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Hafner approuve lentement, l’air de trouver le coup particulièrement bien réfléchi. Et de se dire qu’avec ce Maleval, il a devant lui une adversité de taille.

— Je me mets alors à vous chercher pour le compte de Maleval, conclut Camille. Je deviens son enquêteur privé. Il maintient une grosse pression sur le témoin, j’accélère la cadence. Il menace de la tuer, je double la foulée. Et tout compte fait, il a fait le bon choix. Je suis efficace. Vous trouver m’a coûté une démarche bien pénible, m…

— Quelle démarche ? le coupe Hafner.

Camille lève la tête, comment dire ça ? Il reste un instant plongé dans ses pensées, Buisson, Irène, Maleval, puis il renonce.

— Moi, reprend-il presque pour lui-même, je n’avais de compte à régler avec personne…

— Ça, ce n’est jamais vrai.

— Vous avez raison. Parce que Maleval, lui, a un très ancien compte à régler avec moi. En renseignant Buisson, sept fois meurtrier, il a commis une faute professionnelle très lourde. Alors c’est l’arrestation, l’humiliation, la mise au ban, les gros titres, le juge d’instruction, le procès. Et pour finir la prison. Pas très longtemps mais pour un flic, vous imaginez l’ambiance pendant sa captivité ? Alors, cette fois, il s’est dit qu’il tenait l’occasion rêvée, qu’il pouvait me rendre la pareille. D’une pierre deux coups. Il me charge de vous trouver et en même temps il se charge de me faire virer.

— Parce que vous avez bien voulu.

— En partie… Ce serait compliqué de vous expliquer.

— D’autant que je m’en fous complètement.

— Cette fois, vous avez tort. Parce que maintenant que je vous ai trouvé, Maleval va arriver. Et il ne viendra pas simplement réclamer son dû, croyez-moi. Il voudra tout.

— Je n’ai plus rien.

Camille fait mine de peser le pour et le contre.

— Oui, dit-il enfin, vous pouvez essayer ça, qui ne risque rien n’a rien. Je pense que Ravic a dû essayer, lui aussi : j’ai tout dépensé, il doit me rester un peu de monnaie, pas grand-chose… (Camille sourit largement.) Soyons sérieux. Cet argent, vous le gardez pour le jour où vous ne serez plus là pour protéger vos petites et donc vous l’avez. La question n’est pas de savoir si Maleval va trouver vos économies mais combien de temps il va mettre pour les retrouver. Et accessoirement quelles méthodes il va utiliser pour y parvenir.

Hafner tourne la tête vers la fenêtre, on pourrait se demander s’il ne s’attend pas à voir surgir Maleval, un couteau de chasse à la main. Toujours silencieux.

— Il va venir vous rendre visite. Quand je le déciderai. Il suffira que je donne votre adresse à sa complice, dix minutes plus tard Maleval prend la route, une heure après il fait exploser votre porte au Mossberg.

Hafner penche très légèrement la tête.

— Je vois déjà ce que vous pensez, dit Camille. Que vous allez le sécher sur place. Je ne voudrais pas vous faire injure, mais vous ne me semblez pas dans une forme éblouissante. Il a vingt ans de moins que vous, il est bien entraîné et il est très malin, vous l’avez déjà sous-estimé une fois, vous avez eu tort. Un coup de chance est toujours possible, bien sûr, mais c’est le seul espoir qui vous reste. Et si vous voulez un conseil, ne le manquez pas. Parce qu’il est très remonté contre vous et après avoir collé une balle entre les deux yeux de la jeune maman, quand il va commencer à désosser votre petite, là-haut, ses petits doigts, ses petites mains, ses petits pieds, si vous l’avez manqué, vous allez avoir des regrets, forcément…

— Arrêtez vos conneries, Verhœven, des types comme lui, j’en ai rencontré vingt !

— C’est du passé, Hafner, et votre avenir est derrière vous. Même si vous tentez de planquer vos filles avec votre pactole — en supposant que je vous en laisse le temps —, ça ne servira à rien. Maleval vous a retrouvé, vous, ce qui était difficile. Les retrouver, elles, sera un jeu d’enfant. (Silence.) Votre seule chance, conclut Camille, c’est moi.

— Allez vous faire foutre.

Camille acquiesce lentement, il tend la main vers son chapeau. Tous ses traits expriment le paradoxe, mimique d’approbation mais visage contrarié, bon, j’ai fait ce que je pouvais. Il se lève à regret. Hafner n’esquisse pas un geste.

— Allez, dit Camille, je vais vous laisser en famille. Profitez-en bien.

Il se dirige vers le corridor.

Il n’a aucun doute sur la valeur de sa stratégie, ça prendra le temps que ça prendra, jusqu’au perron, jusqu’aux marches, jusqu’au jardin, peut-être jusqu’à la grille, peu importe, mais Hafner va le rappeler. La lumière dans la rue s’est rallumée, les réverbères, très espacés, font tomber sur le trottoir et l’extrémité du jardin une lumière jaune pâle.

Camille reste sur le pas de la porte, regarde la rue tranquille, puis il se retourne, un geste de la tête vers le haut de l’escalier.

— Elle s’appelle comment, la petite ?

— Ève.

Camille apprécie, joli prénom.

— C’est un bon début, lâche-t-il en partant. Pourvu que ça dure.

Il sort.

— Verhœven !

Camille ferme les yeux.

Il revient sur ses pas.

21 h 00

Anne est restée, incapable de savoir si elle agit par courage ou par lâcheté, simplement elle est toujours là, à attendre. Mais l’heure tourne et l’épuisement lui serre la poitrine. Elle a l’impression d’avoir traversé une épreuve, d’être passée de l’autre côté : elle n’est plus maîtresse de rien, une coquille vide, elle n’en peut plus.

C’est le fantôme d’Anne qui, vingt minutes plus tôt, a rassemblé ses affaires, il n’y a pas grand-chose à porter. Son blouson, l’argent, son portable, le papier avec le plan et les numéros de téléphone. Elle se dirige vers la porte vitrée, fait demi-tour.

Le chauffeur de taxi vient de l’appeler de Montfort, il ne le trouve pas ce bon Dieu de chemin, ça le désespère. Il a un accent asiatique. Elle a dû allumer la lumière dans la maison pour suivre le plan et tenter de le guider, rien à faire, vous dites après la rue de la Longe ? Oui, à droite, mais elle ne sait même pas dans quel sens il roule. Elle va venir à sa rencontre, allez à l’église, ne bougez plus et attendez-moi là, d’accord ? Il est d’accord, il préfère cette solution, il est désolé mais le GPS… Anne raccroche. Puis elle retourne s’asseoir.

Juste quelques minutes, elle s’en fait la promesse. Si le téléphone sonne dans les cinq minutes… Et s’il ne sonne pas…

Dans le noir, elle passe son index fatigué sur la cicatrice de sa joue, sur sa gencive, attrape un carnet de croquis, au hasard. Ici, on peut faire ce geste cent fois sans jamais tomber sur le même dessin.

Juste quelques minutes. Le chauffeur rappelle, il s’impatiente, il ne sait pas s’il doit attendre, partir, il hésite.

— Attendez-moi, dit-elle, j’arrive.

Il dit que le compteur tourne.

— Laissez-moi quelques minutes. Dix minutes…

Dix minutes. Ensuite, que Camille ait appelé ou pas, elle s’en va. Tout ça pour rien ?

Et après, qu’est-ce qui va arriver ?

Son portable sonne juste à cet instant.

C’est Camille.

Ce que c’est pénible d’attendre. J’ai fait dérouler le futon, monter une bouteille de Bowmore Mariner et de la viande froide mais je sais déjà que je ne vais pas fermer l’œil.

De l’autre côté de la cloison, j’entends bruisser la salle du restaurant, Fernand remplit mes caisses, voilà qui devrait me satisfaire mais ce n’est pas ce que je veux, ce que j’attends. Je me suis donné un mal…