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Et encore, ça n’est pas du tout certain parce qu’ils vont devoir prendre un gros élan. Boucler la zone n’a rien de difficile, il suffit de bloquer toutes les rues, mais investir le pavillon sera nettement plus compliqué. D’abord il va falloir s’assurer qu’Hafner est chez lui — c’est le minimum — et qu’il est seul. Ce ne sera pas simple, il n’y a aucun dégagement pour faire stationner les équipes et comme, dans ce quartier, il n’y a quasiment pas de circulation, une voiture en maraude se fait repérer tout de suite. Il faudra coller discrètement un ou deux sous-marins pour surveiller la maison et ça ne va pas se faire en une demi-journée, c’est certain.

Pour l’heure, les types du GIGN en sont certainement à tirer des plans sur la comète, à dessiner des trajectoires sur les cartes aériennes, des zones, des secteurs, ils ne sont pas réellement pressés. Ils ont, au minimum, la nuit devant eux, rien de possible avant au moins demain matin, et ensuite, surveillance, surveillance, surveillance… Ça peut prendre un jour, deux jours, trois jours. Et d’ici là, il y a longtemps que leur proie ne présentera plus de danger parce que je m’en serai chargé personnellement.

Ma voiture est garée à deux cents mètres de la rue Escudier, je suis passé par les clôtures avec mon sac à dos, deux ou trois coups de matraque aux chiens qui voulaient jouer les terreurs et de grille en clôture me voici assis dans un jardin, sous un sapin. Les propriétaires, au rez-de-chaussée, regardent la télévision. De l’autre côté, à trente mètres, à travers le grillage qui sépare les deux pavillons, j’ai une vue parfaite sur l’arrière du numéro 15.

Une seule pièce est éclairée, à l’étage, par une lumière bleutée, intermittente, qui signale un téléviseur. Tout le reste de la maison est éteint. Il n’y a que trois hypothèses : soit Hafner regarde la télé à l’étage, soit il est sorti, soit il est couché et c’est la fille qui s’instruit devant TF1.

S’il est sorti, je lui assure le comité d’accueil à son retour.

S’il est couché, je vais lui servir d’horloge parlante.

Et s’il est devant la télé, il va rater les pubs parce que je vais lui offrir une diversion.

Je me donne le temps d’observer à la jumelle, après quoi j’approche et j’investis. Je bénéficie de l’effet de surprise maximal. Je me régale d’avance.

Le jardin est un lieu propice à la méditation. Je fais le point de la situation. Quand je me suis rendu compte que tout fonctionnait à merveille, quasiment mieux que je ne l’avais espéré, je me suis contraint à la patience parce que de nature, je suis impétueux. En arrivant ici, pour un peu, j’aurais tiré des coups de feu en l’air et je serais passé à l’assaut de la baraque en hurlant comme un damné. Mais me retrouver ici est le résultat de beaucoup de travail, de beaucoup de réflexion et de beaucoup d’énergie, je suis à deux doigts de la grosse galette et donc je me maîtrise. Et une demi-heure plus tard, comme rien ne bouge, je prends le temps de ranger soigneusement mes affaires et de faire le tour de la maison. Pas de système d’alarme. Hafner n’a pas voulu attirer l’attention en transformant son havre de paix en bunker. Il est malin, il s’est fondu dans le paysage, M. Bourgeois.

Je reviens à ma place, m’assieds de nouveau, je resserre les pans de ma parka et je continue d’observer à la jumelle.

Et enfin, vers vingt-deux heures trente, la télé du premier étage s’éteint, la petite fenêtre du milieu s’allume une minute. Cette fenêtre est plus étroite que les autres, ce sont les toilettes. Je ne pouvais pas rêver meilleure configuration. Si j’en juge par ce seul mouvement, il y a du monde mais pas beaucoup. Je me décide, je me lève et je passe à l’action.

La maison est un pavillon des années trente dont la cuisine a été aménagée au rez-de-chaussée sur l’arrière. On y accède par une porte vitrée depuis un petit perron qui donne sur le jardin. Je monte silencieusement, le verrou est tellement âgé, on l’ouvrirait avec un ouvre-boîte.

À partir de là, c’est l’inconnu.

Je dépose mon sac de voyage près de la porte, je ne conserve que mon Walther muni de son silencieux et, dans son étui de cuir à la ceinture, mon poignard de chasse.

Il règne ici un silence palpitant, une maison, la nuit, c’est toujours un peu inquiétant. Il faut d’abord calmer mon rythme cardiaque, sinon je n’entendrai rien.

Je reste un long moment, aux aguets.

Aucun bruit.

Je glisse ensuite sur le carrelage, très lentement parce que certains carreaux sonnent creux. J’arrive, au sortir de la cuisine, à un palier. À ma droite, l’escalier qui dessert les deux étages. En face de moi, la porte d’entrée. À ma gauche, une ouverture, sans doute le salon ou la salle à manger dont la double porte a été retirée pour aérer l’espace.

Tout le monde est à l’étage. Par précaution, je me colle à la cloison au moment de passer devant la porte du salon et atteindre l’escalier, le Walther à deux mains, canon vers le sol…

Je suis tellement stupéfait, j’en reste littéralement scotché : à l’instant où je traverse le palier en direction de l’escalier, sur ma gauche, à l’autre extrémité du salon, dans le noir à peu près complet, seulement baigné par la lumière des réverbères du dehors, Hafner est là, face à moi, dans un fauteuil.

Cette vision me sidère.

Juste le temps d’apercevoir son bonnet de laine enfoncé jusqu’aux sourcils, ses yeux exorbités…

Hafner dans ce fauteuil, je vous jure, on dirait Ma Baker dans son rocking-chair.

Il tient son Mossberg dirigé vers moi.

Dès que j’apparais, il tire.

Le bruit de la détonation remplit d’un coup tout l’espace, une décharge pareille assommerait n’importe qui. Je suis très rapide. Dans la milliseconde, je me suis propulsé sur le palier. Je ne suis pas assez rapide pour éviter son tir qui arrose toute l’entrée mais suffisamment pour ne recevoir qu’une décharge dans la jambe.

Hafner m’attendait, je suis touché, je ne suis pas mort, je suis déjà à genoux, je suis atteint au mollet.

Les événements se succèdent si rapidement que mon cerveau peine à gérer l’information. D’ailleurs il est en retard sur un réflexe quasi reptilien, une réaction qui vient de la moelle épinière. Parce que je fais exactement ce à quoi personne ne pourrait s’attendre : surpris, touché, blessé, je passe à l’action.

Je me retourne sans même prendre le temps de mesurer les conséquences, un vrai saut de carpe, je me jette dans l’embrasure de la porte, au niveau du sol, je vois au visage d’Hafner qu’il s’attendait à tout autre chose qu’à me voir ainsi resurgir, à l’endroit même où il vient de m’atteindre.

Je suis à genoux face à lui, le bras tendu.

Au bout, mon Walther.

Ma première balle lui transperce la gorge, la deuxième se fiche au milieu de son front, il n’a même pas le temps de presser une seconde fois la détente, les cinq balles suivantes lui défoncent la poitrine. Il est saisi de soubresauts furieux, comme s’il luttait désespérément contre une quinte de toux.

Je prends à peine conscience du fait que je suis blessé à la jambe, qu’Hafner est mort et que tous mes efforts convergent vers un monumental ratage, lorsque mon cerveau me livre une information nouvelle : tu es à genoux dans le couloir, ton pistolet est vide et tu as le canon d’une arme contre ta nuque.

Je me fige instantanément. Je pose très lentement mon Walther sur le sol.

L’arme est tenue d’une main ferme. Le canon exerce une légère pression. Le message est clair, je repousse le Walther loin de moi, il fait environ deux mètres et s’arrête.

Je viens de me faire avoir dans les grandes largeurs. J’écarte les bras pour signifier que je ne résiste pas, je me tourne très lentement, la tête basse, en évitant tout mouvement brusque.