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Très excité, je déchiffre laborieusement plusieurs titres : « Au son du tambour », « Les sept collines », « Le pays des ossements »…

Il s’agit certainement de comptes rendus d’expériences chamaniques.

Incroyable !

Lakej n’étant pas prêt de se relever, je prends le temps de découvrir les premiers rouleaux. Ce qu’ils révèlent est passionnant, mais hélas loin des urgences du moment. En soupirant, je refrène ma curiosité et glisse les parchemins dans une de mes poches, me promettant d’y revenir à la première occasion.

Je rejoins Nina qui éponge de son mieux les traces de l’affrontement avec les lambeaux du costume de l’en-Hulké.

— J’y vais, je lui annonce.

Je m’approche pour l’embrasser. Elle fait un effort clairement perceptible pour ne pas retirer ses lèvres. Je ressens un pincement au cœur.

« Laisse-lui du temps, Jasper.

— Pourquoi les filles ne sont pas livrées avec un manuel, Ombe ? Je ne pige pas. Elle m’a embrassé pas plus tard que ce matin, alors que je ne demandais rien !

— On est plus sensibles que vous, les mecs.

— C’est toi qui me dis ça…

— Ce que vous tenez bizarrement pour acquis, les filles le remettent perpétuellement en question. Une différence de nature, j’imagine.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Ce matin c’était ce matin. Depuis, elle t’a vu te battre. Elle a découvert la violence dont tu es capable. Et ça lui fait peur.

— Ah bon ? Je pensais plutôt que ça l’impressionnerait favorablement !

— Les mecs ont une drôle de façon de voir les choses ! Nina a aperçu ton aspect obscur.

— Qu’est-ce qu’il faut que je fasse ?

— Ne la brusque pas, c’est tout. »

Nina me regarde avec intensité.

— Ton talent, me murmure-t-elle, c’est la magie, n’est-ce pas ?

— Oui.

Quelle importance qu’elle sache, maintenant ? Quand on a partagé certaines aventures, à quoi bon les secrets ?

Elle semble d’ailleurs apprécier ma franchise. Son visage se détend.

— Et… toi ? je lui demande.

— Je force les autres à me protéger, avoue-t-elle en plongeant ses sublimes yeux verts dans les miens.

— Hein ?

— Quand le garou s’est jeté sur nous, je t’ai supplié de me sauver, de ne pas m’abandonner, n’est-ce pas ?

— Oui. Mais…

— Ce n’est pas ce que tu as fait ?

— Si, bien sûr !

— Tu aurais été courageux tout seul, Jasper, parce que tu es un garçon bien. Je t’ai seulement donné la motivation et la force d’agir. Je t’ai obligé à être meilleur. C’est ça, mon talent. Pousser les autres. Plutôt nul, pas vrai ?!

J’hésite avant de lui répondre et elle se méprend sur mes sentiments. Son visage s’assombrit. Je m’empresse de la rassurer.

— Non, Nina. C’est un talent… pas commun du tout.

— Pas commun mais très égoïste. C’est ce que tu penses, n’est-ce pas ? C’est ce que tout le monde penserait si…

— Tu te trompes ! Je… C’est le plus altruiste des dons, au contraire.

— Comment ça ? Qu’est-ce que tu veux dire, Jasper ?

— C’est comme si… Tu rends les choses belles. Tu enlèves les noirceurs qu’il y a chez les gens ! En nous obligeant à être meilleurs, tu nous rends un immense service ! Je ne sais pas si je suis bien clair, Nina. Mais ton don, j’aurais adoré l’avoir…

Son visage s’illumine. Je le prends en plein dans les yeux et mon cœur s’affole. Ma résolution vacille, je n’ai pas envie de la laisser seule. Cette fois, le pouvoir qui s’exerce sur moi n’est pas celui de la paranormale ! Il réside dans des cheveux roux en désordre et des yeux verts, humides. Et il provoque d’amples battements de cœur.

« Jasper ? Faut bouger, mon grand.

— Oui, Ombe. Je sais. Encore une minute.

— Plus tu attends et plus ce sera difficile… »

Elle a raison.

Je rassemble ma volonté.

— Je dois y aller, je dis à Nina en lui caressant la joue, d’une main tremblante.

— Fais attention à toi, Jasper, murmure-t-elle.

J’emporte son vœu serré contre moi, en m’éloignant vers l’inconnu dans un couloir qu’un garou était prêt à tout pour défendre.

Au son du tambour

 

 

(Dessins tirés des Rouleaux de Sang d’Otchi, avec les commentaires de Jasper)

Si je comprends bien le dessin d’Otchi (qui a bien fait de se lancer dans le chamanisme plutôt que dans l’illustration), le monde forme trois couches.

Nous vivons au niveau intermédiaire.

On accède aux mondes supérieurs en s’accrochant à un fil tissé par les étoiles et aux mondes inférieurs en se laissant glisser le long d’une corde, par un petit trou. La corde en question trempe dans une sorte de mare, où flottent des ossements.

Les mondes inférieurs et supérieurs ressemblent au nôtre : on y trouve des paysages et des créatures…

Visiblement, le pouvoir du tambour dépasse de loin le son qu’il produit. Le tambour semble être la demeure d’esprits qui servent le chamane.

Le battement les réveille, la danse rassemble leurs énergies et la psalmodie les déchaîne.

La magie chamanique est donc liée aux esprits, qui sont à la fois les guides et les assistants du chamane. Ils servent de monture et combattent pour lui…

5

13, rue du Horla – Deuxième étage – Bureaux de l’Association

— Allô ? Jules ! Enfin ! Mais où étais-tu passé ?

— Je suis désolé, mademoiselle Rose. J’étais en train de suivre la piste de Nina, hier soir, quand mes parents m’ont téléphoné. Ils s’inquiétaient. J’ai dû rentrer chez moi.

— Tu aurais pu me prévenir. Je me suis fait beaucoup de souci.

— J’ai complètement oublié. Il faut dire que j’ai eu droit à une bonne engueulade…

— Tu m’appelles pour présenter tes excuses ?

— Non. Enfin si ! Mais pas seulement. J’ai retrouvé Nina, mademoiselle Rose !

— La bonne nouvelle ! Je t’écoute, Jules.

— Mes parents se lèvent tôt pour partir au travail… Je suis retourné à l’endroit où j’avais abandonné mes recherches et j’ai remonté la piste.

— Elle t’a conduit à Nina ?

— Pas seulement, mademoiselle Rose. La piste passait par l’avenue Mauméjean…

— Jasper !

— Ça va, mademoiselle Rose ? Vous avez une voix bizarre !

— C’est très important, Jules : as-tu croisé le chemin de trois Auxiliaires à proximité de l’avenue Mauméjean ?

— Vous avez envoyé des Auxiliaires chez Jasper ?

— Réponds à mes questions, Jules. Es-tu monté jusqu’à l’appartement ?

— Non. Je n’en ai pas eu besoin : Jasper est sorti de l’immeuble à toute vitesse, avec Nina et un garçon balèze que je ne connais pas.

— Pourquoi tu n’as pas appelé immédiatement ?

— Je n’y ai pas pensé, mademoiselle Rose. Ça me demande des efforts, d’être discret ! Quand je traque une cible, je suis totalement concentré sur elle.