu connais Hafner personnellement ?

Camille hoche la tête. Non. Ce serait trop à expliquer.

— Je ne suis pas certain, commence Camille évasivement. Je ne peux pas te dire pour le moment…

Le Guen pose ses deux index joints sur sa bouche, signe d’une réflexion intense et délicate.

— Tu n’as pas l’air de bien comprendre pourquoi je suis là.

— Si, Jean, je comprends très bien.

— Michard va certainement vouloir saisir le parquet. Elle en a le droit, elle a besoin de se protéger, elle ne peut pas fermer les yeux sur tes agissements et je ne vois comment je pourrais m’y opposer. Et dans cette situation, si je t’en parle, je suis en faute moi aussi. Là, en ce moment, je suis en faute.

— Je sais, Jean, je te remercie…

— Ce n’est pas pour ça que je t’en parle, Camille ! Je m’en fous de tes remerciements ! Si tu n’as pas encore l’IGS sur le dos, c’est imminent. Ton téléphone va être, ou est déjà, sur écoute, tu vas être, ou tu es déjà, suivi, tes déplacements surveillés, ton comportement analysé… Et d’après ce que tu me laisses entendre, tu ne risques pas seulement ton boulot, tu risques la taule, Camille !

Le Guen laisse filer une rame supplémentaire, quelques secondes de silence dont il espère beaucoup, il voudrait que Camille se ressaisisse. Ou qu’il s’explique. Et pour l’y contraindre, il n’a pas beaucoup de cartes dans son jeu.

— Écoute, reprend-il, je ne pense pas que Michard va saisir le parquet sans m’en parler. Elle arrive, elle a besoin de mon soutien, ton histoire lui donne auprès de moi un crédit inespéré… C’est pour ça que j’ai pris les devants. J’en profite, tu comprends ? Tu es convoqué à dix-neuf heures trente, c’est moi qui ai organisé ça.

Les désastres se suivent à une cadence quasi grisante. Camille le fixe, interrogatif.

— C’est ta dernière chance, Camille. On sera en petit comité. Tu nous racontes ton histoire et on voit comment on peut limiter les dégâts. Je ne peux pas te promettre que ça en restera là, tout dépendra de ce que tu vas nous dire. Qu’est-ce que tu vas nous dire, Camille ?

— Je ne sais pas encore, Jean.

Il a son idée mais comment expliquer, il lui faut d’abord lever des doutes. Le Guen est vexé. D’ailleurs, il le dit :

— Ça me vexe, Camille. Mon amitié pour toi ne sert à rien.

Camille pose sa main sur l’énorme genou de son ami, il tapote du bout des doigts comme s’il voulait le consoler, l’assurer de sa solidarité.

Le monde à l’envers.

17 h 15

— Qu’est-ce que tu veux que je te dise… Un passage à tabac en règle.

Au téléphone, Nguyen a une voix très nasale. Il doit répondre depuis une salle vaste, au plafond très haut, sa voix se répercute, on dirait un oracle. C’est d’ailleurs ce qu’il est pour Camille. D’où sa question :

— Est-ce qu’il y a intention de tuer ?

— Non… non, je ne crois pas. Il y a volonté de faire du mal, de punir, de marquer, ce que tu veux, mais pas de tuer…

— Tu en es certain ?

— Tu as déjà vu un médecin certain de quelque chose, toi ? Je dirais seulement qu’à moins d’en être empêché, il suffisait pour le type d’y mettre toutes ses forces et le crâne de cette femme explosait comme un melon.

Pour que ça n’arrive pas, pense Camille, il a dû se maîtriser. Calculer. Il l’imagine lever haut son fusil, abattre la crosse en ciblant la pommette et la mâchoire plutôt que le crâne, retenir son coup à la dernière milliseconde. Un homme qui a du sang-froid.

— Pareil pour les coups de pied, reprend le légiste. Le rapport de l’hôpital dit huit coups, moi je compte neuf, mais ce n’est pas le plus important. L’essentiel, c’est la manière dont ils sont appliqués. Il a envie de casser des côtes, d’en fêler, de faire mal, oui, de faire des dégâts, bien sûr, mais vu l’endroit où ils sont appliqués et le type de chaussures qu’il portait, s’il avait vraiment voulu tuer cette femme, c’était plus que facile. Il pouvait lui exploser la rate, trois coups bien alignés, c’était l’hémorragie interne. La mort de cette femme aurait pu survenir mais par accident : c’est la laisser en vie qui était volontaire.

Le passage à tabac décrit par Nguyen ressemble à un avertissement. Le genre de correction qui annonce que ça pourrait se gâter salement, pas suffisamment pour hypothéquer l’avenir mais assez violent pour être entendu.